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une nouvelle secousse du volcan révolutionnaire. Il partagea la gloire de ce grand service national avec Lafayette, qui, au moment où il maintenait la tranquillité publique, au péril de sa vie, obtenait de l'assemblée cette déclaration des droits, prélude de la charte de tous les peuples affranchis par l'exemple de la France. Plein du souvenir de l'Amérique, le commandant des gardes nationales parisiennes avait proposé, avant le 14 juillet, cette déclaration, semblable à celle des représentans des Etats-Unis. Renouvelée le 1er août, interrompue par les résolutions de la nuit du 4, et reprise enfin le 18, elle fut terminée le 26 du même mois.

Les ennemis de la révolution ont tourné en ridicule cette imposante manifestation de principes trop longtemps méconnus; ils ont reproché à l'assemblée d'avoir perdu un temps précieux dans une discussion presqu'inutile, dangereuse peut-être. Mais était-ce perdre du temps que de proclamer les principes inhérens à la nature de l'homme? était-ce perdre du temps que de montrer aux différens peuples du monde leurs droits inaliénables inscrits par la France sur les tables de la loi ? On a dit que le peuple n'entendait rien à cette déclaration; d'où vient donc qu'elle fut accueillie parmi nous avec un si vif enthousiasme? Le peuple comprend souvent plus de choses qu'on ne pense, il comprend surtout la liberté; trop souvent, à la vérité, saisi de quelque passion violente, ou, en présence d'un grand danger qu'on ne peut vaincre qu'à force de courage et d'audace, il confond la liberté avec la licence. Cette considération nous ramène au sentiment de ceux qui voulaient que la déclaration des droits fût accompagnée de celle des devoirs,

Dans la discussion des dix-sept articles du décret, qui composent ce prélude de la charte constitutionnelle, Mirabeau, Rabaut-Saint-Étienne, Lally-Tollendal, Malouet surtout, ne manquèrent ni de patriotisme, ni de haute

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éloquence. Enfin le projet, à peu près tel que l'avait proposé Lafayette, fut adopté par les mandataires de la France (1).

Chaque jour voyait diminuer les ressources de l'état; l'emprunt des trente millions n'ayant point réussi, Necker vint demander à l'assemblée son autorisation pour un emprunt de quatre-vingts millions portant cinq pour cent d'intérêt. Le premier emprunt n'avait produit que deux millions six cent mille livres. Aussi le ministre se plaignit avec le ton d'une offensante amertume, et dit hautement que la modification apportée à la première proposition l'avait fait échouer. L'évêque d'Autun, fortement préoccupé de la pensée de relever le crédit, voulait que, préalablement à toute autre discussion, les députés renouvelassent les arrêtés du 15 juin et du 17 juillet, par lesquels ils avaient mis les créanciers de l'état sous la sauve-garde de l'honneur et de la loyauté française. Mirabeau, qui d'abord s'était opposé à l'emprunt, appuya la motion de l'évêque d'Autun. « Je consens, dit à son tour le député Gleizen, à ce qu'on décrète l'emprunt; mais il n'est pas aussi pressant de sanctionner la non réductibilité de la dette publique : le ministre n'a pas demandé cette sanction comme un moyen indispensable au succès de l'emprunt. >>> Chapelier assura que, par les arrêtés du 13 juin et du 17 juillet, la question se trouvait décidée. L'assemblée adopta l'emprunt tel qu'il avait été proposé par M. Necker, c'est-à-dire moitié en effets publics, et moitié en argent.

Débarrassée pour le moment de l'inquiétude des finances, et après avoir, dans la déclaration des droits, décrété l'égalité des charges, le principe de la souveraineté nationale, la liberté individuelle, celle des cultes et de la presse, le droit de consentir librement les impôts, la responsabilité des agens du pouvoir, l'inviolabilité de la propriété, l'Assemblée devait poser les bases du nouveau pacte social. (1) Voyez la note 3 à la fin de ce volue.

Mounier, au nom du comité de constitution, fixa les principes de la monarchie unanimement consacrés dans les cahiers des bailliages. C'était un hommage rendu à la sagesse des provinces, une marque de déférence et de respect pour la volonté du pouvoir constituant (1). Aucune difficulté ne s'éleva; il n'en fut pas de même lorsqu'il s'agit d'assigner la part du roi dans le pouvoir législatif; de violens débats éclatèrent au sein de l'assemblée. i

Tandis qu'il n'avait fallu que détruire les abus, le tiersétat et les esprits raisonnables de la noblesse et du clergé avaient formé une majorité imposante. En révolution, on est d'accord pour renverser le vieil édifice; on se divise sur les moyens d'en reconstruire un nouveau. Tous les hommes, en général, brisent avec une incroyable énergie ce qui les blesse; mais ensuite beaucoup d'entre eux, étonnés des ruines qu'ils ont faites, éprouvent un certain effroi devant leur propre ouvrage; ils en viennent même à regretter des choses du passé qu'eux-mêmes ont enve loppées dans la proscription révolutionnaire: alors naissent les divergences d'opinions et les dissentimens, qui finissent par devenir des hostilités. C'est ce que l'on vit bientôt dans le sein de l'Assemblée nationale. Elle se trou vait partagée en trois partis; le premier, celui des roya listes, n'avait pour chefs que Cazalès et Maury, athlètes énergiques et vigoureux. Ils espéraient sauver la monarchie, et ne songeaient pas qu'il faudrait être plus qu'Atlas pour soutenir un gouvernement qui tombe et s'écroule.

Le second parti, connu sous le nom de constitutionnel, ou de parti Necker, voyait à sa tête Lally-Tollendal, Virieu, Bailly, Malouet, Mounier, et Clermont-Tonnerre:

Le troisième se composait des révolutionnaires, qui marchaient tête levée dans la route de la conquête. On comptait au premier rang d'entre eux, Rabaut-Saint-Etienne, Talleyrand, Camus, Grégoire, Thouret, Chapelier, les (1) Voyez la note 4 à la fin de ce volume.

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Lameth, Duport, Barnave, et Mirabeau, dont le génie révolutionnaire est à son apogée..

Les deux derniers partis commençaient à se haïr et à se déchirer mutuellement : les accusations ne manquaient pas. Le parti constitutionnel disait que ses adversaires voulaient tout renverser, tout détruire, pour profiter du bouleversement général; les révolutionnaires, que l'on accusait d'être vendus au due d'Orléans, reprochaient aux constitutionnels d'être gagnés par le ministère et de vouloir recréer une nouvelle aristocratie: La cour, spectatrice inquiète de ces querelles, s'était jetée en secret du côté de Mounier, dont Necker partageait les opinions. Cette réunion, d'abord soupçonnée, bientôt connue de tous, loin de fortifier ce parti, l'affaiblit en fournissant à ses adversaires un moyen de le décrier et de le perdre dans l'opinion publique. Le combat s'engagea violent et terrible entre ces hommes d'opinion différente. Avant de créer la loi, il fallait constituer le pouvoir législatif, l'unité ou la division de ce pouvoir, la sanction royale ou le veto, la permanence ou la périodicité du corps délibérant. Telles étaient les importantes questions sur lesquelles l'assemblée devait d'abord se pron.oncer.

Le peuple, fatigué par toutes les fautes d'un gouvernement conspirateur qui avait toujours tourné sa puissance contre le pays, signalait comme aristocrates tous ceux qui voulaient accorder au roi le veto absolu, et les dénonçait comme des ennemis de la chose publique. Des déclamations violentes eurent lieu au Palais-Royal: il semblait que dans cette question était tout l'avenir de la France attentive à ces grands débats. Les orateurs populaires s'exprimèrent avec tout l'emportement de la colère et de la menace: pourtent l'opinion publique, manifestée hautement, n'empêcha pas que beaucoup de bons esprits ne se ralliassent à la constitution anglaise, qui leur paraissait établir entre les pouvoirs un véritable équilibre. Dans l'état d'exaspération des esprits à cette époque, ni l'autorité de Montesquieu, ni l'exemple de la Grande-Bretagne, ni la dialectique pressante de Mounier, ni l'éloquence de Lally, ne purent faire prévaloir le système anglais, parce qu'il reposait essentiellement sur l'établissement de deux chambres. Si le roi eût proposé cette forme de gouvernement au commencement des Etats-Généraux, ou même à l'époque de la séance royale du 23 juin, peut-être l'eût-on acceptée avec reconnaissance; mais à présent il était trop tard. La formation d'une chambre haute semblait, au plus grand nombre, devoir rétablir une classe privilégiée; par cette seule raison, une cour des pairs n'eût point trouvé d'écho dans le peuple, et par conséquent n'aurait prêté aucune force réelle au gouvernement. D'ailleurs, comment eût-on composé une seconde assemblée législative en 1789? de quels élémens l'aurait-on formée? Vraisemblablement le roi se serait empressé d'en choisir les membres parmi les représentans de la France, ou du moins il aurait donné à un certain nombre d'entre eux la promesse de faire partie de cette nouvelle création; et alors nul doute que les choix ne fussent tombés sur les hommes qui auraient pu arrêter la révolution et s'opposer aux décrets de l'Assemblée nationale. Ainsi, au lieu des deux oppositions du clergé et de la noblesse, disséminées dans la chambre des communes, on aurait eu une seule opposition, mais puissante par sa concentration dans une chambre haute. Ces considérations et beaucoup d'autres que l'état des esprits en France rendait péremptoires, firent prévaloir l'unité du corps législatif. Le décret qui la déclarait fut adopté à la majorité de neuf cent onze voix contre quatre-vingt-neuf.

Les orateurs du côté droit défendirent avec plus de succès le principe de la sanction royale, pour laquelle combattait aussi Mirabeau, qui, dans une discussion étrangère à la ques tion, avait été amené à dire, trois mois auparavant : « Je

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