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je ne l'entends plus proférer qu'avec dégoût, depuis que c'est un mot vide de sens; et je ne crains pas de dire qu'il ne peut plus désormais être mis en action que par ceux-là même qui en abusent dans le discours.

Quant à l'autorité royale, je l'ai déjà dit, et je répète que si les vertus du roi peuvent me la rendre chère, c'est l'intérêt du peuple qui me la rend sacrée. Je puis dire encore qu'autant je respecte cette autorité dans son exercice légitime, autant j'en ai combattu les excès et les abus, et j'en prends à témoin, sinon l'assemblée en tière, du moins une grande partie de l'assemblée qui m'a entendu sur cet objet dans un autre lieu et à une autre époque; car j'ai toujours eu pour principe d'avoir des avis aussi forts, quand on me plaçait en deçà de la liberté, que modérés quand on voulait m'emporter au delà.

Mais je demanderai si c'est de bonne foi qu'on peut craindre aujourd'hui les excès et les abus de l'autorité royale? Où est le despote? Où sont les suppôts du despotisme? Où est l'armée? Où sont même les courtisans? Les flatteurs aujourd'hui sont ceux qui médisent de l'autorité royale. Ah! loin d'en craindre les excès, craignez plutôt de ne pouvoir pas de longtemps, même avec toute votre volonté, rendre au pouvoir exécutif la vie qu'il doit avoir. Portez vos regards autour de vous; portez-les au loin; voyez partout l'interruption des revenus publics, la cessation de toute justice, la disette au milieu de l'abondance, le despotisme au sein de l'anarchie, et craignez, si vous perdez encore des instants aussi précieux, de ne pouvoir plus retrouver cette unité d'action, ce centre de forces, qui seuls, dans un empire aussi vaste, peuvent tenir toutes les parties liées entre elles, et maintenir la stabilité du grand ensemble.

Lally-Tolendal fut remplacé à la tribune par le comte Virieu. La discussion dégénéra immédiatement, et les interruptions commencèrent. Rewbel, l'abbé Maury, le comte de Mirabeau, Pétion, Robespierre, Tronchet, Malouet, Chapelier, prennent successivement la parole. Cependant, dit le Moniteur, depuis longtemps on demandait la question préalable, chicane ordinaire du parti qui veut éluder une question; des nobles, et entre autres celui qu'on connaît pour se laisser emporter jusqu'à laisser échapper des f..... (M. de Virieu) se comportait comme un furieux. Ses voisins avaient toutes les peines du monde à le retenir. Cet homme atrabilaire, ou enthousiaste, défavorisait, à force de colère, la cause qu'il défendait.

M. Barnave propose une seconde rédaction; la voici :

Qu'il soit sursis à l'ordre du jour jusqu'à ce que les articles du

4 août et jours suivants aient été promulgués par le roi, que l'assemblée, etc.

Puis enfin une troisième version à peu près la même que la seconde :

Qu'il soit sursis à l'ordre du jour jusqu'à ce que la promulgation des articles du 4 août et jours suivants ait été faite par le roi, et que l'assemblée, etc.

La priorité est réclamée pour la dernière version, et elle est décidée à la majorité, après une seconde épreuve.

La priorité décrétée, M. le président propose la question préalable, c'est-à-dire la question de savoir s'il y a lieu ou non à délibérer sur la motion de M. Barnave; mais il est impossible au président de prononcer le décret.

Il était prêt à décider qu'il n'y avait pas lieu de délibérer, parce qu'il avait cru voir la majorité pour cette opinion; mais les réclamations opiniâtres d'une grande partie de l'assemblée l'ont empêché de prononcer conformément à ce qu'il croyait avoir vu.

Enfin, la séance se termine sans rien décider. L'assemblée se retire tumultueusement à trois heures et demie.

Dans la séance du soir, on décréta que les détenus politiques seraient renvoyés devant les tribunaux existants. Depuis le jour où l'on avait commencé à s'occuper de la déclaration des droits, il avait été convenu que les réunions de l'après-dîner seraient uniquement consacrées aux affaires extra-parlementaires. Ce ne fut donc que le lendemain 15 septembre, que la discussion recommença sur la motion de Barnave; mais elle fut détournée coup sur coup par des propositions incidentes. On reprit la discussion de la constitution, et cette discussion donna lieu elle-même à une motion incidente, qui fut débattue avec passion pendant trois séances. Il s'agissait de décréter l'hérédité de la couronne. M. Arnoult proposa un amendement tendant à exclure de la succession royale la branche d'Espagne, dans le cas où la branche régnante viendrait à s'éteindre. La maison d'Espagne avait renoncé en effet à la couronne de France par le traité d'Utrecht; si l'assemblée adoptait l'amendement d'Arnoult, cette clause du traité devenait un article fondamental de la constitution française et l'exspectative de la couronne était ouverte à la maison d'Orléans. Le côté droit ne vit dans cette motion qu'une tentative du duc d'Orléans pour se rapprocher du trône. Depuis longtemps, en effet, on accusait ce prince de fomenter les troubles de la capitale, dans le but de s'emparer de l'autorité de Louis XVI; on allait jusqu'à lui attribuer l'insurrection de juillet et

la prise de la Bastille. Aussi, la discussion fut excessivement animée. On cominença par ajourner l'amendement, soutenu seulement par les amis du duc d'Orléans. Mais à peine cet ajournement eut-il été prononcé que Mirabeau, qui l'avait demandé, proposa de décréter que, pour exercer la régence, il faudrait être né en France. Alors la discussion recommença sur la maison d'Espagne, et se prolongea, sans résultat, pendant les séances du 15 et du 16. Une foule de motions furent présentées. On les écarta successivement. Celle de M. Target, qui voulait qu'on ajoutât à l'article proposé ces mots : sans rien préjuger sur l'effet des renonciations, fut combattue par Mirabeau, et rejetée également. Enfin, on vota, dans la séance du 17, la proposition pure et simple qui déclarait la personne du roi inviolable, et la couronne héréditaire.

Dans la séance du 15 au soir on s'occupa de la question des grains. Le rapporteur de la commission des subsistances apporta un projet d'arrêté qui ordonnait de nouvelles mesures pour empêcher l'exportation des grains et en assurer la libre circulation à l'intérieur. Il appuya ce projet des considérations suivantes :

<<< La circulation extérieure est autorisée, et cependant il y a des provinces qui regorgent de blé, et où le pain se paye 5 sous la livre. Dans d'autres, les laboureurs ne peuvent approvisionner les marchés les routes sont infestées de brigands, les voitures sont pillées, et la sûreté publique n'existe plus. L'exportation n'a jamais été plus sévèrement défendue, et cependant jamais elle ne s'est faite avec plus de vivacité. Les primes que l'on a accordées jusqu'ici n'ont fait que l'encourager. En effet, l'avidité du négociant trouve un nouvel aliment à se livrer à la fraude de l'exportation, pour rapporter ensuite des grains qu'il a eus à bon compte, et qu'il vend à un prix exorbitant, sans compter le bénéfice des primes: c'est ainsi qu'en administration, souvent les causes dont on attend du bien produi– sent des effets contraires. C'est à la sagesse du ministre à tout calculer, à tout prévoir, à ne pas saisir avec avidité un moyen qui, sous un premier coup d'œil, se présente comme salutaire, mais dont on aperçoit le danger lorsqu'on l'examine dans tous ses rapports. »

A la suite de ce rapport, il y eut une longue discussion. De nombreux amendements furent présentés et acceptés. L'arrêté, renvoyé au comité de rédaction, ne fut voté que dans la séance du 18, au soir.

SÉANCE DU VENDRedi 18 septembrE.-M. le président fait lecture de la réponse du roi à la demande qui lui avait été faite de

sanctionner les arrêtés du 4 août et jours suivants. Cette réponse contient en substance ce qui suit :

Vous m'avez demandé, messieurs, de revêtir de ma sanction les articles arrêtés le 4 août dernier plusieurs de ces articles ne sont que le texte des lois dont l'assemblée a besoin de s'occuper; ainsi, en approuvant l'esprit général de vos déterminations, il est cependant un petit nombre d'articles auxquels je ne pourrais donner à présent qu'une adhésion conditionnelle. Je vais vous faire connaitre à ce sujet des opinions que je modifierai, et auxquelles je renoncerai même, si, par la suite, je le reconnais nécessaire. Je ne m'éloignerai jamais qu'à regret de la manière de voir et de penser de l'assemblée nationale.

L'abolition des droits féodaux portés par le premier article est juste, en ce qui regarde ceux de ces droits qui dégradent l'homme; mais il est des redevances personnelles qui, sans l'avilir, sont d'une utilité importante pour tous les propriétaires des terres. Il est des redevances représentatives de devoirs personnels; il serait juste et raisonnable de les ranger parmi celles qui sont déclarées rachetables. Cet article comprend d'ailleurs des droits seigneuriaux appartenants à des princes étrangers, qui ont déjà fait des réflexions dignes de la plus sérieuse attention. Il prononce le rachat des droits féodaux réels et fonciers, et je ne puis qu'approuver cette résolution; mais il sera peut-être nécessaire d'établir en faveur de certains droits, qu'ils ne peuvent être rachetés indépendamment les uns des autres. Je vous invite à examiner si l'abolition du cens et des lods et ventes est utile au bien de l'État : ces droits détournent les riches d'acheter les fonds qui entourent leurs propriétés. Ne serait-il pas avantageux de les conserver sous ce rapport? etc. J'approuve l'article II, concernant les colombiers.

J'approuve l'article III, qui détruit le privilége exclusif de la chasse; mais en permettant à tout propriétaire de chasser sur son fonds, il conviendrait d'empêcher que cette liberté ne multipliât le port d'armes d'une manière contraire à l'ordre public. J'ai supprimé mes capitaineries, et j'ai donné des ordres sur les condamnations prononcées pour faits de chasse.

Art. IV. J'approuverai la suppression des justices seigneuriales dès que j'aurai la connaissance de la sagesse des dispositions qui seront prises sur l'organisation de l'ordre judiciaire.

Art. V. J'accepte d'abord le sacrifice offert par les représentants de l'ordre du clergé mes observations portent seulement sur la disposition qu'on doit en faire. Les dîmes ecclésiastiques montent de 60 à 80 millions; et si l'on se borne à la suppression pure et

simple, c'est une grande munificence au profit des propriétaires des terres dans la proportion de leurs possessions. Mais cette proportion, très-juste dans l'assiette d'un impôt, ne l'est pas tant pour la répartition d'un bienfait. Les négociants, les manufacturiers, les personnes qui se livrent aux sciences et aux arts, les rentiers, et, ce qui est plus intéressant, la classe nombreuse des citoyens qui sont sans propriété, n'auraient aucune part à cette munificence. Cette faveur ne s'étendrait-elle pas sur tous, si dans un moment où les finances sont épuisées, les revenus du clergé supprimés étaient consacrés au secours général de l'État? Il est nécessaire de voir si, le produit des dîmes mis à part, le reste des biens du clergé suffirait au service de l'Église ; et l'on ne dit point quel serait l'impôt qu'on établirait en échange, à la charge des terres précédemment soumises à la dîme. Ces observations s'appliquent encore aux dîmes des commandeurs de Malte il faut ajouter que cette puissance existe principalement par les redevances que payent les commanderies.

L'art. VI, concernant les rentes rachetables, est approuvé.

L'art. VII, qui prononce la suppression de la vénalité des offices, exige de grands sacrifices à raison du remboursement des finances, dont l'État ne paye qu'un léger intérêt, et pour les émoluments à donner aux juges. La sagesse de l'assemblée l'engagera à rechercher les moyens propres à s'assurer que les places seront bien occupées. La suppression de la vénalité ne serait pas suffisante pour rendre la justice gratuite, si l'on ne détruisait encore les droits relatifs à son exercice. Ces droits font une portion importante du revenu de l'État.

Les art. VIII, IX et X, qui suppriment les casuels des curés, les priviléges en matière de subsides, et les priviléges des provinces, sont approuvés ; il en est de même de l'art. XI, qui établit le droit qu'a tout citoyen de parvenir indistinctement aux emplois et dignités.

L'art. XII porte la suppression des annates. Cette rétribution, fondée sur le concordat fait entre la France et le saint-siége, appartient à la cour de Rome. Une seule des parties qui ont contracté ne peut pas rompre ce traité. Je m'occuperai de cette négociation avec tous les égards dus à une puissance alliée et au chef de l'Église.

L'art. XIII a pour objet des attributions faites aux évêchés, aux archiprêtres, aux chapitres : des indemnités paraîtraient peut-être nécessaires.

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