l'éveil au public. Indépendamment des conséquences de ce défaut, la faction du palais courait un autre danger qui se renouvelait tous les jours. La ville de Louis XIV que l'on a calomniée par ce mot célèbre : « Quand je me trouve à Versailles, il me semble toujours être à l'office d'une grande maison ; » ce Versailles, que la prévention a représenté comme une agrégation de valets, avait cédé avec enthousiasme à l'ascendant de la révolution. Les serviteurs les plus zélés du roi étaient d'excellens citoyens. Ils aimaient ce prince, et s'affligeaient de le voir chaque jour plus fortement enlacé dans les nœuds de l'étreinte aristocratique; moins bien disposés pour la reine, parce qu'elle avait affaibli leur estime et leur respect par des fautes malheureusement trop connues, ils la plaignaient pourtant avec sincérité, en même temps qu'ils étaient alarmés pour elle de la dangereuse influence d'un petit nombre de conseillers aveugles et passionnés, qui n'avaient jamais fait que mettre le trône en péril. De là naissaient des confidences sur tout ce qui se passait dans le plus secret intérieur, où les petits pénètrent quand les plus grands sont arrêtés sur le seuit. Parmi ces confidences, les unes, je le sais, furent des trahisons de la part de quelques misérables gagnés par l'appât d'un salaire; mais j'ose affirmer que d'autres hommes obéissaient aux inspirations d'un attachement sincère au roi et au régime constitutionnels. Voilà par quelle double révélation les conciliabules, les démentis donnés dans le cabinet aux démonstrations publiques, l'obsession du roi par une faction aristocratique, les dispositions hostiles de la reine toujours attribuées à de mauvais conseils, les résolutions funestes, même les rapports mystérieux avec l'étranger, parvenaient au dehors. Un petit nombre de députés influens, qui avaient encore d'autres intelligences dans le camp ennemi, recevaient en quelque sorte, heure par heure, un bulletin de la cour. Ce bulletin se répandait entre les intimes; il passait ensuite dans les rangs du parti; puis, enfin, il arrivait au peuple par les proclamations de la presse, Parmi les écrivains qui se regardaient comme les sentinelles et les éclaireurs du peuple, on distinguait l'auteur du Courrier de Versailles, le malheureux Gorsas, qui, après avoir été révolutionnaire et jacobin, finit par périr victime de son admiration pour les girondins et pour le ministre Roland, qu'il comparait à Socrate. Avant lui, et dès l'aurore de la révolution, avait paru un homme saisi tout à coup du démon de la liberté, ce CamilleDesmoulins, l'insurrecteur du peuple du 14 juillet, le procureur-général de la lanterne, réservé à succomber dans la périlleuse entreprise de calmer une révolution qui a encore besoin de sa fureur. Sur la même ligne, sans posséder le même talent, figurait le rédacteur des Révolutions de Paris, le jeune Loustalot, qui mourut de douleur après l'affaire du Champ-de-Mars, où la loi de Mirabeau, de Lafayette et de Bailly fut appliquée pour la première fois et teinte du sang des citoyens. D'accord avec les trois écrivains, quoique sans s'être concertés avec eux, des amateurs de mouvemens, des entrepreneurs d'insurrections au petit pied, orateurs improvisés, les uns sincères et saisis de la fièvre du moment, les autres chargés de la mission mystérieuse d'entretenir la ville dans l'état d'émotion, avaient rempli la capitale d'effrayantes rumeurs. De l'aveu des organes même du parti royaliste, ces rumeurs n'étaient pas dénuées de fondement. Suivant le marquis de Ferrières, une foule de nobles, de prêtres, de financiers, se berçant du fol espoir de ramener l'ancien ordre de choses, formaient des associations, recevaient des signatures, préparaient des plans de retraite sur Metz. D'autres révélations irrécusables confirmèrent bientôt les accusations intentées contre la cour par tous les interprètes de l'opinion (1). En général, l'expérience a démontré que (1) Ces idées occupaient beaucoup d'esprits. Il paraît que Malouet et les nouvelles semées dans le peuple durant le cours de la révolution, reposaient sur un fond de vérité. Les aveux de ces nobles mendians qui vinrent demander à la dynastie de retour des trésors et des honneurs, pour salaire des services rendus et même des crimes commis au profit de la contre-révolution, nous ont appris qu'une nation ne se trompe ni sur le caractère de ses ennemis, ni sur les maux qu'ils lui préparent; et cependant des passions à la fois violentes et réfléchies n'ont point cessé, pendant vingt ans, de représenter les justes reproches des défenseurs de la liberté à ses adversaires, comme des mensonges et des calomnies inventés par le désir et le besoin de la persécution. Les preuves de toute espèce abondent pour réfuter les dénégations du parti royaliste. Voici un document précieux qui ne souffre pas de réponse; ce document. devenu un témoignage historique, émane du comte d'Estaing, homme sincère et dévoué au roi, mais que la cour voyait d'un mauvais œil, parce que le général croyait à la nécessité de l'alliance de la couronne avec le peuple. « Mon devoir et ma fidélité l'exigent, il faut que je mette aux pieds de la reine le compte du voyage que j'ai fait à Paris. On me loue de bien dormir la veille d'un assaut ou d'un combat naval. J'ose assurer que je ne suis point timide en affaires. Elevé auprès de M. le dauphin, qui me distinguait, accoutumé à dire la vérité à Versailles, dès mon enfance soldat et marin, instruit des formes, je les respecte sans qu'elles puissent altérer ma franchise et ma fermeté. << Eh bien! il faut que je l'avoue à votre majesté, je n'ai point fermé l'œil de la nuit. On m'a dit dans la bonne société, dans la bonne compagnie (et que serait-ce, juste ciel! si cela se répandait dans le peuple); l'on m'a répété que l'on prend des signatures dans le clergé et dans la noblesse. Les uns prétendent que c'est d'accord avec le roi, d'autres croient que c'est à son insu. On assure qu'il y a un plan de formé; que c'est par la Champagne, ou par Verdun, que le roi se retirera ou sera enlevé; qu'il ira à Metz. M. de Bouillé est nommé; et par qui? Par M. de Lafayette, qui me l'a dit tout bas, chez M. Jauge (1), à table. J'ai frémi qu'un seul domestique ne l'entendit; je lui ai observé qu'un mot de sa bouche pouvait devenir un signal de mort. Il est froidement positif, M. de Lafayette. Il m'a répondu qu'à Metz, comme ailleurs, les patriotes étaient les plus forts; et qu'il fallait mieux qu'un seul mourût pour le salut de tous. ses anris, effrayés de l'essor de la révolution et de la toute-puissance du peuple, désiraient que le roi et l'assemblée se transférassent à Tours, afin d'y être à l'abri de l'influence à laquelle le voisinage de Paris les soumettait. Lafayette lui-même, ainsi que l'atteste sa correspondance de l'époque avec Bouillé, avait déjà dans le cœur des dispositions favorables au projet qu'il voulut réaliser depuis, pour assurer au roi une liberté dont le premier usage eût été peut-être de punir ou du moins de méconnaître son libérateur; car celui qui a exercé le pouvoir absolu ne pardonne pas des injures comme celles que Louis avait reçues d'un sujet devenu Parbitre du sort de son maître. «M. le baron de Breteuil, qui tarde à s'éloigner, conduit le projet. On accapare l'argent, et l'on promet de fournir un million et demi par mois. M. le comte de Mercy est malheureusement cité comme agissant de concert. Voilà les propos; s'ils se répandent dans le peuple, leurs effets sont incalculables; cela se dit encore tout bas. Les bons esprits m'ont paru épouvantés des suites: le seul doute de la réalité peut en produire de terribles: j'ai été chez l'ambassadeur d'Espagne, et certes je ne le cache point à la reine, où mon effroi a redoublé. M. Fernand-Nunès a causé avec moi de ces faux bruits, de l'horreur qu'il y avait à supposer un plan impossible qui entraînerait la plus désastreuse et la plus humiliante des guerres civiles, qui occasionerait la séparation ou la perte totale de la monarchie, devenue la proie de la rage intérieure et de l'ambition étrangère, qui ferait le malheur irréparable des (1) Riche banquier. personnes les plus chères à la France. Après avoir parlé de la cour, errante, poursuivie, trompée par ceux qui ne l'ont pas soutenue lorsqu'ils le pouvaient, qui veulent actuellement l'entraîner dans leur chute..., affligée d'une banqueroute générale, devenue dès-lors indispensable et tout épouvantable..., je me suis écrié que du moins il n'y aurait d'autre mal que celui que produirait cette fausse nouvelle, si elle se répandait, parce qu'elle était une idée sans aucun fondement. M. l'ambassadeur d'Espagne a baissé les yeux à cette dernière phrase. Je suis devenu pressant : il est enfin convenu que quelqu'un de considérable et de croyable lui avait appris qu'on lui avait proposé de signer une association : il n'a jamais voulu me le nommer; mais, soit par inattention, soit pour le bien de la chose, il n'a point heureusement exigé ma parole d'honneur, qu'il m'aurait fallu tenir. Je n'ai point promis de ne dire à personne ces faits. Ils m'inspirent une grande terreur que je n'ai jamais connue. Ce n'est pas pour moi que je l'éprouve; je supplie la reine de calculer, dans sa sagesse, tout ce qui pourrait arriver d'une fausse démarche : la première coûte assez cher. J'ai vu le bon cœur de la reine donner des larmes au sort des victimes immolées ; actuellement ce serait des flots de sang vérsé inutilement qu'on aurait à regretter. Une simple indécision peut être sans remède. Ce n'est qu'en allant au-devant du torrent, ce n'est qu'en le caressant, qu'on peut parvenir à le diriger en partie. Rien n'est perdu; la reine peut conquérir au roi son royaume. La nature lui en a prodigué les moyens; ils sont seuls possibles. Elle peut imiter son auguste mère : sinon, je me tais... Je supplie votre majesté de m'accorder une audience pour un jour de cette semaine. » On ne trouve ici ni les Lameth, ni Duport, ni Barnave, ni ce Mirabeau représenté par ses adversaires comme une espèce d'Éole politique qui déchaînait toutes les tempêtes sur la France. Les imprudens conspirateurs qui jouent à |