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sommes animés pour son bonheur et je ne doute point, d'après les dispositions que vous manifestez, que je ne puisse, avec une parfaite justice, revêtir de ma sanction toutes les lois que vous décréterez sur les divers objets contenus dans vos arrêtés. J'accorde ma sanction à votre décret concernant les grains. >>

A la fin de la séance orageuse du vendredi, qui s'était terminée par l'ajournement de la motion de Chapelier, Volney avait pris la parole: « M. de Volney s'élève contre les motifs d'intérêt particulier qui s'opposent constamment dans l'assemblée à l'intérêt général, et propose une motion dont l'objet est d'engager l'assemblée à s'occuper sans délai de l'organisation des nouvelles législatures et de l'énonciation des qualités nécessaires pour être électeur et éligible. L'assemblée alors ordonnera une élection générale, et de nouveaux représentants viendront remplacer ceux qui sont actuellement en activité. (Applaudissements, marques presque universelles d'adhésion.) »

« Volney en faisant cette motion, dit M. de Ferrières, n'avait consulté que sa haine contre les nobles et les prêtres... mais les nobles et les prêtres l'appuyèrent parce qu'ils pensaient que dans les circonstances actuelles, une convocation nouvelle serait la ruine de la constitution. » Ils se trompaient sans doute, et la presse révolutionnaire comprenait mieux la situation. Marat applaudit de toutes ses forces à la motion. Voici l'article de Loustalot à ce sujet :

<< Nos représentants, dit-il, ne sont point, comme en Angleterre, les souverains de la nation : C'est la nation qui est le souverain..... Le peuple a le droit de révoquer ses représentants;... usons de ce droit..... Un article du 4 août commence ainsi : L'assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal. Or, n'est-ce pas par le régime féodal que la noblesse et le clergé ont une représentation égale à celle des communes? et jamais la féodalité a-t-elle donné un droit plus abusif, plus révoltant aux 400,000 hommes qui composent les deux ordres privilégiés, que celui de concourir à la formation de la constitution, en proportion égale avec 23 millions d'hommes? Les grands enfants qui sont dans l'assemblée nationale rappellent à l'ordre quiconque prononce le mot d'ordres; mais ne voit-on pas que, par la représentation actuelle, la distinction des ordres existe toujours? L'assemblée n'est point nationale dans ce moment; elle est féodale. Elle ne sera nationale que lorsqu'on aura adopté la divine motion de M. de Volney, et qu'on ne verra plus dans l'assemblée des magistrats qui plaident la cause des parlements, des nobles qui stipulent pour la noblesse, des prêtres qui

ne se croient députés que du clergé, des membres des communes qui feignent de nous défendre pour que l'on nous trouve sans défense; enfin des hommes avides d'argent, qui font des journaux pour leurs motions, et des motions pour leurs journaux. »

L'assemblée décide qu'elle

SÉANCE DU SAMEDI 19 septembre. fera imprimer toutes les semaines l'extrait du registre des dous patriotiques, qui deviennent de jour en jour plus nombreux.

La question de la sanction des arrêtés du 4 août n'était pas terminée; M. le vicomte de Mirabeau demande la priorité pour la motion présentée par M. de Volney.

M. de Volney retire sa motion.

Cependant le vicomte de Mirabeau insiste et il finit par obtenir la parole:

M. le vicomte de Mirabeau. Les applaudissements donnés à la motion de M. de Volney ont prouvé deux choses: l'une que nous voulons tous le bien, mais d'une manière différente; l'autre, que nous sommes pénétrés de l'impossibilité d'y parvenir à cause de la diversité de nos opinions et de nos moyens. Il résulte de cette réflexion, qu'une nouvelle convocation est indispensable; peut-être y aurait-il alors dans l'assemblée nationale plus de propriétaires que d'orateurs, plus de citoyens que de philosophes. Je propose deux amendements à la motion de M. de Volney le premier, qu'aucun membre de l'assemblée actuelle ne puisse être éligible dans la prochaine convocation; le second, que les membres de la session présente ne puissent approcher des lieux où se feront les prochaines élections. Nos dispositions à cet égard nous feront d'autant plus d'honneur, qu'on reconnaîtra que nous nous sommes fait justice.

M. Lavie. Je demande si nous sommes venus ici faire un cours d'épigrammes, et si la tribune est un tréteau.

M. le marquis de Bonnay et M. Madier de Monjau parlent contre la motion. La discussion dévie et va se perdre dans une question de finances.

M. le comte de Mirabeau. Je réponds à celui des préopinants qui a réclamé la priorité pour la motion de M. de Volney.

J'ai toujours regardé comme la preuve d'un très-bon esprit, qu'on fit son métier gaiement. Ainsi je n'ai garde de reprocher au préopinant sa joyeuseté dans des circonstances qui n'appellent que trop de tristes réflexions et de sombres pensées. Je n'ai pas le droit de le louer; il n'est ni dans mon cœur, ni dans mon intention de

TOME II.

le critiquer, mais il est de mon devoir de réfuter ses opinions lorsqu'elles me paraissent dangereuses.

Telle est à mon sens la motion qu'il a soutenue. Certainement elle est le produit d'un très-bon esprit, et surtout d'une âme trèscivique et très-pure; certainement, à l'isoler de l'ensemble de nos circonstances et de nos travaux, elle est saine en principe; mais j'y vois d'abord une difficulté insoluble, le serment qui nous lie à ne pas quitter l'ouvrage de la constitution qu'il ne soit consommé... Ce peu de mots suffiraient sans doute pour écarter cette motion; mais je voudrais ôter le regret même à son auteur, en lui montrant combien elle est peu assortie à nos circonstances, à la pieuse politique qui doit diriger notre conduite.

Et pour vous le démontrer, messieurs, je me servirai de l'argument même avec lequel on a prétendu soutenir cette motion: Il est impossible d'opérer le bien par la diversité de nos opinions et de nos moyens. Il faut convoquer les provinces pour leur demander de nous envoyer des successeurs, puisque nous sommes discords et inaccordables... Est-ce bien là, messieurs, le langage que nous devons tenir? est-ce là ce que nous devons croire? est-ce là ce que nous devons être? Nous avouerons donc que notre amourpropre nous est plus sacré que notre mission, notre orgueil plus cher que la patrie, notre opiniâtreté plus forte que la raison, impénétrable à notre bonne foi, et totalement exclusive de la paix, de la concorde et de la liberté. Ah! si telle était la vérité, nous ne serions pas même dignes de la dire; nous n'en aurions pas le courage, et ceux qui provoquent de telles déclarations prouvent par cela même que leurs discours sont de simples jeux d'esprit, où ils nous prêtent fort injustement des sentiments tout à fait indignes de nous...

Mais, dit-on, l'approbation unanime qu'a reçue la motion de M. de Volney n'est-elle pas une preuve invincible que chacun de nous a reconnu que la véritable situation de cette assemblée était cet état de discordance inaccordable qui invoque nos successeurs? Non, sans doute; je ne trouve dans ce succès que l'effet naturel qu'a tout sentiment généreux sur les hommes assemblés. Tous les députés de la nation ont senti à la fois que leurs places devaient être aux plus dignes; tous ont senti que lorsqu'un des plus estimables d'entre nos collègues provoquait sur lui-même le contrôle de l'opinion, il était naturel d'anticiper sur les décrets de la nation, et que nous aurions bonne grâce à préjuger contre nous. Mais cet élan de modestie et de désintéressement doit faire place aux réflexions et aux combinaisons de la prudence.

L'orateur fait allusion à l'amendement proposé par le vicomte de Mirabeau :

« Aucun membre de l'assemblée actuelle ne pourra se présenter dans les assemblées élémentaires, ni dans les lieux d'élection, et nous nous serons rendu justice. »

Je ne sais s'il est bien de faire ainsi ses propres honneurs; mais je ne conçois pas qu'on puisse se permettre de faire à ce point. ceux des autres. Ainsi, pour prix d'un dévouement illimité, de tant de sacrifices, de tant de périls bravés, soutenus, provoqués avec une intrépidité qui vous a valu, messieurs, quelque gloire, d'une continuité de travaux, mêlés sans doute de tous les défauts des premiers essais, mais auxquels la nation devra sa liberté, et le royaume sa régénération, nous serons privés de la prérogative la plus précieuse, du droit de cité. Exclus du corps législatif, nous serions encore exilés dans notre propre patrie! Nous qui réclamerions, s'il était possible, un droit plus particulier de chérir, de défendre, de servir la constitution que nous aurons fondée, nous n'aurions pas même l'honneur de pouvoir désigner des sujets plus dignes que nous de la confiance publique! Nous perdrions enfin le droit qu'un citoyen ne peut jamais perdre, sans que la liberté de la nation soit violée, celui de participer à la représentation, d'être électeur ou éligible!

La motion Volney n'eut pas d'autre suite.

LIVRE VI.

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QUESTION DES SUBSISTANCES. JOURNÉES DES 5 ET 6 OCTOBRE, SEPTEMBRE ET OCTOBRE 1789.

CHAP. I. Projet d'une expédition contre Versailles. Lettre de Lafayette.

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Cependant, au milieu du calme apparent, sous cette surface presque paisible que formait la bourgeoisie, il y avait une sourde et profonde agitation. Versailles avait été menacé, le 18 septembre, d'une invasion parisienne.

M. Lafayette écrivait au ministre M. de Saint-Priest: «M. de La Rochefoucauld vous aura dit l'idée qu'on avait mise dans la

tête des grenadiers (les gardes françaises), d'aller cette nuit à Versailles. Je vous ai mandé de n'être pas inquiet, parce que je comptais sur leur confiance en moi pour détruire ce projet, et je leur dois la justice de dire qu'ils avaient compté me demander la permission... Cette velléité est entièrement détruite par les quatre mots que je leur ai dits, et il ne m'en est resté que l'idée des ressources inépuisables des cabaleurs. Vous ne devez regarder cette circonstance que comme une nouvelle indication de mauvais desseins, mais non, en aucune manière, comme un danger réel. Envoyez ma lettre à M. de Montmorin... On avait fait courir la lettre dans toutes les compagnies des grenadiers, et le rendezvous était pour trois heures, à la place Louis XV. » (Mémoires de Bailly.)

Quels étaient les cabaleurs? Les gens du peuple. Ils étaient en effet profondément persuadés que la disette ainsi que les retards aux bienfaits que leur promettait le mot constitution, étaient le résultat d'une conspiration de la cour, à laquelle le roi était étranger, mais dont il subissait l'influence; on croyait donc qu'il suffisait de posséder le roi, pour que tous les maux qu'on souffrait prissent fin aussi les gardes françaises voulaient aller à Versailles pour s'emparer de la garde du château, et il y eut quelque mouvement parmi les ouvriers, qui avaient projet de les accompagner. M. Bailly dit qu'il eut quelque peine à les arrêter.

Nous allons maintenant laisser parler le Moniteur. Les fails dont il rend compte constituent une si terrible accusation contre la cour, que nous n'avons rien voulu changer au texte, de crainte qu'on ne nous accusat d'avoir arrangé cette effrayante justification des colères révolutionnaires.

<«< Tout annonce depuis plusieurs jours l'approche d'un violent orage. Les partisans des anciens abus, c'est-à-dire, presque tous ceux qui en profitaient, désespérés d'une révolution qui, affranchissant le trésor public du tribut auquel l'avaient assujetti la bassesse et l'intrigue, sapait les fondements de leur fortune, se liguent pour la faire échouer, et relever l'idole du despotisme. L'intérêt de l'autorité royale, si longtemps chère à la nation, qui durant tant de siècles n'avait trouvé qu'en elle seule un rempart contre la tyrannie des prêtres et des grands, mais que les vexations des ministres et le brigandage des favoris avaient depuis rendue si redoutable; un feint attendrissement sur le sort du roi, qu'ils représentent dépouillé, avili, détrôné, et qu'ils avaient en effet réduit à cette condition déplorable jusqu'au moment où le peuple le délivra enfin du cruel et honteux esclavage auquel ils l'avaient condamné, sont des prétextes

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