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communes de la banlieue à cuire pour Paris. Renvoyé au comité des subsistances.

L'assemblée écarta ensuite un projet qui lui était adressé par un citoyen, et qui contenait la proposition de taxer le pain à différents prix, de manière que les riches payassent pour les pauvres; mais elle remplaça ce projet par un arrêté qui fut affiché, et dont voici les principales dispositions :-Trois cent mille francs étaient offerts en prêt à la communauté des boulangers pour les aider dans leurs achats; mais la commune n'ayant point cette somme à sa disposition, une souscription était ouverte pour en remplir le

montant.

Versailles, samedi 3 octobre. L'assemblée nationale ne fut encore occupée que de questions de finances. La discussion roula surtout sur le prêt à intérêt, et se termina par un décret qui autorisait ce prêt, pourvu qu'il ne dépassât pas le terme fixé par la loi. La fin de la séance fut occupée par une seconde lecture de l'adresse rédigée par Mirabeau. Elle fut encore ajournée. Les choses graves se faisaient hors de l'assemblée. Un nouveau repas, semblable à celui de l'avant-veille, avait lieu au manége: la famille royale y manqua, mais il y avait beaucoup de grands seigneurs, et les convives étaient plus nombreux. L'orgie fut aussi complète que la première, et marquée par le même enthousiasme, les mêmes imprudences. On alla, dit-on, jusqu'à dresser une liste de proscription contre les meilleurs patriotes de l'assemblée. On annonçait en même temps que, le lendemain, la garde nationale de Versailles fraterniserait avec les soldats du régiment de Flandre, aux frais de la municipalité. Cela eut lieu en effet, mais fort tranquillement, sans enthousiasme d'aucune part tout se borna à quelques tonneaux de vin consommés

en commun.

Paris, dimanche, 4 octobre. « La femme du roi, dit Desmoulins, avait été trop contente pour que ce repas fraternel du jeudi ne fût pas répété. Il le fut le samedi, avec des circonstances aggravantes. Notre patience était poussée à bout, et on juge bien que tout ce qu'il y avait de patriotes observateurs à Versailles en partirent eux-mêmes pour porter ces nouvelles à Paris, ou du moins firent partir leurs dépêches contenant ces détails. Le même jour (le samedi soir), tout Paris s'émeut. C'est une dame qui, voyant que son mari n'était pas écouté au district, vint la première à la barre du café de Foy dénoncer les cocardes anti-nationales. M. Marat vole à Versailles, revient comme l'éclair, fait lui seul autant de bruit que les quatre trompettes du jugement dernier, et nous crie: O morts, levez-vous! Danton, de son côté, sonne le tocsin aux

Cordeliers (Danton était le président de ce district). Le dimanche, ce district immortel affiche son manifeste, et dès ce jour faisait l'avant-garde de l'armée parisienne, et marchait sur Versailles, si M. de Crèvecœur, son commandant, n'eût ralenti cette ardeur martiale. On prend les armes, on se répand dans les rues à la chasse des cocardes d'une seule couleur. On use de représailles; elles sont arrachées, foulées aux pieds, avec menace de la lanterne en cas de récidive. Un militaire essayant de rattacher la sienne, cent cannes qui se lèvent lui en font perdre l'envie. Tout le dimanche se passe à faire main basse sur les cocardes noires et blanches, à tenir conseil au Palais-Royal, au faubourg Saint-Antoine, au bout des ponts, sur les quais. Il s'établit à la porte des cafés des conférences entre la chambre haute et les habits qui sont dans l'intérieur, et la chambre basse, les vestes et les bonnets de laine attroupés extra-muros. On observe que la hardiesse des aristocrates s'accroît à vue d'œil, que madame Villepatour et autres femmes de la reine distribuent dans l'Oil-de-Bœuf, à tout venant, d'énormes cocardes blanches; que M. Lecointre, pour avoir rejeté cette pomme de discorde de la main des courtisanes avec la fierté convenable, a failli être assassiné. On observe qu'il n'y a pas un moment à perdre, que le bateau qui apportait les farines de Corbeil, matin et soir, n'arrive plus que tous les deux jours. Voudrait-on nous attaquer dans un moment où on nous aurait tenu à jeun pendant quarante-huit heures? On observe que, malgré les itératives adhésions des provinces aux décrets, les parlements donnent encore des signes de vie; que Toulouse brûle des brochures; que Rouen décrète des patriotes absous par l'assemblée nationale; que Paris enregistre, et que M. Ysabeau, malgré nos réclamations, ne veut point changer ses rubriques, et s'opiniâtre à se servir de la formule gothique : Louis, par la grâce de Dieu; car tel est notre bon plaisir. On observe que l'aristocratie avec la chicane semble s'être retirée dans la Normandie; que c'est là que tout le monde lit le journal de l'abbé Sabatier (1). On observe qu'il se tient des conciliabules dans les hôtels des aristocrates; qu'il existe des racoleurs, et qu'on s'enrôle ailleurs que dans les districts, et clandestinement. On observe qu'on a vu à Paris, ainsi qu'à Versailles, un uniforme sinistre, uniforme vert à parements rouges; qu'on équipe un nouveau corps de troupes comme surnumérariat indéfini de gardes du corps; qu'il existe un projet de faire enclouer tous les canons dont se sont emparés les Parisiens,

(1) Journal politique national des états généraux et de la révolution de 1789, par l'abbé SABATIER. - C'est un assez mauvais ouvrage dont jusqu'à présent nous n'avons pas pu extraire un seul mot.

en subornant un certain nombre d'hommes par district. La fable aide au soulèvement général, aussi bien que la vérité et la terreur, les ouï-dire aussi bien que les faits notoires. On conte que le soir, des mains invisibles, et qu'on ne peut prendre sur le fait, marquent quantité de maisons en rouge et en noir. On conte que 1,500 uniformes ont été commandés à un tailleur, 40,000 fusils à un arquebusier. On conte qu'un meunier a reçu un billet de caisse de 200 livres pour ne pas moudre, avec promesse de lui en faire passer ainsi un bon nombre, s'il voulait demeurer les bras croisés dans son moulin... » (Révolutions de France et de Brabant, t. III,

p. 359.) Cette narration offre un tableau assez exact de l'aspect que présentait Paris le samedi soir, et dans la journée du dimanche. Loustalot donne les mêmes détails dans son journal hebdomadaire. Il est assez remarquable que les journaux quotidiens, au reste peu nombreux alors, soient complétement vides de ces renseignements dramatiques tant recherchés aujourd'hui.

« Il faut un second accès de révolution! disions-nous il y a quelques jours, s'écrie Loustalot... tout s'y prépare... l'âme du parti aristocratique n'a point quitté la cour! Citoyens! c'est en vain que nous dévouons nos têtes aux haines les plus puissantes, que, nous livrant sans cesse aux recherches les plus pénibles, nous veillons pour vous, si vous ne lisez que pour satisfaire une puérile curiosité; si vous ne vous attachez à suivre le fil des événements et à en reconnaître les causes...

« On assure, continue Loustalot, que l'aristocratie n'a ainsi levé la tête que parce qu'une foule d'anciens officiers, de chevaliers de Saint-Louis, de gentilshommes, d'employés déjà compris dans les réformes ou qui vont l'être, ont signé une soumission de se joindre aux gardes du corps; que ce registre contient déjà trente mille noms; que le projet des chefs aristocratiques est d'enlever le roi, de le conduire à la citadelle de Metz, pour pouvoir faire, en son nom, la guerre à son peuple, et le mettre dans l'impuissance d'empêcher une guerre civile, en se jetant entre les armes de ses sujets. >> Le même soir, Marat faisait imprimer ce qui suit, dans son Ami du peuple; mais pour ne paraître que le lundi matin :

Au rédacteur de l'Ami du peuple.

« Paris, 4 octobre 1789. Monsieur, une nouvelle orgie célébrée à Versailles par les gardes du corps, les officiers du régiment de Flandre, un grand nombre d'officiers d'autres régiments, et les chefs de la milice bourgeoise, orgie où une grande princesse a fait paraître l'héritier du trône, où l'on a arboré une cocarde

antipatriotique, et où des sons mystiques de conjuration ont été répétés par éclats, vient de jeter l'alarme dans la capitale vous vous êtes montré digne de la confiance de tous les bons citoyens, vous seul avez dévoilé les complots des traîtres; daignez nous aider de vos conseils. >>

Observation du rédacteur.

<< Il est constant que l'orgie a eu lieu; il n'est pas moins constant que l'alarme est générale : les faits nous manquent pour prononcer si cette conjuration est réelle. Mais, fût-elle chimérique, qui doute que, si l'ennemi se présentait aujourd'hui à nos portes, il ne nous prît au dépourvu; cette négligence de pourvoir la capitale de munitions de guerre de toute espèce est un vrai crime d'État. En attendant qu'on fasse rendre compte au comité militaire de sa conduite, il n'y a pas un instant à perdre; tous les bons citoyens doivent s'assembler en armes, envoyer un nombreux détachement pour enlever toutes les poudres d'Essonne : chaque district doit retirer ses canons de l'hôtel de ville. La milice nationale n'est pas assez dépourvue de sens pour ne pas sentir qu'elle ne doit jamais se séparer du reste de ses concitoyens; que loin d'obéir à ses chefs, s'ils s'oubliaient au point de donner des ordres hostiles, elle doit s'assurer d'eux. Enfin, si le péril devenait imminent, c'en est fait de nous, si le peuple ne nomme pas un tribun, et s'il ne l'arme de la force publique.

«N. B. Un point important à éclaircir, c'est de savoir si la garde 'soldée est pourvue; si elle l'est effectivement, il y a trahison avérée. Deux soldats viennent de m'assurer qu'ils ont tous un grand nombre de cartouches. >>

Cet article porta fruit le lendemain, crié et répandu, ainsi qu'il le le fut, à un très-grand nombre d'exemplaires.

Procès-verbal de l'assemblée des représentants de la commune du dimanche 4 octobre.

Séance du matin. - A l'ouverture de la séance, M. de Joly, l'un des secrétaires, dépose une plainte contre Marat, qui l'a accusé, dans un de ses numéros, d'une soustraction frauduleuse de pièces relatives à un particulier. Sur cette dénonciation, l'assemblée rendit un arrêté par lequel, en même temps qu'elle déclarait honorer M. de Joly de toute son estime, elle blâmait l'Ami du peuple, et invitait le plaignant à poursuivre Marat devant les tribunaux. Elle ordonna, en outre, que cet arrêté serait imprimé, affiché et envoyé à tous les districts.

Ensuite l'assemblée s'occupa de vérifications de pouvoirs.

« M. le commandant général (M. de Lafayette), étant entré dans ce moment, a dit à l'assemblée qu'il venait concerter avec elle les mesures qu'il convenait de prendre pour la sûreté de la ville, et lui a fait part des précautions qu'il a prises.

« L'assemblée a approuvé la prudence et la sagesse de M. le commandant général; l'a invité à continuer ses soins vigilants, et a remis à son zèle le choix de tous les moyens qu'il conviendra de mettre

en œuvre. >>>

Séance du soir. « Une députation du district du petit SaintAntoine est entrée, et a fait la lecture de la délibération suivante : « Les comités réunis du district, alarmés des bruits qui se répandent au sujet de la cocarde noire arborée à Versailles, et justement inquiets des suites que cet événement pourrait avoir sous plus d'un rapport, ont arrêté de députer à l'instant à l'assemblée des représentants, à l'effet de s'informer exactement des détails de ce qui s'y passe, et des précautions que leur sagesse a vraisemblablement prises pour éviter les progrès d'une confédération qui semble se former, avec offre de toutes les forces dont le district peut disposer, s'il en est besoin.

<«< Cette lecture achevée, plusieurs membres de l'assemblée lui ont fait part de différents faits, qui tous prouvaient une fermentation croissante, et prête à produire une explosion. L'assemblée, justement alarmée de tous ces rapports, a pensé qu'elle ne pouvait prendre trop de précautions pour maintenir l'ordre et veiller à la sûreté des citoyens. En conséquence, elle a fait donner des ordres à tous les commandants de bataillon de tenir sous les armes leurs compagnies soldées, et de rassembler dans leurs corps de garde le plus grand nombre de citoyens que le zèle et le patriotisme réuniraient auprès d'eux.

« La sollicitude de l'assemblée avait, pour un moment, suspendu l'indignation que devaient exciter les faits qui venaient de lui être dénoncés. Aussitôt que, par la précaution qu'elle venait de prendre, elle a cru avoir pourvu, autant qu'il était en elle, au repos public, elle s'est occupée de l'outrage fait à la nation, à la commune de Paris, par plusieurs personnes qui s'étaient permis d'abjurer et de quitter une cocarde qu'elle a adoptée comme le symbole de l'union et de la liberté toutes les voix se sont élevées contre cette injure; toutes les opinions se sont réunies pour proscrire l'usage des cocardes noires ou blanches, que quelques citoyens, au moins indiscrets, avaient substituées aux cocardes de couleur, et il a été pris l'arrêté suivant :

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