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réflexions par lesquelles M. Raynouard a terminé son rapport :

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« Jadis on a écrit avec courage pour conquérir des insti»tutions; aujourd'hui le vrai courage est d'écrire pour les défendre, pour les maintenir. Ce changement favorable » peut exercer sur la littérature et sur la philosophie l'in»fluence la plus féconde; il donne à l'esprit humain parmi » nous une marche certaine, directe, invariable; bienfait inappréciable, dont les lettres et la philosophie ne sauraient » être trop reconnaissantes envers le prince qui a eu la » vertu et la gloire de consacrer ces institutions. »

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Me voici à la réception de M. Cuvier.

Sans doute les grands corps doivent avoir des cérémonies, où ils s'offrent au public dans toute la dignité de leurs fonctions; et toute cérémonie s'anime, se consacre et laisse de nobles souvenirs d'elle-même par des discours graves et imposans. Cela est encore plus vrai du corps littéraire, qui cultive pour la société entière le talent et l'art de la parole. J'aime à entendre parler un homme que ses premiers travaux appellent aux honneurs de sa profession, dans un jour de gloire et de bonheur; ce n'est pas celui où il doit rester au-dessous de lui-même. Qu'il traite donc un des sujets qui entrent le mieux dans sès pensées et ses affections habituelles; un de ces sujets où l'on déploie le plus naturellement tout ce qu'on peut avoir d'originalité.

Ce principe a déjà prévalu depuis long-temps; les discours de réception offrent des discussions de ce genre; et c'est par lå que nous pouvons détacher de nos insipides recueils, une vingtaine de vraiment beaux discours; ce qui est beaucoup. Ce nouvel usage convenait trop aux vastes études et au talent riche et facile de M. Cuvier, pour qu'il n'imitât pas l'exemple des autres savans, qui entraient aussi à l'académie française, les d'Alembert, les Buffon, les Condorcet, Bailly, Vic-d'Azyr; car ce sont eux qui ont cherché ce mérite avec le plus de soin.

Mais je demande ce que signific cette modestie de parade,

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à laquelle personne ne croit, ni ne peut croire, par laquelle un homme, tel que M. Cuvier, qui se présente avec une gloire européenne et la haute distinction d'être, depuis vingt ans, l'organe des sciences au sein des académies, s'étonne, se confond, se trouble de l'honneur qu'il reçoit? La dignité personnelle se rabaisse par ces artifices étudiés; et l'éloquence veut de la candeur et de la bonne foi. Je demande ensuite ce que signifie ce complet panégyrique, que le récipiendaire est condamné de subir en face, par l'organe du président? On a dit qu'il manquait à la gloire de Trajan de ne s'être pas refusé à la célèbre harangue de Pline le jeune ; je crois bien qu'il n'y a guère d'académicien qui, en passant par cette épreuve, n'eût volontiers demandé grâce, et ne se fût échappé de la salle, s'il l'ayait pu. Au milieu de tout cela, se trouvent toujours deux éloges successifs du prédécesseur, par lesquels il se trouve toujours que le prédecesseur a été tout ce qu'on pouvait de mieux dans l'espèce de son mérite.

Dans les autres académies, on n'est loué qu'une fois, mais bien, parce qu'on l'est par un jugement raisonné, où toute exagération serait une disconvenance. Je suis toujours amené à conclure contre les usages de l'académie française.

En voici un autre qui constate une illusion singulière, qu'on ne fait aux autres qu'en se la faisant à soi-même :

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<< Parcourez tous ces discours, qui, depuis plus d'un siècle et demi, se renouvellent et se perpétuent dans ce corps, vous y voyez que la nation française est célébrée » comme ayant seule, entre toutes les anciennes et modernes, un tribunal qui préside à sa langue; c'est à cette glorieuse institution que la langue doit tous les progres qu'elle a faits depuis son premier débrouillement, toutes » les qualités par lesquelles elle compense ses infériorités, et » surtout l'heureuse fixité qu'elle a acquise au sein même » de toutes les irrégularités. De là ce mérite d'un ordre D'us lumineux dans l'enchaînement des idées; d'une suc

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cession plus vraie, d'une variété plus sage dans les mou» vemens de la pensée ; d'un tissu plus habile dans toute la » diction; d'où résultent ces beaux caractères, qu'on ne » conteste pas à nos grands écrivains, et qui forment la gloire propre de notre littérature : ce grand art de savoir >> bien composer un livre, d'abréger les détails dans la » formation des masses, de soutenir l'attention, de gra>> duer l'intérêt ; et l'art, peut-être encore supérieur, d'une » riche précision, d'une verve soutenue et d'une pureté élégante dans le style. Nous devons tout cela à l'académie française, dont la fondation se reporte à la première époque de nos belles productions dans tous les genres. » Et que fait l'académie, pour accomplir de si précieux

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>> résultats?

» Son dictionnaire. »

Il ne semble qu'on est encore tout près de retomber dans ces mensonges convenus. Mais où vont-ils ? à dissimuler des vérités, qu'on ferait mieux de reconnaître franchement. L'académie donne un rang dans le monde à ses membres; voilà son service littéraire. Elle se pare justement de l'illustration de ses membres présens et passés; voilà son avantage. Du reste, la gloire propre d'un corps étant dans son action, son influence; et l'Académie ayant été constituée pour ne rien faire, ne servir à rien; elle doit tout à quelques fondations particulières : telle fut jusqu'ici sa destinée. Sans y penser, sans le vouloir, tous ses membres, dans tous les temps, à proportion qu'ils étaient dignes d'elle, se sont toujours élevés au-dessus de l'institution par leurs pensées et leurs efforts; et c'est ainsi que j'ai moi-même à les absoudre de ces suppositions trop flatteuses que je leur reproche; elles ne doivent être prises que comme des vœux indirects sur ce qu'il fallait, et des accusations dissimulées sur ce qui est.

L'étendue qu'a déjà reçue cet article, me force à renvoyer à une autre livraison des considérations plus gé

nérales.

L.

T. III.

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L'ERMITE EN PROVINCE.
N PRÓ

SOUVENIRS ET ESPÉRANCES.

On a revu ces temps de discorde et d'outrages,
Ces jours de fanatisme, où ceux qui dans leur foi,
Des pontifes romains méconnaissant la loi,
Accablés sous le poids de rigueurs inhumaines,
Illustraient le supplice, ennoblissaient les chaînes:
Quand Louis vieillissant, déchu de sa grandeur,
A la voix d'une femme et d'un prêtre imposteur,
Foulant aux pieds l'état, l'intérêt, la justice,

Du plus grand des Henri renversait l'édifice.

Je ne suis pas surpris du mouvement que l'approche des élections imprime en ce moment aux esprits dans une ville qui a tant souffert, et sur les destinées de laquelle les choix qu'elle va faire doivent avoir tant d'influence. Le désir d'observer et de saisir pour ainsi dire au passage les traits fugitifs que cette circonstance imprime au caractère des Nimois, m'oblige à m'écarter de la règle que je me suis faite, d'examiner le théâtre avant de m'occuper des acteurs. Cette fois je dois en convenir, je ne parlerai guère des objets matériels que dans leur rapport avec les souvenirs douloureux qu'ils retracent à mon esprit. J'entends déjà les reproches que m'adressent les hommes de 1815. « Je vais réveiller des haines endormies, rouvrir des blessures cicatrisées, rallumer des passions éteintes. » Rassurezvous, charitables mortels, je parlerai des crimes, et je laisserai à la voix publique le soin de désigner ceux qui les ont commandés ou commis; je citerai les faits sans nommer les personnes; mais je dois être avec vous-mêmes d'assez bonne foi pour convenir du véritable motif de ma réscrve. Il est des crimes de fait pour lesquels la morale et

l'humanité n'admettent point de prescription, dont les auteurs ne devraient point trouver de refuge dans l'oubli ni dans l'indignation de leurs contemporains; mais la justice des hommes a son impuissance quand les témoins ne sont plus; la mémoire hésite sur les détails des événemens, le temps détruit les preuves, et la loi, qui n'a plus de prise, est forcée d'abandonner le criminel au supplice du remords. Les massacreurs du 2 septembre 1793 n'ont pas à mes yeux plus de droit à l'impunité que ceux du 18 juillet 1815; mais la justice, qui ne peut les frapper qu'au hasard est forcée de les laisser vivre. Le même privilége ne saurait être invoqué en faveur des assassins qui ont récemment ensanglanté le midi de la France; le sang qu'ils ont versé fume encore; les traces des flamines qu'ils ont allumées restent empreintes sur les débris des murailles; le deuil dont ils ont couvert tant de familles, n'est pas expiré. Mais une autre barrière s'élève entre eux et leurs accusateurs, celle de l'arrêt qui les absout; qu'ils vivent donc, mais que la mémoire de leurs forfaits, que les causes qui les ont produits, que les circonstances, au milieu desquelles ils ont pu se commettre impunément, se perpétuent pour en empêcher le retour.

C'est dans cette disposition d'esprit que j'ai parcouru ce matin, pour la première fois, la ville de Nîmes: l'intérieur, c'est-à-dire l'enceinte entourée autrefois par des remparts et maintenant par des boulevarts, n'a qu'une très-petite circonférence; je ne crois pas me tromper en assurant que le seul jardin des Tuileries présente une surface à peu près égale : sous le rapport de l'étendue et de la population, Nîmes est aujourd'hui dans ses faubourgs.

J'ai commencé ma promenade par ceux du nord; les Bourgades, l'enclos de Rey et le faubourg du chemin d'Uzès.

Le faubourg des Bourgades est un véritable cloaque, dont l'aspect n'est guère moins repoussant que celui des hommes qui l'habitent; c'est là que vivait, que devait vi

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