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Elle est remontée à cheval, et la cavalcade qui était allée au devant d'elle jusqu'à la barriere l'a reconduite au palais des Thuilleries.

Au moment où le Prince est entré dans le palais, le drapeau blanc a été arboré au pavillon du centre, au milieu des acclamations d'une foule immense qui remplissait le jardin des Thuilleries. Avant d'entrer dans ses appartements, S. A. R. a passé dans tous les rangs de la garde nationale, dont la cour était remplie. Elle a conversé avec plusieurs gardes, leur a donné la main avec affabilité. Ayant été conduite à ses appartements par sa suite, elle a donné plusieurs audiences, à l'issue desquelles la cavalcade s'est retirée emportant de vives impressions qui ne s'effaceront jamais.

Le Prince étant rentré dans son appartement, un de ses serviteurs lui a dit: " V. A. R. doit être très-fatiguée,"→→ "Comment," a-t-il répondu," serais-je fatigué dans un jour tel que celui-ci, le premier jour heureux que j'aie eu depuis 25 ans."

Le soir, la plupart des édifices publics ont été illuminés spontanément et décorés d'emblêmes ingénieux.

On a joué au théâtre français la Partie de Chasse de Henri IV, qui n'avait pas été représentée depuis vingt ans. Les allusions qu'elle offrait ont été vivement saisies. L'air Vive Henri IV! a été chanté par l'audience, avec des acclamations de Vive le Roi, Vive Monsieur! Et dans la scene où l'on boit à la santé du bon Henri, les spectateurs ont demandé à grands cris qu'elle fût suivie des santés du roi, de son auguste frere, de l'Empereur Alexandre et des souverains alliés.

Paris, le 12 Avril.

Voici quelques détails sur le séjour de MONSIEUR à Livri. Cinq cents grenadiers de la garde nationale s'y étaient rendus hier pour former la garde de S. A, R. y passer la nuit et l'escorter jusqu'à la barriere. MONSIEUR etait déjà au château lorsque le premier détachement est arrivé. S A. R. est allée au-devant des grenadiers: l'officier, pris au dépourvu, s'est d'abord un peu embarrassé dans sa harangue, mais bientôt il s'est remis: Monseigneur," dit-il au Prince, "le discours' le plus éloquent ne saurait vous exprimer la joie qu'inspire votre retour à la garde nationale et aux Parisiens. Pour mon compte, je suis d'autant plus heureux que j'ai eu l'honneur de servir dans le même régiment que V. A. que je suis du même âge qu'elle, et que comme elle j'ai épousé une savoyarde." MONSIEUR a répondu à ce brave officier avec la cordialité qui caractérise les Bourbons, s'est avancé, à pied, jusqu'au bataillon de

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la garde nationale. S. A. a passé le premier rang en revue aux cris de Vive le Roi, Vive Monsieur! Elle a félicité les grenadiers sur leur bonne tenue, sur les services qu'ils avaient rendus dernierement à la ville de Paris, en y maintenant l'ordre.

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Elle a voulu voir ensuite le deuxieme et le troisieme rang, adressant à chacun les paroles les plus obligeantes et les plus affables. "Mes enfants," leur disait le Prince, malheurs sont finis; notre unique soin sera de vous les faire oublier." C'est à ces mots que les grenadiers ont jeté leurs armes, et ont entouré S. A. R.; ils le pressaient dans leurs bras. Ce n'était plus le premier prince du sang, le lieutenant-général du royaume, c'était un pere au milieu de ses ~ enfants. L'émotion, l'enthousiasme étaient au comble. S. A. R.a témoigné de l'inquiétude sur la maniere dont les grenadiers passeraient la nuit, et a donné elle-même des ordres pour que chacun fût le mieux possible

Avant de rentrer àu château, il a fait apporter des pieces de rubans blancs. On en a coupé un morceau, qu'il a mis à sa boutonniere, et en a fait distribuer à tous les grenadiers en leur disant: "Mes enfants, nous avons tous les mêmes sentiments; portons tous la même couleur, qui est celle de notre roi." En un instant, tous les grenadiers ont eu du ruban à leurs boutonnieres. S. A. R. n'a pas voulu qu'on mît de sentinelles aux portes des appartements; chacun pouvait y entrer, et le prince adressait à chacun des paroles affectueuses.

Chaque jour apporte des matériaux suffisants pour un volume d'histoire. La premiere malle réguliere de Paris arrive à Londres quand ce numéro est mis à la presse, et nous apprenons par les lettres particulieres, ainsi que par des journaux, que le Gouvernement provisoire est dissous, et que, par un décret du Sénat du 14, le gouvernement de la France a été couféré à Monseigneur Comte d'Artois, sous le titre de lieutenantgénéral du royaume jusqu'à l'arrivée de Louis XVIII et l'ac ceptation par Sa Majesté de la constitution. Le décret fut présenté à Monsieur par le Sénat en corps dans la soirée du 14. M. Talleyrand lui adressa un discours analogue à la circons tance. Monsieur répondit que quoiqu'il eût pris connaissance de la Constitution, il n'avait pas reçu de son frere le pouvoir de l'accepter; que cependant comme il connaissait ses sentiments et ses principes, il pouvait les assurer en son nom que Sa Majesté en admettrait les bases, savoir le principe d'un gouver nement représentatif divisé en deux chambres, (sauns parler du Sénat, de sa dotation, ni de son hérédité) la responsabilité des ministres, la liberté des cultes, etc. etc.

L'Empereur d'Autriche entra dans Paris en grande cérémonie le 15. Il fut reçu à la barriere du Trône par l'Empereur Alexandre, le Roide Prusse, le Prince de la Couronne de Suede, et Monsieur, et accompagné par ces augustes personnages et un concours immense de peuple, jusqu'à sa résidence, l'ancien hotel Charost, appelé depuis le palais Borghese.

Buonaparté n'est point encore parti de Fontainebleau. Il devait en sortir le jour que Monsieur entra dans Paris, mais il eut ce même jour une rechûte de sa maladie de peau, (le pourpre rentré) et il ne put pas se mettre en voyage.

L'archiduchesse Marie Louise était à Orléans, elle en partit pour Rambouillet, le 12, avec son fils, après avoir reçu des dépêches de son pere avec lequel elle doit avoir une entre

vue.

Quelqu'un parlait devant Lord Castlereagh de la magnanimité de l'Empeur Alexandre envers la France. "Sa Majesté, répliqua cet aimable et sage ministre, a eu l'initiative sur nous en générosité, mais l'Angleterre ne restera pas en arriere avec lui." Il dit encore sur la situation politique de l'Europe: "Les nations de l'Europe ont suffisamment prouvé leur courage, maintenant elles ne doivent se disputer entr'elles qu'à qui sera la plus généreuse et la plus modérée.

M. Gray, secrétaire du Prince Royal de Suede, et chevalier de l'ordre de l'étoile polaire, est arrivé le 16 à Londres. Il était porteur de lettres de S. A. R. pour le Roi de France qu'il a eu l'honneur de remettre à S. M. à Hartwell House, et pour Mgr. le Prie de Condé.

Les personnes qui ont paru désirer accompagner Buonaparté à l'isle d'Elbe, sont Bertrand, grand maréchal du palais, les généraux Ornano et Lefevre Desmouettes et le colonel Mallet. Son mamelouk favori Roustan n'a pas voulu le suivre, quoiqu'il l'en pressât vivement. Il proposa à son maître de le tuer comme l'esclave de Brutus. Mais Napoléon n'était ni un Brutus ui un Caton; il n'était qu'un brutal et un capon, et il refusa de se prêter à cette cérémonie roinaine.

Bayonne est au pouvoir aes troupes anglaises. La navigation de la Garonne est libre. Brest, Rochefort, Toulon, Anvers, Bergopzoom, Ostende, tout a arboré la cocarde blanche.

L'Angleterre est aussi toute Française. On ne voit que drapeaux et cocardes blanches. On n'entend que le cri de Vive Louis XVIII, Vivent les Bourbons!

L'enthousiasme, le délire sont au comble. Tout présage cette fois que l'union, la paix et la concorde seront suivies d'un long calme et d'une longue tranquillité.

VOL. XLV.

2 C

LE ROI.

Sa Majesté Louis XVIII fera son entrée publique à Loudres le Mercredi 20, entre midi et deux heures, avec tout le cérémonial dû à son haut rang et à ses vertus publiques et particulieres. Sa Majesté se rend d'abord à Stanmore, où S. A. R. le Prince Régent doit aller à sa rencontre, et de là l'accompagner à Londres. Sa Majesté traversera Hyde-Parc, depuis la porte dite Cumberland-gate jusqu'à celle de Piccadilly, et depuis ce dernier point jusqu'à Albermarle-street, où l'hôtel de Grillon a été préparé pour S. M., la ligne sera bordée d'une haie d'infanterie. Tous les régiments de cavalerie qui se trouvent dans la capitale et dans les environs précéderont les carrosses. A l'arrivée de S. M. les canons du Parc et de la Tour tirerout une salve royale. Le Jeudi 21, S. M. assistera à une fête splendide, que le Prince donnera eu son honneur et en celui de madame la Duchesse d'Angoulême à Carlton-house.

C'est Samedi prochain que ces augustes voyageurs doivent se mettre en route pour Douvres, d'où les yachts du Roi, préparés avec une somptuosité digne du Prince Régent, digne de la nation Britannique, digne des Bourbons, transporteront à Calais ce double espoir de la France, sous l'escorte de la frégate le Jason, commandée par l'amiral de la flotte lui-même, S. A. R. Mgr. le duc de Clarence. Nous rendrons dans notre prochain Numéro le compte le plus détaillé de tous ces mouvements, signal de bonheur, de paix, de prospérité, d'ordre, de félicité publique, de liberté légale, de concorde et de satisfac tion intérieure.

Nunc motos præstat componere fluctus.

Allez, partez, âmes généreuses, nobles et vraiment royales; anges tutélaires de la France! Allez ouvrir vos bras à des sujets repentants qui vous attendent à genoux. Voyez se précipiter

sur votre passage ces gentilshommes si long-temps persécutés, ces négociants ruinés, ces artisans sans emploi, ces cultivateurs sans enfants qui n'espéraient qu'en vous pour cicatriser leurs blessures, et dont votre présence sera la premiere consolation et le premier bienfait. Allez jouir de leurs bénédictions, de leur amour et de leur affection pour vous et pour le sang qui vous a donné la vie. Mais pendant ce doux échange de caresses filiales et paternelles, daignez ne pas oublier les nombreux enfants que votre départ d'Angleterre va laisser orphelins! Lorsque vos regards augustes se porteront sur les bords riants de la Seine, qu'ils vous rappellent ceux de la Tamise sur lesquels continuera de gémir une colonie délaissée, privée de ses guides, de ses amis, de ses protecteurs naturels. Et nous, aussi, nous sommes condamnés à rester enchaînés par les liens du malheur sur les fleuves d'une nouvelle Babylone, et à y faire entendre nos gémissements sur notre antique Sion. Hélas! de tous les sacrifices que nous avons faits pour votre maison depuis tant d'années, le plus pénible nous reste peut-être encore à faire: celui de nous voir bientôt condamnés, faute de moyens de subsister en France, à ne jamais vivre sous votre gouvernement paternel. Non, vous ne pourrez pas le sanctionner, ce dernier sacrifice. Que le tableau de nos miseres et de notre dévoûment soit quelquefois présent à vos regards, au milieu des flatt ries et des craintes dont va vous assiéger une

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