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No. CCCCIV.-Le 20 Juin, 1814.

Fin de la premiere Partie de l'Histoire du 18 Brumaire.

Si l'on compare cette nouvelle scene révolutionnaire avec celles qui l'ont précédées, on ne voit daus sa forme qu'une répétition des journées du 31 Mai et du 18 fructidor; cette derniere ne coûta pas plus de sang et ne reucontra pas plus de contradiction; mais à ces deux époques on enfreignait la constitution en colorant cet ouvrage d'un respect hypocrite po ur les lois; aujourd'hui on avoue franchement qu'on les abolit. On n'a point séparé le procès du régime de celui des gouvernants, ni encouru le reproche d'inconséquence; mais on n'a pu éviter ceux de violence et d'abus de pouvoir. Il fallait publier ces événements; il fallait les arranger de maniere à fairecroire qu'ils étaient le résultat de la nécessité et le fondement du bonheur public. Ce fut l'ouvrage des misérables écrivailleurs dont Buonaparté s'était déjà environné, et le sujet des affiches et desproclamatious dont nous allons parler.

CHAPITRE X.-De l'Utilité des Affiches et des Proclamations.

Bayle a pris la peine de faire une dissertation sur l'utilité des fausses nouvelles. (Article EDOUARD: remarque 0.)

"On attribue, dit-il, à Catherine de Médicis cette maxime: Qu'une fausse nouvelle crue pendant trois jours, pouvait affermir la VOL. XLV.

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couronne sur la tête d'un usurpateur". Les histoires, ajoute-t-il, sont remplies de l'utilité des faux bruits. Le duc de Mayenne ayant perdu la bataille d'Ivri, ne se maintint à Paris qu'en faisant accroire aux badauds qu'il avait gagné cette bataille, et que le Navarrois y avait été tué.

"Les peuples ont un merveilleux penchant à croire tout ce qui flatte leur opinion, et ils ressemblent en cela à cette canaille qui se prosternait devant le cardinal légat, lequel disait, en lui distribuant ses bénédictions: Puisqu'elle veut être trompée, tromponsla."

A l'exemple de Bayle, nous pourrions également faire une dissertation sur l'utilité des affiches et des proclamations, dont on a fait un si grand usage dans ces derniers temps, et dont on a surtout tiré un si prodigieux parti au profit de Buonaparté: nous nous contenterons d'en faire la remarque.

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Lorsque tout fut terminé au palais de St.-Cloud, les conjurés, les soldats, les amis et les ennemis, tout le monde s'en revint à Paris: le soir on publia aux flambeaux une proclamation dans laquelle on disait à qui voulaient l'entendre: Que la République venait encore une fois d'échapper aux fureurs des factieux; que les représentants du peuple avaient brisé le poignard dans les mains parricides; que notre liberté, toute déchirée et toute sanglante, allait trouver un asyle dans les bras d'une constitution pleine de sagesse; que notre gloire militaire effacerait les plus gigantesques Souvenirs de l'antiquité; que le royalisme ne releverait plus sa tête hideuse; que toutes les traces du gouvernement révolutionnaire seraient effacées; qu'une ere nouvelle enfin allait commencer pour les Français, etc. Telle est la sotte crédulité du peuple, et telle est encore la confiance des jongleurs politiques, que cette proclamation trouva des admirateurs et des néophytes qui en adopterent tous les points de dogme et tous les articles de foi. Et néanmoins combien de fois nous avait-on trompés avec ces vaines déclamations? combien de fois n'avions-nous pas tourné en dérision cette liberté tant vantée, tant baffouée par tous les partis, ce royalisme à téte hideuse, qui se trouve partout, et sous les étendards des jacobins et sous les aigles de leurs rivaux. Ces poignards levés sur les représentants du peuple, ces mains parricides et les bras de cette constitution pleine de sagesse !... De bonne foi, un pareil style était usé; il n'en fut pas moins admiré, non-seulement de cette canaille, qui veut être trompée et mérite d'être trompée, mais dans les salons dorés, où l'on commençait à mettre en question les droits de Buonaparté à la succession de Louis XVI.

La veille, le ministre de la police nous avait débité les mêmes sornettes suivant lui," les événements étaient préparés pour notre bonheur et pour celui de la postérité; tous les républicains

* C'est probablement d'après cette maxime que M. le duc de Rovigo, ministre de la police, ses premiers valets-de-chambre, ont fait courir tant de fausses nouvelles dans Paris, par le moyen des trois journaux qu'ils avaient à leur disposition; et c'est ainsi que, trompant sans cesse la multitude qui les lisait, ils ont conservé, pendant une mortelle année de plus, la couronne sur la tête du

monstre.

devaient être calmés, puisque leurs vœux allaient être remplis ; les faibles devaient se rassurer, puisqu'ils étaient avec les forts.

Les forts! quels étaient-ils donc ces forts, chargés de rassurer les faibles? des intrigants de toutes les classes, des factieux de tous les partis, et des avanturiers de toutes les nations, à qui il en avait moins coûté pour conquérir le pouvoir souverain de la France, que pour échapper à la poursuite des beys en Egypte. Il était digne de notre siecle et de nos mœurs, qu'une nation de vingt-cinq millions d'hommes qu'on ne cessait d'outrager depuis dix ans, tantôt par des actions de cannibales, et tantôt par des propos de Tabarin, fut assez avilie et assez méprisée pour être mise sous la protection de tels forts.

Lorsqu'on daigne, de plus, nous apprendre que les événements sont enfin préparés pour notre bonheur, qu'a-t-on voulu dire? qu'estce que cela signifie de la part de ces mêmes hommes, que nous avions toujours vus dans les rangs de ceux qui ont fait notre malheur ?

Le département de Paris fit aussi sa proclamation, dans laquelle il disait : " que le 18 brumaire n'était point un jour d'alarmes, que c'était, au contraire, celui d'une restauration générale. Buonaparté, dans lequel tout citoyen devait placer toute sa confiance, s'était chargé de veiller à la sûreté du Corps-Législatif, à la gloire de la république et au bonheur du genre humain." Au bonheur du genre humain! il faut convenir qu'il a bien rempli sa mission, et que le genre humain lui doit de grandes actions de grâces pour avoir și bien veillé à son bonheur !

Outre ces proclamations officielles, dans lesquelles la langue et le bon goût n'étaient pas moins outragés que la vérité, on était le maître de lire l'apologie de la révolution qui venait de s'opérer, dans d'énormes affiches qui tapissaient tous nos murs, mais dont les auteurs avaient jugé à propos de garder l'anonyme.

Dans l'une de ces affiches, on essayait de justifier par la constitution, tout ce qu'on avait fait pour la renverser. C'était un tour

de force digne du plus habile escamoteur de l'Europe.

On faisait dans l'autre l'histoire abrégée des sottises du Directoire et des Conseils, après quoi l'auteur (R. D. S. J. D.) ajoutait avec son intrépidité ordinaire: Buonaparté restaurera cette constitution dégradée, et fera disparaitre le platras qui couvre la statue de la liberté. Ce platras n'était guere de bon goût et ne parut pas d'un style noble aux yeux de la plupart des lecteurs.

Je ne sais pas précisément si les auteurs de ces amplifications s'étaient proposés de tromper le peuple sur les événements de St.Cloud, ou s'ils étaient trompés eux-mêmes; il est au moins certain qu'ils comptaient bien attirer sur eux les regards et les bienfaits du nouveau maître qu'ils venaient de se donner: et en cela ils ne tromperent pas. Ils furent tous récompensés avec magnificence; les uns avec de l'argent, les autres avec des places.

Fouché de Nantes, alors ministre de la police, a trouvé moyen, par la sagesse de son administration, de faire oublier les torts graves de sa conduite pendant qu'il était député à la convention.

CHAPITRE XI.-Suite du 18 Brumaire.

On arrêta quelques jacobins pour la forme, qu'on relâcha le lendemain sans difficulté. On en proscrivit une cinquantaine saus motif, et on les appela trois jours après sans condition.

La raison de ces variations était facile à saisir. Les vainqueurs, anciens jacobins eux-mêmes, ne virent plus dans les vaincus que des camarades malheureux auxquels ils voulurent bien tendre une main secourable.

On s'attendait à Paris à beaucoup de changements importants, qui n'eurent pas lieu, ou qui n'eurent lieu que long-temps après; parce que les faiseurs eurent peur de leur ombre, et ce qu'ils appelaient la réaction.

Les Parisiens, toujours crédules et tonjours trompés, avaient espéré, sur la parole des journaux, des affiches et des proclamations, qu'ils allaient goûter les fruits de la paix, de l'abondance et de la liberté quelques-uns d'eux eurent même la hardiesse de solliciter l'accomplissement de ces promesses. On leur répondit avec une froide ironie vous êtes apparemment de la faction des impatients. Et ce mot devint la consigne de tous les ministeres.

:

Les premiers jours qui suivirent le 18 furent des jours d'allégresse dans les départements, où les agents du Directoire avaient porté la tyrannie aussi loin qu'elle pouvait aller. Chacun releva la tête d'assez bonne grâce, oublia le passé de bon cœur, et crut voir s'ouvrir devant lui une nouvelle et riante perspective de bonheur. Cette illusion ne fut pas de longue durée.

A Paris, comme dans les départements, les royalistes penserent un moment que leur idole allait se relever sur les ruines du Direc

toire.

Dans les départements, comme à Paris, les républicains se mirent en tête que ces ruines, rassemblées par une main savante, allait s'élever un édifice plus solide et plus majestueux que le premier... ils se trompereut les uns et les autres.

Entre les uus et les autres, se trouverent des hommes, et en grand nombre, qui ne tenaient pas plus à la république qu'à la monarchie; mais qui savaient très-bien en prendre le langage et Ja livrée, suivant l'occasion; arrivaient par ce moyen, soit aux places, soit à la fortune, éternels objets de leurs méditations et de leurs travaux.

Le public demandait le rapport de toutes les lois révolutionnaires, et il avait d'autant plus de raison d'y compter, que tous les échos du gouvernement ne cessaient de lui répéter que la révolution était fine.

Parmi ces lois, celle du 18 fructidor qui proscrivait tant d'innocentes victimes, était vivement et unanimement réclamée. Ce fut en vain. On remit à d'autres temps l'examen d'une cause qui n'était plus équivoque pour personne, et on répondait à ceux qui s'indignaient de ces leuteurs et de ces délais : vous êtes de la faction des impatients.

Cependant Lafayette, Latour-Maubourg, Valence, Liancourt, Jes Lameth, etc., rentraient paisiblement en France, et venaient eux-mêmes solliciter leur radiation : on en concluait que les émigrés

ayant un droit égal à leur rentrée, l'obtiendraient avec une égale facilité; et l'on avait tort.

On rendait la liberté à quelques prêtres assermentés, et la parole à un petit nombre d'écrivains bâillonnés par le directoire, et l'on en concluait que la liberté des cultes et celle de la presse allaient obtenir une garantie suffisante; et l'on avait tort.

On croyait que les pauvres rentiers, que la constitution de l'an 3 avait dépouillés des trois quarts de leurs rentes, et qui étaient fort mal payés de l'autre quart, seraient mieux traités, et peut-être payés de tout ce qui leur était dû; et l'on avait tort.

On célébrait sur tous les théâtres les vertus extraordinaires de Buonaparté, ou annonçait dans tous les journaux le retour des idées libérales, on voyait apparaître sur la liste des hommes en place le nom de quelques hommes qui n'étaient ni sans talent, ni sans probité, et l'on en concluait que le regne des sots, des fripons, des tyrans et des tartuffes était passé; et l'on avait encore très grand tort.

Mais de tous les torts le plus grave et le plus impardonnable de la part de la nation, fut d'avoir cru à un gouvernement constitutionnel, lorsqu'on lui donnait évidemment un gouvernement militaire.

Tout avait été militaire dans cette révolution : quoique le chef des conjurés eût paru recevoir l'impulsion, c'était lui qui l'avait donnée. Il avait déjà le bâton du commandement, lorsqu'on le pria de l'accepter. Les généraux de la république avaient été ses adjudants, les soldats de l'état les exécuteurs de ses ordres, la salle des Anciens sa chancellerie, celle des Cinq-Cents son champ de bataille.

L'opération, le langage et les acteurs, tout avait été guerrier: tont annonçait, tout manifestait les intentions de guerre que cherchaient en vain à piller les proclamations, les affiches, les journaux et les poëtes des boulevards.

Buonaparté affectait de porter l'uniforme militaire. Il n'estimait que la profession militaire; il parlait déjà de faire de la France un camp, et de tous les Français des soldats. Comment pouvait-on s'y tromper? Comment ne vit-on pas que la constitution, qu'il nous promettait, n'était qu'un voile destiné à couvrir l'excès de ses usurpations, et la plus monstrueuse tyrannie qui ait jamais existé.

CHAPITRE XII-De l'Abus des Constitutions politiques.

Ils ont tant fait que nous n'avons plus de constitution, tel étaitle titre d'une affiche qui parut alors, et qu'on lut avec quelque intérêt, parce qu'elle offrait quelques idées nouvelles ; et tel fut

On donnait en même temps aux Italiens: les Mariniers de St.-Cloud; aux Troubadours: la Pêche aux Jacobins; au Vaudeville la Girouette de St.-Cloud: à l'Ambigu-Comique: la Journée de St.-Cloud; au théâtre des Victoires le 19 Brumaire; au théâtre Moliere: les Projets à vau-l'eau, etc.

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