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« Ce projet doit plaire à tous les despotes, à tous les aristocrates de l'univers; et la confédération doit d'autant moins éprouver d'obstacles, que les princes doivent sacrifier toutes leurs animosités à l'intérêt de tenir les peuples dans l'asservissement.

«Cependant, on ne parle encore que de probabilités. L'empereur fait la paix avec le sultan, c'est pour venir soutenir un parti (celui de la reine), dont il est l'âme secrète et invisible. Le roi de Prusse fait avancer sur les frontières de France et de l'Empire une armée de cinquante mille hommes, qui seront suivis de six mille Hessois et de quelques autres troupes des cercles. Son prétexte est d'empêcher l'introduction du mal français, qui a déjà pénétré à Nuremberg, à Cologne et à Trèves. Le roi de Sardaigne ne peut pas refuser des secours à un gendre (le comte d'Artois) qui les sollicite. Une de ses filles s'est déjà retirée près de lui. Madame va se rendre aussi à la cour de son père. L'Espagne a déjà fait des tentatives auprès du ministère anglais.

« Voilà donc, s'il faut en croire les gens qui lisent les journaux anglais et allemands, une ligue formée, ou du moins prête à se former entre quatre grandes puissances. Cinquante mille Espagnols nous attaqueront au midi, pendant que les Prussiens entreront par le nord de la France. L'Alsace verra l'empereur à la tête de toutes les forces qu'il employait contre les Turcs. Le Dauphiné et les provinces voisines seront contenues par vingt-cinq mille Italiens, etc.>> Il était d'autant plus probable que telles étaient les intentions des souverains des États despotiques du continent, que le feu de l'insurrection se propageait hors de nos frontières. Les Liégeois venaient de prendre la cocarde patriotique. Le 18 août, ils avaient marché en armes sur l'hôtel de ville; puis, après avoir chassé les bourgmestres et les conseillers qui y siégeaient, en avaient élu d'autres. De là ils avaient couru s'emparer de la citadelle; les soldats s'étaient joints à eux. Enfin, la bourgeoisie alla trouver l'archevêque, prince temporel de Liége; elle obtint de lui la renonciation à ses priviléges pécuniaires, et l'approbation de tout ce qu'avait décidé le peuple.

Dans le canton de Genève, on venait de voir avorter un mouvement plus grave. Les montagnards, persuadés que les mots de liberté et d'égalité emportaient l'idée de partage des biens, s'attroupèrent et s'avancèrent sur Ferney, afin d'y établir ce qu'ils croyaient réalisé en France. La garnison et la bourgeoisie de Genève marchèrent contre eux avec du canon; et l'attroupement fut dissipé.

Lyon éprouva comme un contre-coup de cet événement. On vou

lait que les bourgeois rendissent leurs armes en descendant la garde. Une compagnie s'y refusa. Alors, tout le peuple s'assembla sur la place des Terreaux. On fit marcher des Suisses sur le rassemblement, il y eut quelques pierres jetées, quelques coups de fusil de tirés; deux personnes, disait-on, furent tuées, et plusieurs blessées. Cependant, les troupes fraternisèrent avec le peuple, et la bourgeoisie conserva ses armes.

<<< Français ! s'écrie Loustalot à ces nouvelles, Français ! ce ne sont pas les attaques étrangères que nous devons craindre; nous leur devrions peut-être un jour notre salut... Vous, Parisiens, qui avez pris la Bastille d'assaut en quatre heures, qui avez formé dans un seul jour une armée de trois cent mille hommes, vous seuls, s'il le fallait, vous sauveriez la patrie!

<«< Louis XIV, disait à Villars: Si vous êtes vaincu, écrivez-moi ; je traverse Paris votre lettre à la main ; je connais les Français ; j'irai vous joindre avec deux cent mille hommes nous vaincrons, ou nous nous ensevelirons sous les ruines de la monarchie!... Français! ce que vous auriez fait pour Louis XIV, vous le ferez pour vousmêmes; ce que vous auriez fait pour sa gloire, vous le ferez pour votre liberté. »

En effet, la France donnait tous les jours des preuves de patriotisme. On savait que l'État était obéré, et les dons patriotiques pleuvaient sur le bureau du président de l'assemblée nationale. On ouvrait des souscriptions dans les villes, dans les districts, partout. Ce furent des dames de la bourgeoisie de Paris qui donnèrent le signal de ce mouvement; elles étaient venues le 7 en députation à Versailles présenter à l'assemblée une cassette qui renfermait des bijoux d'une valeur considérable. Cet exemple fut imité, en sorte que chaque séance commençait par la lecture d'une assez longue série de dons de toute nature, de bijoux, de pensions, de rentes, de prélèvements sur des revenus, etc. Comme cette énumération quotidienne employait un temps précieux, on décida qu'il en serait fait une liste générale, qui serait rendue publique à des époques assez éloignées. Nous trouvons, sur la première de celles qui furent publiées une annotation, que nous transcrivons tout de suite, bien qu'elle soit du 3 octobre, parce que nous n'aurons plus occasion de revenir sur ce sujet; il s'agit d'un don de bijoux fait par une femme. Il était accompagné d'une lettre ainsi conçue : « Messeigneurs, j'ai un cœur pour aimer; j'ai amassé quelque chose en aimant; j'en fais entre vos mains l'hommage à la patrie : puisse mon exemple étre imité par mes compagnes de tous les rangs. » La mention honorable de rigueur fut accordée à cette démarche.

CHAP. V. Travaux de l'assemblée.

Elle demande la sanction immédiate Arrêté sur les grains. Question du droit de succesRéponse du roi. -L'assemblée

des décrets du 4 août.
sion de la branche espagnole des Bourbons.

insiste.-Le roi promet de faire publier les décrets du 4 août.-Motion de Volney sur le renouvellement de l'assemblée. Elle est écartée.

ASSEMBLÉE NATIONALE. Il semblait que l'assemblée eût épuisé toute sa puissance logique dans les séances précédentes, bien qu'elle n'eût produit cependant, dans cette durée, qu'un ensemble de discours et de résultats entièrement disproportionnés à de si grands efforts. Dans les séances qui suivirent, ce qui apparaît surtout, c'est une irritation de parti; l'habileté se montre, non pas par des efforts pour convaincre par la force d'une démonstration rationnelle, mais dans l'art de poser les questions, dans celui de détourner la discussion par des motions incidentes, enfin dans celui des interruptions. Ainsi, quelques-unes de ces séances furent extrêmement orageuses. M. de Virieu se distingua particulièrement; c'était ce partisan du veto absolu qui, dans une des séances précédentes, avait donné le premier exemple, à la tribune, d'appuyer par des jurons la violence des paroles. Il eut le talent d'exciter encore plusieurs fois les violents murmures que sa première faute avait soulevés.

Nous passerons sur ces séances fastidieuses et sans enseignement, toutes les fois qu'elles nous paraîtront en même temps dépourvues d'intérêt révolutionnaire.

Dans la séance du 12 septembre au soir, à l'occasion de quelques entretiens sur les troubles qui agitaient la France, sur la nécessité de réorganiser l'armée, et après un rapport du comité de judicature qui proposait un arrêté pour rendre force et vigueur aux lois pénales et de police, il fut décrété que les arrêtés du 4 août seraient présentés à la sanction du roi.

Ainsi, Louis XVI se trouvait en position d'opposer ce veto, dont menaçait Desmoulins dans son Discours de la Lanterne. Cependant ce fut le côté droit, l'abbé Maury en tête, qui s'opposa à cette mesure, et par cette raison, qu'il fallait pourvoir au remplacement de tout ce qu'on abolissait, par exemple assurer la subsistance des curés, auxquels on enlevait le revenu des dimes; déterminer le prix du rachat des droits féodaux, etc. Cela fit dire dans le public que le parti royaliste voulait ajourner les décrets du 4 août, dans l'espérance de pouvoir, dans un temps meilleur, les considérer

comme non avenus.

SEANCE DU LUNDI 14 SEPTEMBRE. L'ordre du jour amenait la question de savoir pendant combien de législatures le veto serait suspensif.

M. Barnave. Je crois, messieurs, que nous devons savoir à quoi nous en tenir relativement aux arrêtés du 4 août. Il a été décidé samedi qu'ils serai-nt présentés à la sanction: mais il n'y a rien de statué quant à la forme de cette présentation. Il n'est pas encore décidé si ces arrêtés seront soumis au veto suspensif, comme les lois qui seront faites par les autres législatures.

Il faut bien les distinguer de toutes autres lois : 1° parce qu'ils sont faits par une assemblée qui réunit le pouvoir constituant au pouvoir constitué; 2° parce qu'ils touchent à la constitution.

Il serait fâcheux qu'ils fussent arrêtés par le veto suspensif, parce qu'ils ont été publics, et que le peuple les a reçus avec des transports de joie universelle. Je crois donc que nous devons surseir à l'ordre du jour juqsu'à ce que nous ayons statué sur les arrêtés du 4 août, soit que nous décidions qu'ils seront sanctionnés purement et simplement, soit que nous décidions qu'ils seront soumis au veto suspensif.

M. le comte de Mirabeau. Il n'est pas nécessaire de mettre en question si les arrêtés du 4 août doivent être sanctionnés; certainement ce point-là est jugé, et nous ne prétendons point le remettre en question. Il fallait sans doute les promulguer plus tôt : ce n'était pas obscurcir le travail de la constitution; c'était, au contraire, le rendre moins difficile. Il paraît impossible dans ce moment d'en suspendre plus longtemps la promulgation; tous les esprits ne sont que trop enflammés et trop inflammables. Les arrêtés du 4 août sont rédigés par le pouvoir constituant; dès lors ils ne peuvent être soumis à la sanction; et permettez-moi de vous le dire, vous n'auriez jamais dû décider d'autres questions sans juger celle-ci; vous n'auriez pas dû songer, permettez-moi cette expression triviale, à élever un édifice sans déblayer le terrain sur lequel vous voulez construire.

Les arrêtés du 4 août ne sont pas des lois, mais des principes et des bases constitutionnelles. Lors donc que vous avez envoyé à la sanction les actes du 4 août, c'est à la promulgation seulement que vous les avez adressés; et le corps législatif éprouverait des débats terribles, des questions épineuses, des débats de compétence, si les arrêtés n'étaient pas promulgués purement et simplement. Je conclus fortement à ce que rien ne soit décidé sur ce qui peut rendre immuables, consolider, renforcer les prérogatives royales avant que les arrêtés ne soient sanctionnés.

M. de Lally-Tolendal, J'ai partagé aussi vivement que qui que ce

soit l'enthousiasme patriotique qui nous a tous enflammés dans la nuit du 4 août. J'en parlais encore, il y a peu de temps, dans cette même tribune, et j'en parlais comme doit en parler tout bon citoyen. Mais n'est-ce pas une vérité reconnue, que parmi les articles résolus dans cette nuit célèbre, quelques-uns ont été étendus par la rédaction qui l'a suivie, et qui n'a été définitivement arrêtée que le 11? Pouvons-nous nous dissimuler que des réclamations se sont fait entendre, et l'exagération même de l'héroïsme n'a-t-elle pas ses dangers?

Je n'ai pas oublié ce qu'en a dit un des membres de cette assemblée, un des plus éloquents, un des mieux écoutés. Peut-être eussions-nous dú faire nos arrêtés du 4 août avec plus de lenteur et les faire précéder d'une discussion utile. On aurait plus respecté les propriétés et les usages. Les revenus de l'État n'auraient peut-être pas reçu une diminution si sensible Ainsi s'exprimait M. le comte de Mirabeau, dans la séance du mercredi soir 19 août; et les mêmes paroles qui ont obtenu faveur dans sa bouche trouveront peut-être grâce dans la mienne.

La sanction, vous a-t-on dit, n'est pas nécessaire pour les arrêtés du 4 août; nous sommes pouvoir constituant, et il s'agit de constitution. Je dis, moi, que la sanction est nécessaire, si jamais elle le fut. Je n'examine pas ce qu'on entend par pouvoir constituant, ni les variations dans lesquelles on est tombé à cet égard; mais j'observe qu'il n'est pas question ici de constitution. L'organisation, la définition, la séparation, la limitation des pouvoirs, voilà ce que j'entends par la constitution.

Il ne s'agit de rien de tout cela dans les arrêtés du 4; il s'agit de lois, et nous-mêmes avons reconnu que les lois devaient être revêtues de la sanction royale; et le désir des peuples, comme leur intérêt, réclame cette sanction; et j'entends par sanction la réunion du consentement, du sceau, de la promulgation; et je ne doute pas qu'une grande et une très-grande partie de l'assemblée ne l'entende comme moi.

Je ne me perdrai point dans la discussion de tous les étranges principes qui nous ont été révé és; mais puisqu'on a parlé de lever le voile, je prétends, moi, le lever à mon tour, et ne plus dissimuler aucune vérité.

J'ai entendu murmurer encore cet éternel et banal reproche; ce nom d'aristocratie, jadis odieux, aujourd'hui ridicule. Je l'ai prononcé, ce nom, avec autant d'indiguation, je l'ai combat'u avec autant de force, je l'ai poursuivi avec autant de persévérance que qui que ce soit, tant qu'il a signifié quelque chose; mais j'avoue que

TOME II.

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