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Ancien Député à l'Assemblée Constituante, sur l'Acte Constitutionnel du Sénat.

On m'a fait lire deux actes du Sénat: l'un par lequel il prononce la déchéance de Buonaparté ; l'autre qui a pour objet de fixer les bases de la Constitution qu'il prétend nous faire accepter.

Le premier de ces actes m'a surpris. Je n'ai pu comprendre comment le Sénat en le rédigeant n'avait pas aperçu qu'il ne pouvait, sans une grande inconvenance, livrer à l'opprobre, un homme auquel après tout il doit ses éminentes prérogatives et son étrange fortune. Buonaparté a été mon ennemi comme celui de tous les Français qui ont des principes et de l'honneur. Or, je l'avoue, je me croirais bien vil, si maintenant qu'il a cessé d'être redoutable, je poursuivais avec un VOL. XLV.

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ridicule acharuement sa mémoire. On peut braver un ennemi aussi long-temps qu'il est à craindre; et dans une cause juste, il y a du courage sans doute à lutter contre sa puissance, mais lorsqu'on a gardé le silence devant lui, le braver seulement quand il ne reste plus rien de ce qu'il était qui puisse inspirer de la terreur, c'est l'action d'un lâche, c'est insulter à un cadavre; c'est laisser entrevoir que ce n'est pas de la conscience qu'on emprunte son langage, mais uniquement des circoustances où la fortune nous jette.

Que serait-ce donc, si, comme les membres du Sénat, j'avais accepté ses bienfaits; si, pour les mérite je m'étais rendu l'apologiste de tous ses crimes; si, désavouant peut-être en secret ses fureurs, j'en avais fait publiquement le sujet de mes éloges; si la nation devait à ma servile complaisance pour lui tous ses malheurs, la ruiue de l'agriculture, l'anéantissement du commerce; des impôts impossibles à payer, et cependant exigés avec une dureté sans exemple; le deuil profond de toutes les familles; la mort de plus de cinq millions d'individus arrachés de leurs foyers pour aller périr sur des champs de bataille? Que serait-ce, si, pouvant parler, si par le droit de ma place, ayant une autorité suffisante pour m'opposer aux projets désastreux de cet homme impitoyable, je les avais consacrés par mon suffrage; si par ce suffrage honteux je l'avais moi-même excité à oser tous les jours davantage? Que seraitce si, pour obtenir des grâces, j'avais étouffé toutes les réclamations, méprisé toutes les douleurs; si, me plaçant entre son trône et le peuple français, j'avais prêté au peuple français, dont je me disais et dont je n'étais pas l'organe, un langage qui n'était que le mien: si dans les départements j'avais sollicité par la crainte des adresses d'approbation pour tous les actes de son délire; si j'avais commandé la joie, quand les larmes coulaient de toutes parts; si j'avais insulté par mon luxe, par le spectacle insolent de ma fortune à la misere publique; si, quand on contraignait jusqu'aux dernieres classes de la société, à se priver de leur nécessaire toujours si borné, pour satisfaire à tant de folies, j'étais demeuré seul insensible au milieu de la désolation générale, occupé de me faire payer mes honoraires, et d'ajouter un peu d'or à l'or que j'aurais déjà recueilli? Je le demande à tous les hommes honnêtes, à tous ceux qui ont quelque idée des bienséances et des devoirs délicats qu'elles imposent, n'est-il pas vrai qu'alors je me serais privé du droit de prendre part à l'indignation commune? Et quand il ne me resterait plus qu'à me faire oublier, me conviendrait-il, en effet, de me montrer parmi cette multitude innombrable de malheu reux dont d'affreux souvenirs ont rendu les ressentiments légi times.

On compte dans le Sénat un petit nombre de personnes qui ne manquent ni de talents, ni d'adresee. Or, comment ne les

a-t-on pas consultées avant de livrer au public cet acte de déchéance? Certes, ou je me trompe fort, ou elles auraient dit qu'une pareille piece n'était au foud qu'un acte d'accusation contre le Sénat, que, puisque le Sénat était chargé par son institution de conserver la Constitution d'ailleurs très-mauvaise qui nous avait été donnée, si Buonaparté ne l'avait pas respectée, les sénateurs seuls étaient les vrais coupables; que détailler comme ils le faisaient les attentats de celui-ci contre la Constitution, c'était révéler leur propre prévarication, et que, puisqu'ils voulaient prononcer sa déchéance, il était prudent du moins de la motiver, sans spécifier des griefs trop particuliers et trop nombreux, et afin de ne pas encourir le reproche d'ingratitude, qu'il convenait surtout qu'ils ne parlassent que comme organe nécessaire du peuple français, de ce peuple dont il a été si long-temps l'oppresseur et le bourreau*.

L'acte constitutionnel m'a encore plus étonné que l'acte de déchéance. Je me suis demandé d'abord à quel titre le Sénat s'était permis de rédiger pour la France une constitution. Le Sénat ne doit son existence qu'à la Constitution même qui vient d'être détruite. Il est donc dissous par le fait; il n'est donc plus qu'une association d'individus saus caractere politique et sans droits. Et alors, d'où emprunte-t-il la mission qu'il se donne? Qui est-ce qui l'a invité à nous constituer de nouveau? et pourquoi nous imposerait-il des lois, lui qui, déchu de sa puissance, n'a plus rien aujourd'hui qui le sépare des citoyens ordinaires?

Dira-t-il qu'il représente la nation? Quoi! le Sénat représente la nation! Mais a-t-il oublié que par son institution même, il n'était pas appelé à délibérer sur ses intérêts; qu'il n'était chargé que de garantir de toute atteinte, la chartre constitutionnelle, dont quelques-uns de ses membres avaient rédigé les articles; que pour être représentant d'une nation, il faut être immédiatement délégué par elle, et que, lorsqu'il s'agit surtout de la constituer, une délégation ordinaire ne suffit pas; qu'il faut, de plus, pour une œuvre pareille, un mandat spécial qu'aucun autre acte ne peut remplacer ?

Et puis, qu'est-ce que dans son systême le Sénat fait du

* Au reste, je suis bien loin d'imputer à tous les membres du Sénat les actes irréguliers, pour ne rien dire de plus, qu'il vient de se permettre; il y a dans ce corps, et même parmi ceux qui ont souscrit les premiers l'acte constisutionnel, quelques hommes recommandables par des qualités précieuses, et qui, s'ils eussent appartenu à un meilleur temps, auraient bien mérité de leur patrie. Je ne parle ici que de ceux qui par leur ascendant déterminent les opinions du Sénat.

corps législatif? Celui-là représente bien véritablement la nation. Or, a-t-il été admis aux délibératious du Sénat ? estce avec lui qu'on a discuté l'acte constitutionnel? a-t-on livré à la discussion, dans sou sein, chacun des articles de cet acte extraordinaire? Si rien de tout cela ne s'est fait, si ce ne sont pas ceux qui avaient le droit d'agir et de parler, qui ont agi, qui ont parlé, qu'on me dise donc, d'après quelle maxime, d'après quelle loi les membres du Sénat voudraient me forcer à respecter leur ouvrage?

Je me suis demandé ensuite, comment le Sénat avait pu décréter que Louis XVIII ué serait proclamé roi qu'autant qu'il aurait accepté l'acte constitutionnel. Est-ce que Louis XVIII a besoin du Sénat pour être roi ? la royauté n'a-t-elle pas toujours été héréditaire en France? n'est-il pas le frere de Louis XVI et l'oncle de Louis XVII? Louis XVIII, d'ailleurs, peut-il accepter l'acte constitutionnel avant que la nation elle-même, qu'il faut cependant compter pour quelque chose*, ait émis son vou? Et jusqu'à cette acceptation que fera-t-il? Ne sera-t-il qu'un simple particulier dont l'état n'est pas fixé, et qui n'a dans le systême social aucune fonction à remplir?

Louis XVIII a conféré à MONSIEUR la lieutenance générale du royaume, suivant l'ancien usage de la monarchie. Tous les Français ont cru que MONSIEUR était en conséquence suffisamment autorisé à prendre en main les rênes du gouvernement. Le Sénat, ce Sénat, je ne crains pas de le dire, que toute la France réprouve, n'a pas pensé de même. Il s'est permis de regarder Louis XVIII comme incompétent, daus la nomination qu'il a faite du prince son frere, et ce n'est qu'après l'avoir nommé lui-même, qu'il a souffert que les Français lui obéis

sent.

Il faut que je dise toute ma pensée. Voudrait-on légitimer en quelque sorte l'assassinat juridique de Louis XVI? Voudrait-on consacrer au moins tacitement, la doctrine contenue dans l'acte par lequel la convention a déclaré déchus du trône pour toujours les nobles descendants de Charlemage, de Saint Louis, d'Heuri IV? En conséquence de cet acte épouvan table, aurait-on pensé qu'on ne doit pas recevoir Louis XVIII

* J'avertis, au reste, qu'il ne faut pas regarder comme vœu de la nation, les adhésions forcées, qu'à force de mensonge et de menace on pourra obtenir de la faiblesse des autorités constituées dans les provinces. La nation détestait Buonaparté, et les journaux n'étaient remplis que d'adresses pleines de protestations de dévoùment pour le meilleur et le plus aimé des souverains. On sait comment on se procurait ces adresses, on comprend donc de quelle maniere aussi on pourra se procurer ces adhésions.

À

comme un prince qui a des droits qu'on ne peut méconnaître, mais comme un prince qui atteud d'une volonté étrangere une couronne à laquelle, par lui-même, il ne lui est pas permis de prétendre? Ainsi douc, il suffirait qu'une troupe de factieux, après avoir soumis à l'ignominie d'une procédure criminelle un roi légitime, l'eut fait périr sous la hache d'un bourreau, pour que cet attentat exécrable produisit à la nation, dans le sein de laquelle il aurait été commis, un droit nouveau, et l'affranchit pour toujours de ses devoirs envers la famille de l'auguste victime que les barbares auraient sacrifiée ou à leur interêt, ou à leur vengeance? Je ne sais, mais il me semble qu'il est difficile d'offenser avec plus de hardiesse la majesté des têtes couronnées, et les principes de cette morale éternelle, sans lesquels il n'y a que désordre, anarchie et bouleversement dans les em pires.

Au reste, et je me hâte de le dire, je suis loin d'imaginer qu'une pensée si affreuse se soit présentée à l'esprit de ceux qui ont souscrit l'acte sur lequel on se propose d'élever l'édifice de notre constitution nouvelle. Cependant, il n'est pas moins vrai qu'une telle pensée est cachée en quelque sorte dans la rédaction de cet acte important, et qu'un jour peut-être elle pourra donner lieu à des événements bien funestes.

Enfin, je me suis demandé comment le Sénat avait été assez peu soigneux de sa renommée, pour entreprendre de convertir en dignités et en patrimoines héréditaires, des dignités à vie et des biens qu'il ne possede qu'à titre d'usufruit. Est-ce que ces biens n'appartiennent pas à la nation? est-ce qu'il a le droit de transmettre à ses héritiers ces dignités, qui étaient la propriété de tous, puisque tous pouvaient y prétendre? Quoi! de son autorité privée, il déclare que ce qui ne lui a été que confié, est irrévocablement à lui; il conteste à nos princes leurs droits au trône, et pour satisfaire son avarice et sa vanité, sans demander aux français leur aveu, il fait sortir, pour ainsi dire, du commerce, les honneurs dont il jouit, les domaines et les terres dont il perçoit les revenus, mais qui ne lui ont pas été aliénés; et ne donnant pour raison de son usurpation que sa volonté, il annonce fierement que Louis XVIII ne sera proclamé roi, qu'autant qu'il aura cousacré par son suffrage une usurpation si violente et si honteuse.

Voilà, donc les membres du Sénat, devenus, par leur fait, pairs et premiers pairs du royaume. Et les Roban, les Montmorency, les Périgord, les Choiseul, les Brisssac, les la Trémouille, lorsque le roi jugera à propos de leur conférer cette dignité, pe marcheront qu'à leur suite. MM. Garat, Grégoire, Chaptal, Chasset et tous ces hommes qui, au commmencement de notre funeste révolution, ont déclamé avec tant de véhémence, contre les titres, les distinctions, les priviléges, qui ont défendu avec tant d'opiniâtreté le système de l'égalité des

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