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serait inutile d'enregistrer ici cette multitude de faits tous semblables entre eux. A Troyes, le bailliage décrétait le comité de la ville: l'assemblée nationale maintint provisoirement l'un et l'autre. - A Amiens, la garde nationale créait un comité militaire, qui était indépendant du comité permanent de la ville et qui jouait à son égard le rôle d'opposition, représenté à Paris par les districts. L'assemblée ordonna la dissolution du comité militaire. C'était Langres qui demandait l'autorisation de s'imposer, afin d'assurer les subsistances, et dont les citoyens s'engageaient à refuser leurs voix pour toute charge publique à ceux qui feraient de fausses déclarations de leur revenu. C'était Lyon qui sollicitait des secours pour sa nombreuse population. — Dans d'autres endroits, c'étaient des discussions entre les anciennes magistratures et celles sorties de l'insurrection de juillet; dans d'autres, c'étaient des refus d'impôt que dénonçait le ministère. C'est ainsi que les ministres annoncèrent à l'assemblée, le 14 décembre, que les barrières avaient été détruites dans les Trois-Évêchés et les employés forcés de fuir. Lorsqu'on avait voulu les rétablir, il avait fallu obtenir main-forte. On s'était adressé aux municipalités, elles avaient refusé; on s'était adressé au parlement de Metz, il avait renvoyé aux municipalités.

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Les ministres ajoutaient qu'ils pourraient réunir un grand nombre de faits semblables: «L'assemblée nationale, continuaientils, en pèsera toute l'importance, et sa sagesse lui dictera sans doute les moyens d'y subvenir. Mais si les municipalités se refusent à seconder les mesures du gouvernement, si la crainte les arrête, si la diversité des systèmes qu'elles adopteront forme un obstacle à l'unité de plan et produit même entre elles une division funeste, le pouvoir exécutif sera réduit à l'impossibilité de veiller au maintien des décrets et au recouvrement si nécessaire des impôts. »

Il était à peu près impossible que l'uniformité de plan dans la perception de l'impôt pût s'établir. Cette difficulté venait moins de la mauvaise volonté des municipalités, qu'alléguait le ministère, que de l'irrégularité du système anciennement établi. Aussi, l'assemblée nationale fut-elle forcée plusieurs fois de faire des lois particulières pour ramener chaque province à quelque chose qui ressemblât à l'unité. Ainsi, dans la séance du 15, elle décréta l'impôt de la Bretagne, et en novembre elle s'occupa des gabelles de l'Anjou.

On s'adressait à l'assemblée pour des faits, pour des affaires individuelles, qui n'avaient pas même de caractère politique.

Une séance, celle du 14 au matin, fut en partie occupée par un rapport sur un événement arrivé à Senlis. Un horloger nommé Billion était animé d'une haine violente contre le commandant du corps de l'arquebuse : « Aujourd'hui, dit la lettre qui rend compte de l'événement, la milice bourgeoise et tous les corps se rendaient à la cathédrale, enseignes déployées, pour faire bénir un drapeau envoyé par M. le duc de Lévis; on passait devant la maison de ce monstre: il attend son ennemi, tire par la jalousie de sa fenêtre un premier coup de fusil, chargé de six chevrotines, qui blessent trois personnes. Le commandant se retourne, il reçoit une balle dans le cœur et expire au même instant. A cette vue, tout le monde frémit de rage et d'indignation. On enfonce la porte pour arrêter ce misérable. Quand il voit la troupe entrée, il met le feu à une mèche de poudre qui communique à deux, barils: la maison saute en l'air et engloutit tous ceux qui y étaient entrés. Quatorze personnes sont mortes sur-le-champ. On a retiré plus de vingt blessés, qui peut-être n'en réchapperont pas. On est encore occupé à déblayer les décombres : on entend de ces malheureux qui réclament des secours et dont quelques-uns assurent n'être point blessés. >>

Telle était la position où près d'un siècle et demi de provisoire avait mis la France, qu'elle ne pouvait être administrée et conser vée que par l'énergie de ses croyances patriotiques et sa confiance dans l'assemblée qu'elle avait élue.

Cependant, à la fin de décembre, le parlement de Rennes n'avait pas encore cédé.

« Pour la troisième fois, disait une lettre de Rennes insérée dans le journal de Carra, numéro du 25 décembre, la chambre des vacations du parlement de Rennes a refusé d'obéir aux nouvelles lettres de jussion. C'est un parti pris entre eux tous. Une nouvelle chambre des vacations choisie dans ce parlement n'enregistrerait pas davantage; aussi la municipalité et les communes réunies ont-elles expédié sur-le-champ un courrier qui est porteur d'une adresse à l'assemblée nationale, par laquelle on sollicite la formation prompte d'une chambre de vacations composée de dix juges pris dans les présidiaux et de deux avocats attachés à chacun de ces siéges. Il paraît qu'on avait e core formé le projet de soulever toutes les corporations d'artisans, et de les armer contre la municipalité et la milice nationale: le projet a échoué. - Le 18, nous enlevâmes tout ce qu'il y avait de canons au château. pacte fédératif, que l'on renouvelle dans toute la province, vient de nous parvenir pour être signé. »

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« Qu'espère donc, continue Carra, le parlement de Rennes d'une

résistance aussi puérile et aussi déshonorante? Croit-il que des légions de nobles et de chevaliers descendront du ciel tout armées pour le réintégrer dans ses antiques prétentions? Croit-il que la justice sera bannie de la terre si elle n'est pas rendue par des hommes à pancartes et à parchemin? Croit-il que les paysans de la Basse-Bretagne repousseront l'égalité des droits, qui met un comte et un marquis au niveau d'un simple fermier? Il faut être bien dupe de son plat orgueil et de l'ancienne ignorance des paysans pour croire qu'ils ne se réjouiront pas aujourd'hui, in petto, de se voir placés, dans l'ordre des droits civils et politiques, à côté de leurs prétendus maîtres et seigneurs.» (Annales patriotiques.)

CHAP. VI. - Paris.

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Approvisionnements de Paris.

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Célibat des Commune.

Presse royaliste.

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Attaques contre Bailly. Réclamations en faveur des femmes. prêtres. Arrêté sur les affiches. Poursuites contre Marat. On apprend la conspiration de Favras. Monsieur se disculpe à l'hôtel de ville.

Paris. Tout ce qui restait d'activité libre après les occupations de la politique générale était employé au travail de la constitution communale de Paris. Les représentants de la commune travaillaient à rédiger un projet qui pût être présenté au corps législatif comme le vœu de la capitale. Voici selon quelle méthode ils procédèrent à cette œuvre.

Arrété des représentants de la commune, du 7 décembre.

« L'assemblée, considérant que, par un décret du 26 novembre dernier, l'assemblée nationale a arrêté que Paris serait gouverné par un règlement qui serait fait par elle sur les mêmes bases et d'après les mêmes principes que toutes les municipalités du royaume; considérant, d'autre part, que, chargée par les soixante districts de travailler à un plan de municipalité qui ne doit être présenté à l'assemblée nationale et au roi qu'après avoir obtenu le vœu de la majorité des districts, elle ne peut négliger ce travail sans manquer à sa principale obligation;

«Que cependant elle s'en occuperait inutilement si, ne connaissant point les bases particulières que l'assemblée nationale se propose d'établir pour la ville de Paris, elle partait de principes différents, d'où il pourrait résulter qu'un plan fait par les représentants de la commune, et revêtu de l'approbation des districts, serait rejeté par l'assemblée nationale et le roi, comme contraire aux grandes vues d'ordre public qui dirigent la législation générale;

« Considérant que, dans l'intention où elle est de s'occuper avec toute l'activité possible de ce plan d'organisation municipale, il lui importe d'entretenir une correspondance habituelle avec les districts, à l'examen desquels doivent être soumis les résultats de son travail :

« A arrêté 1° qu'en dérogeant au règlement de discipline intérieure de l'assemblée, et attendu l'importance de ce travail, elle tiendra séance tous les jours, depuis cinq heures du soir jusqu'à neuf; 2° qu'il sera formé un comité composé de vingt-quatre commissaires nommés par les douze bureaux, à raison de deux par bureau; 3° que ces commissaires seront autorisés à conférer, toutes les fois qu'ils le croiront nécessaire, avec MM. les membres du comité de constitution; 4o que ce comité présentera à chaque séance une série d'articles sur lesquels il sera délibéré; 5o que les membres de chaque département de l'administration seront invités à fournir sans retard à ce comité des instructions relatives à la partie confiée à leurs soins; 6o qu'à mesure que chaque titre du plan de municipalité sera rédigé, il sera envoyé aux soixante districts pour avoir leur vœu. »

Le comité de constitution de l'assemblée nationale admit en effet en conférence la commission nommée par les représentants de Paris. Les districts craignirent que ces relations n'assurassent au système de l'hôtel de ville une prépondérance qu'ils ne pussent point balancer auprès de l'assemblée nationale, s'ils se trouvaient d'une opinion contraire. Cela fut l'occasion de beaucoup de réclamations dans les assemblées de district. Quelques-uns demandaient si cette loi, toute locale, ne devait pas être abandonnée au libre arbitre de la localité. Celui des Minimes chercha à réveiller le bureau central des districts, et à le faire intervenir contre la municipalité; mais il paraît qu'il ne réussit point à rendre la vie à cette organisation morte en naissant. Alors il alla jusqu'à rédiger une adresse à l'assemblée nationale dans ce double sens : « Pourquoi, disait-il, pourquoi les citoyens de la capitale, animés tous du même intérêt, du même patriotisme, seraient-ils privés de l'avantage de voter des lois particulières, locales, qui tiennent, en un mot, à leur intérêt particulier, sans déroger à l'ordre général? Pourquoi nos députés à la ville s'arrogent-ils le droit de conférer particulièrement avec votre comité de constitution sur les lois particulières à la municipalité de Paris? Leurs pouvoirs ne leur donnent pas ce droit. » — On pense bien que cette adresse resta sans réponse, et l'arrêté des représentants fut exécuté à la lettre. Comme le règlement relatif à la municipalité de Paris ne fut terminé que l'année suivante, nous

TOME II.

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n'analyserons qu'à cette époque les différents plans qui furent présentés.

Malgré ces graves occupations, plusieurs districts continuaient leur opposition contre l'hôtel de ville. Le district des Cordeliers se trouvait toujours au premier rang dans cette guerre de chicane. On y criait beaucoup contre les usurpations de la commnne, et surtout contre celle du maire et des bureaux de ville. La municipalité venait en effet d'émettre un règlement pour le tribunal de police, de lui prescrire des règles de procédure, et d'ordonner qu'il se conformerait, dans ses jugements, aux lois anciennes qui étaient déclarées en pleine vigueur. Dans le public, on attribuait cet esprit des Cordeliers à l'influence exercée par Danton, son président perpétuel parce qu'il était toujours réélu, et l'on cherchait l'origine de l'ardeur de celui-ci partout ailleurs que dans son caractère ou ses convictions. Nous verrons plus tard quelle était la vérité à cet égard. Une chose bien remarquable, c'est que Danton fut obligé, pour se disculper, d'invoquer l'autorité de son district.

Extrait du registre des délibérations de l'assemblée du district des Cordeliers, du 11 décembre 1789.

« L'assemblée générale du district des Cordeliers, instruite des calomnies répandues contre M. Danton, son président, par des ennemis du bien public; instruite qu'ils ont osé supposer que M. Danton accaparait les voix pour prolonger le temps de sa présidence, et qu'il n'obtenait l'unanimité des suffrages qu'en les achetant;

<< Considérant que ces bruits calomnieux blessent également la dignité de l'assemblée, les principes sévères qui distinguent les citoyens de ce district et le zèle pur et infatigable du président qu'ils ont choisi;

« Considérant que de tels bruits, quoique méprisables et indignes d'occuper l'assemblée, peuvent, dans des circonstances aussi délicates, s'accréditer et fournir des armes aux ennemis de la liberté, déclare :

«Que la continuité et l'unanimité de ses suffrages ne sont que le juste prix du courage, des talents et du civisme dont M. Danton a donné les preuves les plus fortes et les plus éclatantes, comme militaire et comme citoyen;

«Que la reconnaissance des membres de l'assemblée pour leur président, la haute estime qu'ils ont pour ses rares qualités, l'effusion de cœur qui accompagne le concert honorable des suffrages

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