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Art. 9. Les priviléges pécuniaires, personnels et réels en matière de subside, sont abolis à jamais ; la perception se fera sur tous les citoyens, et sur tous les biens, de la même manière et de la même forme; et il va être avisé aux moyens d'effectuer le paiement proportionnel de toutes. les contributions, même pour les six derniers mois de l'année suivante.

Art. 10. Une constitution nationale et la liberté publique étant plus avantageuses aux provinces que les priviléges dont quelques unes jouissaient, et dont le sacrifice est nécessaire à l'union intime de toutes les parties de l'empire, il est déclaré que tous les priviléges particuliers des provinces, principautés, pays, cantons et communautés d'habitans, soit pécuniaires, soit de toute autre nature, sont abolis sans retour, et demeureront confondus dans le droit commun de tous les Français.

Art. 11. Tous les citoyens, sans distinction de naissance, pourront être admis à tous les emplois et dignités ecclésiastiques, civils et militaires, et nulle profession utile n'emportera dérogeance.

Art. 12. A l'avenir, il ne sera envoyé en cour de Rome, en la vice-légation d'Avignon, en la nonciature de Lucerne, aucun denier pour annates ou quelque autre cause que ce soit. Mais les diocésains s'adresseront à leurs évêques pour toutes les provisions des bénéfices et dispenses, lesquelles seront accordées gratuitement, nonobstant toutes réserves expectatives et partages de mois, toutes les églises de France devant jouir de la même liberté.

Art. 15. Les déports, droits de cotte morte, dépouilles, vacat, droits censaux, deniers de Saint-Pierre et autres du même genre, établis en faveur des évêques, archidiacres, archiprêtres, chapitres, curés primitifs et tous autres, sous quelque nom que ce soit, sont abolis; sauf a pourvoir, ainsi qu'il appartiendra, à la dotation des archi

diaconés et archiprêtres qui ne seraient pas suffisamment dotés.

Art. 14. La pluralité des bénéfices n'aura plus lieu à l'avenir lorsque les revenus du bénéfice ou des bénéfices dont on sera titulaire excédera trois mille livres. Il ne sera pas permis non plus de posséder plusieurs pensions sur bénéfices, ou une pension et un bénéfice, si le produit des objets de ce genre, que l'on possède déjà, excède la somme de trois mille livres..

Art. 15. Sur le compte qui sera rendu à l'Assemblée nationale de l'état des pensions, grâces et traitemens, elle s'occupera, de concert avec le roi, de la suppression de celles qui n'étaient pas méritées, et de la réduction de celles qui seraient excessives; sauf à déterminer pour l'avenir une somme dont le roi pourra disposer pour cet objet.

Art. 16. L'Assemblée nationale décrète qu'en mémoire des grandes et importantes délibérations qui viennent d'être prises pour le bonheur de la France, une médaille sera frappée, et qu'il sera chanté, en action de grâces, un Te Deum dans toutes les paroisses et églises du royaume. Art. 17. L'Assemblée nationale proclame solennellement Louis XVI restaurateur de la liberté française.

Art. 18. L'Assemblée nationale se rendra en corps auprès du roi, pour présenter à sa majesté l'arrêté qu'elle vient de prendre, lui porter l'hommage de sa plus respectueuse reconnaissance, et la supplier de permettre que le Te Deum soit chanté dans sa chapelle, et d'y assister lui

même.

Art. 18. L'Assemblée nationale s'occupera, immédiate ment après la constitution, de la rédaction des lois nécessaires pour le développement des principes qu'elle a fixés par le présent arrêté, qui sera incessamment envoyé par MM. les députés dans toutes les provinces, avec le décret du 10 de ce mois, pour y être imprimés, publiés, même

au prône des paroisses, et affichés partout où besoin

sera.

Le discours de Chapelier, en remettant à sa majesté cette première charte, fut à la fois noble et respectueux (1). Le roi répondit avec effusion, et se rendit au temple avec les représentans de la France pour assister au Te Deum. Il avait à sa droite le président de l'assemblée. Après la cérémonie religieuse, le prince fut reconduit à son appartement par le même cortége au milieu des acclamations du peuple qui bénissait avec transport le monarque auquel les pères de la patrie, en brisant toutes les servitudes qui, depuis tant de siècles, appauvrissaient la France, venaient de décerner un titre glorieux que, malheureusement, Louis ne conservera ni dans le siècle, ni dans la postérité.

Les difficultés inouïes de l'approvisionnement de la capitale vinrent faire trève à cet enthousiasme. Malgré la vigilance de Bailly et l'ardeur de ses collègues, si bien secondés par les efforts de Lafayette pour maintenir l'ordre et calmer les esprits, Paris était en proie à une disette qui rendait le peuple presque intraitable. C'est avec tout le soin possible que nous avons consulté les matériaux fournis par l'époque pour découvrir si cette disette doit être attribuée à des trames criminelles, nous n'avons trouvé aucun de ces faits concluans qui peuvent autoriser une accusation de cette gravité, qui n'en paraissait pas moins une chose démontrée à une population imbue de tous les soupçons, et exaspérée par des souffrances trop réelles. La cause du mal nous paraît avoir été tout entière dans les circonstances elles-mêmes, et dans la situation des esprits.

Les campagnes qui environnent Paris sont hors d'état de suffire à la consommation de cette immense cité qui, dans un cercle d'un rayon très étendu, appelle tout ce que la (1) Voyez la note 2 à la fin de ce volume.

terre produit. La Normandie, la Beauce, l'Orléanais, la Brie, ont la capitale pour unique débouché. Quand le bruit de l'insurrection parisienne se fut répandu de proche en proche dans toute la France; lorsque les nombreux courriers dont il a été question eurent fait lever toute la nation, non seulement les capitalistes accoutumés à spéculer sur les grains s'appliquèrent à retirer leurs fonds de ce commerce devenu dangereux, mais encore ceux qui déjà avaient fait des achats n'osèrent aventurer leurs envois sur les routes où l'autorité méconnue ne pouvait arrêter les désordres. Ainsi Paris se trouva privé de ses véritables greniers; et plus la commune multipliait les mesures, plus elle déployait de sévérité pour assurer les approvisionnemens, plus la crainte répandue parmi le peuple et parmi les hommes qui pouvaient fournir à sa subsistance augmentait les embarras de la municipalité, en diminuant l'arrivage des vivres.

Qu'il ne se soit pas trouvé quelques hommes exaltés dans leur parti ou insatiables dans leur avidité, qui aient voulu tourner la misère publique au profit de leurs opinions ou de leurs intérêts, nous ne le prétendons pas; mais qu'un parti tout entier, adoptant un calcul atroce, se soit décidé à employer le moyen affreux de la famine pour for cer Paris de se rendre à discrétion, notre cœur et notre raison repoussent cette cruelle supposition. Cependant ceux qui ont imputé à la cour de pareilles manœuvres, appuient leurs accusations sur ce fait, que la disette cessa après l'arrivée du roi amené à Paris par les journées d'octobre. L'explication naturelle de cet heureux changement nous semble être dans la confiance qu'il dut inspirer aux provinces. Il faut même ajouter à cette considération la nécessité où les capitalistes se trouvèrent de recommencer leurs spéculations pour ne pas laisser leurs fonds sans emploi. Cependant une anecdote, puisée dans les Mémoires de Bouillé, nous a paru d'une gravité assez remarquable pour

être mise sous les yeux de nos lecteurs. Le commandant de Metz raconte qu'ayant, dans cette ville et dans les autres places de guerre, un approvisionnement suffisant pour nourrir pendant dix-huit mois 25 à 30,000 hommes de troupes, il proposa au gouvernement d'en distribuer la moitié dans les villes et dans les campagnes, pour faire subsister le peuple jusqu'à la récolte, à la condition expresse qu'une pareille quantité de blés serait alors restituée: ce qui était sans inconvénient. La proposition fut rejetée. Le gouverneur, touché des plaintes du peuple, fit pourtant distribuer les grains, et fut approuvé par Necker, qui avait d'abord refusé son consentement à cette sage mesure.

Quels que fussent le courage, les soins de Bailly et l'admirable activité du comité des subsistances, Paris n'était pas approvisionné; tous les efforts de ses magistrats ne pouvaient lutter contre les besoins sans cesse renaissans de la populeuse cité. Chaque matin voyait une foule immense, hâve de misère, demander aux boulangers, hors d'état de suffire à la consommation, quelques morceaux de pain qu'on lui mesurait au poids. En vain dans chaque district faisait-on des distributions de riz; cette faible ressource ne pouvait contenter le peuple. Profitant de cette désolation générale, des malveillans calomniaient et les boulangers, et le gouvernement, et la commune. De là naissaient des émeutes qui retentissaient en province, et augmentaient ainsi la disette et la peur. En vain la commune délibérait des arrêtés pour tranquilliser les masses, la faim les rendait incrédules et coupables: elles déchiraient les avis affichés par le maire de Paris, et ne respectaient pas davantage le décret de l'Assemblée nationale, concernant la libre circulation des grains. Aucune vertu n'était sacrée, la réputation même de Bailly était attaquée avec violence; cependant, grâce à sa bonté paternelle, à son dévouement de toutes les heures, ce digne magistrat parvint à empêcher

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