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même, et qu'il a voulu, dans sa pensée, devancer l'époque, malheureusement trop tardive, de la complète réunion de ces deux partis. Les seules questions que s'adressent ses personnages, peuvent se réduire à celles-ci : Es-tu Guise? c'est-à-dire étranger; es-tu Alençon ? c'est-à-dire Français. Le caractère de Charles Glinet, l'honnête homme, le sage de la pièce, est de rapporter tout à la patrie, et rien aux factions.

Puisse la morale de ce digne Français germer profondément dans l'âme des citoyens à qui elle est adressée! Puissent-ils se convaincre tous que la charte aujourd'hui est à la patrie ce que, dans l'intention de la nature, la parole est à l'homme, la manifestation de ses sentimens et de ses besoins! Combien d'agitations funestes les factions n'épargneraient-elles pas à leur pays et à elles-mêmes, si elles pouvaient se pénétrer une bonne fois de cette pensée, que la France qui a combattu vingt-cinq ans pour sa gloire et sa liberté, n'abandonnera pas tout à coup des intérêts si chers, lorsqu'ils ont reçu la sanction sacrée de la loi, et lorsque la proclamation de la charte réduit les mécontens à l'alternative de l'hypocrisie ou de la sédition! Cependant, au milieu de toutes les atteintes portées à nos garanties constitutionnelles, les écrivains gagés poursuivent, dans un discrédit qui ne les rebute point, parce que le salaire va toujours, leur honteuse carrière d'invectives contre les défenseurs de la loi. Peu soucieux de garder l'honneur, les uns de leurs dignités, les autres de leurs renommées littéraiils trahissent la bassesse de leurs engagemens, jusqu'à oser imprimer en substance, que les récompenses données aux travaux des sciences ou des lettres imposent, à ceux qui les ont reçus, le devoir de la corruption et de la servilité. Quelle est leur espérance lorsqu'ils essaient de flétrir du nom de factieux, des littérateurs que l'estime générale honore du nom de citoyens ? Il en sera bientôt des délations de 1818, comme de celles de 1815, qui ont fini par retomber ignominieusement sur leurs auteurs. Les agens.

res,

éclairés du pouvoir reconnaissent toujours un peu plus tôt, ou un peu plus tard, que rien ne porte malheur à un pays, comme de persécuter les écrivains courageux.

Revenons à la famille Glinet. Je ne crois pas fondé le reproche que quelques personnes ont fait à l'auteur, du caractère d'un valet, qui déclare que son seul parti est celui de la cuisine. Ce n'est là qu'une plaisanterie sans conséquence amenée tout naturellement par le sujet, et opposée à la ridicule importance politique que veut se donner une petite servante. Encore une fois, c'est dans le personnage de Charles Glinet qu'il faut aller chercher la morale de la pièce, et l'expression des véritables sentimens du poëte. En effet, sous un régime représentatif, où tous les hommes sont appelés à devenir citoyens, et tous les citoyens appe❤ lés à discuter les lois et les actes de l'autorité, ce serait une doctrine bien dangereuse que celle qui renverrait chacun à ses affaires, comme si la grande affaire de tous n'était pas la patrie; la patrie, dont je n'ai dit que la moitié des maux, en montrant le dernier soupir convulsif des priviléges et de la féodalité! D'autres coups lui sont portés par les efforts perfides et toujours renaissans d'une aristocratie, qui cherche à miner la constitution, en s'appuyant sur elle comme Sixte-Quint sur ses béquilles. Et ne nous y méprenons point, c'est de ce côté-là que sont nos périls les plus graves. La France entière repousse les priviléges comme un poison dont les effets lui sont connus; mais les distinctions aristocratiques qui tuent, au profit de l'orgueil et du despotisme des corps, la dignité des citoyens, la vie de l'état, et l'esprit véritable de la monarchie, n'avertissent pas également les défiances. Il est donc nécessaire que les Français se réunissent contre de tels dangers dans une vigilance générale; aucun d'eux ne doit se regarder comme étranger à la chose publique; il ne faut pas que la désertion commune la livre à un déplorable envahissement. J'entends d'ici des adversaires de mauvaise foi m'accuser de tendre à la démocratie; je ne tends qu'à l'exécution de la charte; il

est juste que ma défense se porte sur les points dans lesquels elle est menacée. Tous les élémens qui la composent me sont sacrés; et, s'il en est quelques-uns que je chérisse plus de cette affection qui ne peut être un mérite ni un tort, puisqu'elle est indépendante de nous, je garde à tous ce respect et cette soumission qui sont le devoir de l'honnête homme et du citoyen. Pour achever ma profession de foi, je voudrais qu'il fût élevé sur une de nos places publiques, une statue de la charte, pareille à celle de Diane, que les Lacédémoniens honoraient sous le nom de DROITE, parce qu'elle était si bien liée avec des brins de sarment, qu'elle ne pouvait pencher d'aucun côté. A.

LE CHAMP-D'ASILE.

Les gazettes étrangères, et ensuite les journaux français, ont parlé du projet d'établissement formé par les généraux et officiers français qui se trouvent maintenant en Amérique. Il n'a été publié à cet égard que des détails incomplets, des nouvelles inexactes ou des diatribes calomnieuses. Les détails incomplets ont leur source dans les feuilles américaines, les faits inexacts viennent des gazettes anglaises, les diatribes calomnieuses ont été inventées par certains journaux de Paris; il en est, comme on sait, aux injures desquels on ne peut échapper lorsqu'on est Français et malheureux. Des personnes bien instruites nous ont mis à même de rétablir la vérité des faits.

Un acte de la législature des États-Unis accordait, aux Français conduits en Amérique depuis 1814, cent_mille acres de terre sur la Mobile et le Tombig-Bee, pour y for mer une colonie. Chaque militaire recevait un espace de terrain proportionné à son grade; mais la plupart des officiers, lorsqu'ils arrivèrent sur ces rives étrangères, manquaient des objets nécessaires aux premiers besoins de la

vie; après quelques mois de séjour à New-York, à Philadelphie, à Boston, ils se trouvèrent, par suite de leur dénument absolu, avoir contracté envers leurs bôtes des obligations pécuniaires d'autant plus onéreuses, qu'ils n'avaient, pour le moment, aucun moyen d'y satisfaire. Des spéculateurs américains vinrent à leur secours : ils propo sèrent aux officiers français d'acquitter leurs dettes, de leur donner même quelques sommes modiques en argent, à condition que ceux-ci leur céderaient tous leurs droits sur les portions de terres concédées par le congrès. Les Français n'avaient pas le choix; la nécessité leur fit une loi d'accepter ces propositions, et le marché fut conclu. Qu'en résulta-t-il? c'est que les sept huitièmes des habitans ou des propriétaires de la colonie furent tout à coup Américains, tandis que, dans le principe, ils devaient être exclusivement français. Cette circonstance dénatura tout-à-fait le plan d'établissement. Les généraux et officiers supérieurs, qui avaient réalisé des fonds destinés à l'agriculture, se trouvèrent ainsi isolés au milieu d'une population dont le langage, les mœurs, les usages n'avaient aucun rapport avec les leurs, et peut-être qu'éloignés de leur patrie, ils ne purent consentir à se séparer de leurs compagnons de malheur; il est des infortunes qui se prêtent un mutuel appui; n'ayant parmi eux que des compatriotes, l'illusion pouvait encore représenter la France à ces Français expatriés; mais aussitôt qu'ils furent séparés, disséminés ou confondus parmi des étrangers, l'illusion disparut, et la seule espérance d'une réunion nouvelle, d'une nouvelle communauté d'infortune, doubla leur courage et soutint leur persévérance.

Les généraux Lallemant, accompagnés de quelques officiers intelligens, allerent reconnaître les provinces voisines. Celle de Texas, dans le golfe du Mexique, comprise entre les rivières de la Trinité et del Norte, parut offrir tous les avantages qu'ils désiraient pour fonder une autre colonie. Le sol y est fertile, le climat beau et tempéré. On fit des T. III. 17

essais qui réussirent parfaitement, et l'on forma dès lors le projet d'aller s'y établir.

Le général Lallemant le jeune venait d'épouser l'une des nièces et héritières de Stephen Gérard, le plus riche négociant des États-Unis (on évalue sa fortune à quarante millions de francs.) Ce mariage lui donnait beaucoup de facilités pour se mettre avec son frère à la tête d'une grande entreprise. En conséquence, ils adressèrent à la cour d'Espagne, pár l'entremise de l'ambassadeur espagno!, une note dans laquelle ils annonçaient :

Que leur intention, comme celle des Français réfugiés en Amérique, était d'aller s'établir dans la province de Texas;

Que puisque des proclamations officielles invitaient les colons de toutes les classes et de tous les pays à se fixer dans les provinces de l'Amérique espagnole, sa majesté catholi que verrait sans doute avec plaisir la formation d'une colonie dans un pays désert, qui n'attendait que des habitans industrieux pour devenir un des plus beaux et des plus fertiles de la terre;

Que les membres cómposant cette colonie étaient tous disposés à reconnaître le gouvernenient espagnol, à lui faire hommage, à supporter toutes les charges, à lui payer des impôts proportionnés aux revenus; mais qu'ils sollicitaient la faculté de se régir par leurs propres lois, de ne point obéir à un gouverneur espagnol, de créer caxmêmes leur système militaire;

Que si la cour d'Espagne acquiesçait à leurs demandes, elle pouvait compter sur leurs services et leur filélité;

Que, dans le cas contraire, ils profiteraient du droit que la nature accorde à tout homme de fertiliser des solitudes incultes, ét dont personne n'est autorisé à lui dispu ter la possession;

Que leurs prétentions à cet égard étaient bien autrement fondées que celles des Espagnols au temps de la cou

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