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vrais citoyens comme les injures : il n'y a dans leur cœur de place que pour la patrie. Il est beau de voir les hommes de bien vengés par leur pays des torts de l'autorité : puisse cette leçon salutaire lui apprendre qu'en France frapper injustement le mérite, c'est le désigner aux suffrages de tous les Français!

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L'opinion venge tốt ou tard de ceux qui la méconnurent: parce qu'ils ont quelquefois réussi à la corrompre ou à l'effrayer, ils croient la braver toujours; mais vient enfin le moment où éclatent ses inévitables arrêts. Les élections sont la seule époque de l'année où les ministres ne la dédaignent pas. Que dis-je? ils l'implorent, ils la supplient : c'est la divinité du jour; plus ils l'ont irritée par des refus, plus ils s'efforcent de l'apaiser par des sacrifices. Celui qu'ils viennent de lui offrir est assez important; ils ont enfin supprimé tous ces inspecteurs généraux, tous ces états majors de gardes nationales qui pesaient sur nos provinces: on le demandait en vain depuis deux ans, on l'a obtenu la veille des élections.

C'est encore la Minerve qui, la première, a fait entendre les plaintes qui s'élevaient de toutes parts, et elle se fait un devoir de féliciter le ministre qui a su les entendre! Puisse cet acte de son administration être suivi des réformes nombreuses que la France sollicite! Paisse-t-il se bien convaincre, par les témoignages de la satisfaction publique, que si l'opinion est exigeante, elle n'est pas ingrate.. Une justice tardive et incomplète n'en excite pas moins la reconnaissance nationale. Je dis une justice incomplète, car la nouvelle ordonnance ne remédie pas à l'arbitraire qui accorde ou qui refuse des armes aux citoyens, et qui établit, au milieu de la France, une autre classe de suspects; elle ne rend pas d'ailleurs aux gardes nationales le choix de leurs officiers; elle ne leur accorde pas même le droit de les présenter à la nomination du roi : de sorte que l'armée de ligne est plus favorisée que l'armée nationale ; inégalité choquante et tout-à-fait inconstitutionnelle,

Ce n'est pas d'ailleurs une ordonnance, qui, de sa nature, est toujours révocable, c'est une loi qu'on attendait sur cette partie essentielle de la force publique : peut-être l'obtiendrons-nous au moment des élections de 1819.

Je dis qu'une ordonnance est révocable, et je le prouve par l'ordonnance même qu'on vient de rendre, puisqu'elle en rapporte quatre ou cinq autres. Comment les ordonnances, qui ne sont que de simples actes d'administration, seraient-elles durables, quand on ne se fait aucun scrupule de revenir sur celles qui, s'appliquant à des matières contentieuses, ont, pour ainsi dire, le caractère d'un jugement. Telles sont, par exemple, les ordonnances par lesquelles on crée des places qui exigent des cautionnemens. Il est bien évident que lorsqu'un nombre déterminé d'individus doit faire, moyennant une finance établie par l'autorité, toutes les affaires d'une place, si l'on augmente le nombre de ces individus, on diminue la portion d'affaires sur laquelle ils ont dû compter, et qu'ainsi on viole un droit qu'on leur avait vendu.

C'est ce qui arrive aujourd'hui pour les agens de change de Paris. Une ordonnance royale, du 29 mai 1816, en réduisait définitivement le nombre à soixante, pour les dédom mager de l'augmentation de leurs cautionnemens, qu'elle portait de cent à cent vingt-cinq mille francs. Il est clair qu'ils ont dû compter sur le soixantième des affaires de la place de Paris; que la valeur des charges s'est établie sur cette donnée, et que plusieurs se sont vendues en conséquence. Eh bien! voilà que tout à coup on parle de créer dix nouvelles places d'agent de change: ainsi on diminuerait d'un sixième la valeur de ce qu'on a vendu; et, en manquant à la foi publique, on donnerait un exemple qu'un gouvernement doit toujours éviter.

On ne sait que penser d'un pareil projet, quand il est bien avéré que vingt agens de change suffiraient à toutes les affaires réelles de la place de Paris. Le surplus n'est alimenté que par les spéculations de bourse et par le jeu sur

les effets publics. Augmenter le nombre des agens de change, ce ne serait donc, en dernier résultat, qu'augmenter le désastreux fléau de l'agiotage; ce serait dans un temps où l'on nous parle sans cesse de morale, contribuer à la démoralisation publique. Plus j'y réfléchis, moins je conçois le vrai motif de cette augmentation; car je ne puis croire qu'elle ait pour but de récompenser quelques créatures qui s'entremêlent dans ces négociations, et trafiquent de leur crédit réel ou prétendu, afin d'obtenir des pots-de-vin pour eux, et des épingles pour leurs femmes ou pour leurs maîtresses. Il est vrai que cela se pratiquait ainsi dans l'ancien régime, et, pour certaines gens, tout ce qui se faisait alors est nécessairement honnête.

Mais ce ne sont pas seulement les agens de change qui se plaignent; voilà les six cents boulangers de Paris en procès avec le ministère, et un mémoire signé Chauveau-Lagarde, qui expose leurs plaintes, vient d'être distribué avec profusion. Il y a dans ce démêlé une chose tellement extraordinaire, tellement inconcevable, qu'après l'avoir relue vingt fois je me refuse encore à y croire. Lors de la pénurie de 1816, le gouvernement acheta des farines de toute part; les étrangers, comme on le pense bien, ne nous envoyèrent pas ce qu'ils avaient de meilleur, et quand la récolte arriva, il restait encore dans les magasins de l'état, douze mille sacs de farine avariée; ils valaient à peine vingt-huit francs, disent les boulangers, mais l'administration, qui ne voulait rien perdre, les força de les prendre à soixante fr., en les menaçant de leur enlever leur état, s'ils s'y refusaient, ce qu'elle a méme fait à l'égard de l'un d'eux. Cette manière d'administrer est plus turque que française, et me semble, je l'avoue, bien étrange sous un gouvernement constitutionnel. Aujourd'hui, les boulangers qui avaient cédé comme contraints, réclament une indemnité qu'on leur a promise. Vous n'imagineriez jamais sous quel prétexte on la leur refuse; c'est parce qu'ils ont su, par l'emploi de la pomme-de-terre, et par de faux poids,

trouver le moyen de s'indemniser. Mais s'ils se sont servis de faux poids, l'autorité l'a donc su, et ne l'ignorant pas, elle aurait dû l'empêcher; ainsi donc, elle aurait souffert la fraude pour en profiter. Non, quoique toute une corporation l'atteste, quoique M. Chauveau-Lagarde le signe, je ne croirai jamais à une si singulière fin de non-recevoir; du reste, la contestation vient dans un bon moment pour ceux qui ré→ clament: six cents boulangers dans un temps d'élection ne sont pas sans importance; et leur demande qui n'était pas fondée, il y a un mois, pourrait bien devenir juste d'ici à une quinzaine de jours. Mais si le ministre apaise les boulangers, comment triomphera-t-il de dix mille pharmaciens qui lèvent l'étendard de la guerre ? Une telle armée est capable de faire trembler les plus intrépides. Leur manifeste est, dit-on, sous presse; et il se dirige contre une ordonnance qui leur semble, avec raison, très-peu constitutionnelle. Voici l'exposé de ce grand procès, qui est bien digne de faire pendant à celui des farines. M. le ministre de l'intérieur a fait rédiger pour les pharmaciens un nouveau codex medicamentarius, et ils sont loin de blâmer cette mesure; mais son excellence a contre-signé une ordonnance royale qui enjoint à tout individu tenant officine ouverte dans l'étendue du royaume, d'acheter ledit codex chez le libraire à qui elle a bien voulu en concéder l'impression, à peine de payer une amende de cinq cents francs, conformément à un arrêt du parlement de Paris, de 1748.

Or, ce volume se vend dix-huit francs; il y a au moins dix mille pharmaciens en France; donc c'est une petite affaire de cent quatre-vingt mille francs pour l'heureux libraire qui en a obtenu le privilége. Les pharmaciens demandent d'ailleurs comment on peut les forcer à acheter le nouveau codex, quand l'ancien peut leur suffire avec quelques notes marginales. Si on a le droit de les y contraindre, on aurait donc celui d'obliger tous les gens de loi à acheter le Code civil chez le libraire des tribunaux, et tous les gens d'église. à acheter un Bréviaire chez le li

braire de la grande aumônerie. Un achat force n'est-il pas une espèce d'impôt indirect, que nul, d'après la charte, n'a le droit d'établir? Une ordonnance du roi peut-elle contenir des dispositions pénales? Un arrêt du parlement de Paris, rendu en 1748, peut-il s'appliquer à un livre composé en 1818 ? L'article 4 du Code pénal ne dit-il pas formellement que nul délit ne peut être puni de peines qui n'étaient pas prononcées par la loi avant qu'ils fussent commis. Or, une ordonnance royale, et un arrêt du parlement de Paris, sont-ils des lois? Voilà des réflexions qu'aurait faites un simple bachelier. Comment ont-elles pú échapper au ministère de l'intérieur? J'aurais cru qu'il s'y trouvait au moins un avocat.

Je dirai à toutes les corporations ce que je disais l'autre jour aux négocians. Les colléges électoraux sont ouverts; nommez des hommes indépendans par caractère et par position. Quand ils seront en majorité dans la chambre, la responsabilité ne sera plus un vain mot, et des ministres responsables ne manqueront pas plus à la foi promise, qu'ils ne se permettront d'établir des taxes réprouvées par la loi : que tous les citoyens soient bien convaincus que c'est du scrutin électoral que doivent sortir toutes les garanties sociales; qu'ils résistent aux séductions, et qu'ils n'écrivent leur vote que sous la dictée de leur conscience.

Ces vérités sont si claires, que tous les sophistes du monde ne sauraient les obscurcir; ils les réfuteront à peu près aussi bien que mes observations sur l'organisation départementale et municipale. Si j'avais besoin de nouvelles preuves, je me servirais de leurs réponses; par exemple, je vous mandais, il y a quelques jours, que dans un conseil général de département, on avait unanimement voté contre la vaccine, et qu'une seule voix s'était élevée en faveur de cette découverte diabolique. Cette voix, me répond un recueil ministériel, était celle du préfet; donc la présence de ces fonctionnaires est utile dans les conseils généraux. Je répliquerai à mon tour: donc les conseils géné

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