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août 1594; il s'y trouve une foule de ces expressions qui partent du cœur d'un roi, et qui vont droit aux cœurs des peuples. Cette pièce n'est pas connue, et ne saurait trop l'être aujourd'hui; c'est un monument que Henri iv éleva lui-même à sa gloire, et qui doit durer autant que sa statue. Les priviléges des villes étaient envahis, des plaintes se faisaient entendre de toutes parts: « Mes amis, dit » Henri Iv, je ne suis point roi pour ruiner mes peuples. » Vous serez remis et maintenus dans tous vos anciens

priviléges, et vous promets que ne ferai autre levée ni >> emprunt, car yous ruiner est ma ruine même. Mais s'il » advient que je sois pressé de mes ennemis, je recour » rai à vous, et me jetterai dans vos bras. Vous demandez » que n'ayez aucun gouverneur. Je vous promets que vous » n'aurez autre gouverneur que votre capitaine, selon que » vous avez eu de tout temps, et n'aurez d'autre garnison " que celle que vous voudrez vous-mêmes, et ne veux au» tre citadelle ou forteresse que le cœur de vous autres. » Les dissensions religieuses agitaient l'état avec une furie que nous avons malheureusement vue se renouveler dans le midi de la France.

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Avec quelle sagesse s'exprime à ce sujet le monarque.

Je n'ai limité que trois lieues à l'entour de vous, où j'ai défendu l'exercice de la religion prétendue réfor» mée. Vous ne devez vous en formaliser, eu égard que » vous savez bien que j'ai affaire à beaucoup de personnes, » et qu'il faut que je contente un chacun.

» J'ai en mon royaume de Béarn deux provinces joignant l'une l'autre, séparées d'une forte rivière, en » l'une desquelles ne s'est jamais fait pendant mon règne » aucun prêche, et dans l'autre ne s'y est jamais dit au» cune messe, sans que pour cela les habitans de l'une et » l'autre ne se fussent jamais fait tort d'un sol l'un à l'auttre. Aussi, quand j'aurai tout réduit, vous verrez mes » deux royaumes unis en toute concorde. »

La justice plongeait les citoyens dans les cachots; sépa

rés des plus chers objets de leur affection, ils attendaient que les juges voulussent bien prononcer sur leur sort. Écoutons parler le monarque :

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« On ne fera durer les procès éternellement. En mon » pays de Béarn j'ai si bien réglé les juges, que les plus longs procès ne durent que trois mois au plus ; et quand » mon état sera paisible, ce sera la première chose où je » mettrai la main, connaissant bien que le plus grand soulagement, au temps de paix, est la justice bien établie

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» sur tous. »

Il n'y avait point alors de charte qui garantît la liberté individuelle; et des citoyens avaient été éloignés de leur domicile; mais ils connaissaient du moins le terme fixé à leur disgrâce, et chaque jour qui s'écoulait dans l'exil semblait les rapprocher du toit paternel.

« Je n'ai jamais mis autres personnes dehors que celles » que les habitans m'ont importuné de faire, faisant en» tendre que leur présence serait une cause de trouble et de sédition. Toutefois ce n'a été que pour trois mois, après lesquels passés ils pourront retourner avec leurs » femmes et leurs biens, et les ai pris en ma sauve-garde. » Mes amis, je suis marri qu'il faut qu'il vous soit repro

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ché que vous avez mis ma ville de Beauvais entre les » mains de l'Espagnol, mon capital ennemi. Ne deviez» vous pas connaître qu'il faut qu'il soit chassé de France? Ayez souvenance de ma clémence et de ma miséricorde, » et que je n'aie occasion de vous haïr. »

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On a beaucoup disputé sur l'inscription qu'il convenait de placer au bas de la statue de Henri iv. Ces mémorables paroles, qui respirent la tolérance, le respect pour les droits des citoyens, l'amour du pays et la haine de l'étranger, ne devraient-elles pas y être gravées en caractères profonds? Adressées autrefois à la ville de Beauvais, il semble qu'elles s'adressent aujourd'hui à toute la France. Les

peu

ples, les magistrats, les ministres, y apprendraient leurs devoirs, et les rois y trouveraient leur modèle.

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Je suis, etc.

E.

P. S. On vient de réunir, dans une brochure (1), les lettres que M. Benjamin Constant a adressées, par la Minerve, à M. C. Durand, avocat, en réponse à son ouintitulé: Marseille, Nîmes et ses environs en 1815. Cette impression a été enrichie, par l'auteur, de notes et pieces justificatives três-curieuses.

vrage,

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- Le journal militaire, rédigé à l'état-major-général de la garde russe, sous la protection particulière de S. M. I., contient no. I , pag. 70-74, le récit d'une affaire qui eut lieu en 1814, entre les troupes russes et françaises aux environs de Hambourg. Il fut communiqué à ce journal, par le chef d'état-major d'un des corps d'armée russes, qui faisaient le blocus de cette ville. Je me fais un vrai plaisir de vous transmettre la traduction littérale de cet article, persuadé que le récit d'un événement qui honore l'humanité et le caractère des militaires français, doit trouver une place dans votre ouvrage. Puisse, messieurs, sa publication dans un journal russe, vous prouver que les souvenirs d'une guerre heureusement éteinte, n'a point altéré les

(1) Chez Béchet, libraire, quai des Augustins, n°. 57.

sentimens qui doivent animer deux nations qui ont tant de raison pour s'aimer, et qui n'en ont point pour se hair. Agréez, messieurs, l'expression de ma considération très-distinguée Un de vos souscripteurs.

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Au mois de janvier 1814, une armée russe sous les ordres du général comte Benigsen, investit Hambourg. Le maréchal Davoust défendait cette ville avec autant de talent que de courage.

Le comte Benigsen se contentait de faire des attaques partielles sur des ouvrages détachés; il dut adopter ce systeme, soit qu'il n'eût pas assez de forces, soit qu'il attendit le résultat des opérations des armées alliées en France..

Ce fut à la suite d'une de ces aitaques que les troupes russes s'emparèrent de l'île de Wilhemsbourg L'armée russe ayant reçu quelque temps après de nouveaux renforts, le comte Benigsen fit passer une partie de la vingt-sixième division d'infanterie sur la rive gauche de l'Elbe. Ge détachement fut confié au lieutenant-général Emmé, qui eut l'ordre d'observer la ville de Hambourg, et de la resserrer" de plus près. L'ennemi en défendait ici les approches avec d'autant plus de succès, que la nature du terrain le favori sait particulièrement. Un plateau avoisinant l'Elbe, traversé par des digues, y empêchait toute tentative sur des retranchemens isolés, entourés de lieux bas et marécageux.

Une forte gelée étant survenue, le général Emmé se décida à en profiter pour attaquer un de ces retranchemens, défendu par huit pièces de canon. Un bataillon devait, au point du jour, le tourner, en passant par la glace, tandis qu'un autre bataillon devait l'attaquer de front par une digue qui venait y aboutir, et qui était tellement étroite, qu'à peine quatre hommes pouvaient y marcher de front.

La veille du jour fixé pour l'attaque, le général Emmé fit un appel aux chefs de bataillons, pour demander lequel voudrait se charger spontanément de conduire l'attaque par he digue. Tous s'étant unanimement présentés, le général dut recourir à la voie du sort pour décider une aussi noble rivalité. Le sort désigna le troisième bataillon du régiment d'Orel, commandé par le major Lounine..

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Au point du jour, cet officier conduisit l'attaque avec deux compagnies de son bataillon, en laissant les deux autres en réserve sur la digue. Il fut reçu par un feu meurtrier; mais il avançait toujours, dans l'espérance que la principale attaque dirigée contre les derrières de l'ennemi, ne tarderait pas à le mettre en désordre, et à détourner le feu de la batterie. Cependant un dégel inattendu avait eu lieu dans la nuit, et la colonne chargée de prendre le retranchement par le revers ne put marcher; ce qui fit que l'ennemi continua à diriger tout son feu contre le seul bataillon attaquant. Le feu de l'artillerie ennemie fut si bien nourri, que, de quatre officiers qui se trouvaient présens, trois furent incontinent mis hors de combat.

Cette perte, ainsi que celle que causait au bataillon le feu de la mitraille, n'empêchèrent pas Lounine d'avancer; mais, en approchant du retranchement, il trouva, à son grand étonnement, que la digue était coupée par un fossé large et profond, et la batterie elle-même entourée d'un double rang de palissades, et d'un autre fossé rempli

d'eau.

De si grands obstacles, ou plutôt l'impossibilité même ne rebuterent point ces braves soldats. Quelques grenadiers pénétrèrent même, on ne conçoit, pas comment, jusque dans l'intérieur du retranchement. Peut-être les autres y seraient-ils aussi parvenus; mais, au milieu de leurs efforts, le major Lounine, ainsi que le quatrième et dernier officier, furent grièvement blessés. Il ne restait d'autre parti que celui de la retraite, laquelle toutefois, d'après la disposition générale, ne devait être effectuée que sur un signal donné par le chef de l'expédition. Personne ne fit un pas en arrière; Lounine continuait de commander, malgré sa blessure; l'officier blessé restait à son poste.

C'est alors que le général Emmé, informé de l'obstacle que le dégel avait mis à la marche de la colonne tournante, fit donner le signal de la retraite. Les débris des deux compagnies, obligés de se retirer sous le feu de l'ennemi par la même digue étroite, regardaient leur perte comme iné. vitable. Quelques décharges de mitraille suffisaient pour les anéantir tous; ils se croyaient voués à une mort certaine. Les soldats se dirent adieu les uns aux autres ; mais quel fut leur étonnement, lorsque la batterie ennemie cessa su

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