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grets de tous les peuples d'au-delà des Alpes, ramena en France une magnifique armée et un immense matériel de guerre. Nommé en 1815 membre de la chambre des représentans, il en fut élu vice-président, et bientôt après appelé au gouvernement provisoire; il montra, dans ce poste difficile, la loyauté et l'énergie qui l'ont distingué dans toute sa carrière. Retiré dans le département de la Haute-Saône depuis que la ville de Sarrelouis, son pays natal, a été cédée à la Prusse, les suffrages de ses concitoyens sont venus l'y chercher sans qu'il les sollicitât. Les pamphlets et les libelles répandus contre lui n'ont servi qu'à exciter l'indignation des amis de la liberté, qui se sont fait un devoir de replacer sur la scène politique un homme que ses talens et ses services passés appellent à y jouer un rôle honorable.

La députation de l'Ain ne s'annonce pas sous de moins favorables auspices. Deux ministériels décidés, MM. Passerat de Sillan, et Sirant, n'ont point été réélus ; un journal avait annoncé ce matin qu'ils étaient remplacés par MM. Girod (de l'Ain) et Roger. Ce nom de Roger avait inquiété un grand nombre de personnes, mais c'etait une faute d'impression; le véritable élu est M. Raudet, avocat distingué de la ville de Bourg, qui fut arrêté en 1815, et exilé ensuite d'après des ordres ministériels à Tulle, département de la Corrèze. On peut assurer qu'il ne votera pour aucune loi d'exception.

M. Girod (de l'Ain) a été membre de plusieurs assemblées législatives, et s'y est toujours fait remarquer par la sagesse de ses opinions. C'est un député éminemment constitutionnel; il est père de M. Girod, qui fut destitué en 1815 de la place de président du tribunal de première instance du département de la Seine, et qui a défendu avec autant de talent que de succès la cause du vertueux général Drouot.

L'autre député élu par le département de l'Ain est M. Camille Jordan. Nommé président du collège électo

ral, l'état de sa santé ne lui a pas permis de se rendre à son poste. On avait même répandu le bruit qu'il voulait renoncer entièrement à la carrière législative. Les électeurs n'ont pas donné dans ce piége, et en renommant M. Camille Jordan, ils ont assuré à la charte un défenseur loyal, qui ne regarde pas, comme tant d'hommes du jour, la bonne foi comme un ridicule et la probité politique comme une chimère. Les ministres s'efforcent de faire passer M. Camille Jordan pour ministériel; son dernier ouvrage suffit pour répondre à une telle assertion. Il demande la liberté légale de la presse, l'institution du jury dans toute sa pureté, la réforme du code pénal; il foudroie les doctrines dont le ministère public a fait retentir les tribunaux, enfin il demande la responsabilité des ministres; il est donc bien clair qu'il n'est pas ministériel.

Le département de la Haute-Saône est un de ceux où l'on a fait jouer le plus d'intrigues. On voulait à toute force empêcher la réélection de ses deux derniers députés, MM. Martin de Gray et Grammont; on avait, pour les écarter, essayé de mettre en avant des généraux et des magistrats, dont les anciens services ont mérité la reconnaissance publique; mais ils ont refusé une candidature qui les eût mis en rivalité avec des hommes dont ils admirent le noble caractère, et dont ils partagent les principes. Aussi MM. Martin de Gray et Grammont ont-ils été renommés, au premier tour de scrutin, à une immense majorité; sur moins de cinq cents électeurs, quatre cent vingt-cinq ont répondu à l'appel. Les candidats ministériels qui ont ob-tenu le plus de voix après eux, n'en ont eu que trente et quarante. M. Martin de Gray est cet orateur énergique et profond qui a si bien fait ressortir l'arbitraire de la législation sur la presse, et dont la voix courageuse a prophétisé tous les scandales de l'année qui vient de s'écouler.

M. de Grammont est le beau-frère du général La Fayette; il lui est attaché non-seulement par les liens du sang, mais

par une entière conformité d'opinions politiques. M. de Grammont fait d'une grande fortune le plus noble usage; il est le bienfaiteur des pauvres et l'appui de tous les malheureux. Voilà les hommes que les amis de la liberté sont fiers d'opposer à tous les flatteurs du pouvoir, et à tous les optimistes ministériels.

Ces premiers résultats sont remarquables sous un régime administratif qui envahit tout le système municipal et qui laisse à l'autorité tant de moyeus d'influence. Quand le droit d'élire ou de présenter à la nomination du roi les maires et les adjoints des communes sera rendu au peuple, quand l'organisation des gardes nationales sera fixée par une loi, quand tous les juges auront reçu l'institution, quand les rouages de l'administration seront simplifiés, et que la France ne sera plus couverte de fonctionnaires inutiles pour l'état et onéreux pour le trésor, on verra sortir de l'urne électorale un vœu libre et spontané, qui ne sera comprimé par aucune menace, retenu par aucune séduction, dénaturé par aucune influence. C'est alors que les ministres seront bien forcés d'entrer dans le système constitutionnel, c'est alors qu'il n'y aura plus de mesures extrajudiciaires, plus de lois d'exception, plus d'exils.

Je parlais l'autre jour des bannis frappés par l'ordonnance du 24 juillet, et je rappelais ces belles paroles dé M. Bignon: que les étrangers partent et que les Français reviennent. Tous les étrangers nous quittent, et si j'en crois les journaux de Londres, tous les Français ne reviennent pas. Huit seulement auraient obtenu la permission de revoir leurs foyers. Ce sont les généraux Lamarque, Lobau, Dejean fils, le colonel Marbot, MM. de Fermont, Bouvier Dumollard, Cluis et Courtin. Réjouissons-nous d'une mesure qui nous rend quelques-uns de nos compatriotes; ce sont toujours huit Français de plus, ce sont toujours quelques malheureux de moins. Mais leurs autres compagnons d'infortune ne furent pas jugés plus qu'eux, et ne peuvent pas être présumés plus coupables; l'acte qui

améliore le sort des uns semblerait aggraver la peine des autres; ne pas les rappeler, c'est presque les rebannir, c'est en quelque sorte établir des catégories dans le malheur. Les rigueurs frapperont-elles donc toujours en masse, et ne seront-elles jamais réparées qu'en détail ? On ne sait comment s'habituer à cette idée, qu'une des mesures les plus terribles de cette désastreuse année 1815, une mesure qui ne fut votée qu'avec répugnance par les hommes les plus exagérés de cette époque, subsiste encore en 1818, sous l'empire des lois constitutionnelles; comment accorder un état de choses où le plus obscur citoyen ne saurait être privé de ses juges naturels, et où une multitude d'hommes distingués par l'éclat de leurs services, de généraux qui ont versé leur sang sur tous les champs de bataille, sont obligés de fuir devant toutes les polices et toutes les gendarmeriés de l'Europe, et sollicitent en vain la grâce de connaître leurs accusateurs et de trouver des juges. Tous les amis des lettres s'affligent de ne pas lire le nom d'Arnault dans la liste de ceux que rappelle le ministère. Quelle est donc la fatalité qui repousse de la terre natale ce poëte malheureux? Parvenu à cette époque de la vie où le poids de l'âge se fait sentir, et où les infirmités commencent, il traîne une existence pénible dans un asile ignoré. Sa famille même est obligée de s'environner des ténèbres pour ne pas trahir le secret de sa retraite par les devoirs qu'elle lui rend. Malade, souffrant, il rêve sur son lit de douleur l'ombrage des bois qu'il a plantés, le murmure des eaux limpides de Ville-d'Avray, séjour enchanteur, où il partageoit sa vie entre les lettres et l'amitié. C'est là que celui qui trace ces lignes a long-temps vécu dans l'intimité de ce poëte citoyen. C'est là qu'il a pu apprécier cette sensibilité profonde, ce vif amour de la patrie, qui inspirait tous ses vers comme toutes ses actions. Qui m'eût dit que quelques années après, sous une constitution libérale, il se verrait ravir tout jusqu'aux palmes académiques, et qu'entouré de tant d'aisance, de tant de flatteurs, il ne

trouverait pas même, sur le sol natal, une pierre pour reposer sa tête?

Quand l'Europe retire les cent vingt mille étrangers qui nous gardaient, quand elle proclame ainsi le calme dont nous jouissons, peut-on imaginer l'importance qu'on attache à la présence d'un homme de lettres. J'en appelle aux ministres eux-mêmes, j'en appelle à l'un d'entre eux surtout, que j'ai vu souvent en 1814 lui donner des témoignages d'affection, et qui paraissait s'honorer de son amitié. Qu'il dise si son retour dans sa patrie peut compromettre la sûreté publique, si jamais il exista un meilleur père, un meilleur époux, un meilleur ami. Et s'il lui rend cette justice, à qui persuadera-t-il que son opinion, exprimée hautement dans le conseil, ne doit pas triompher de toutes les préventions, aplanir tous les obstacles? Mais, disait l'autre jour un homme puissant, il a dédié deux de ses ouvrages à lord Holland et au général La Fayette. A qui donc voulait-on qu'il les dédiât? au ministre qui a signé son exil ou à celui qui le prolonge. Non, M. Arnault, malheureux comme Ovide, ignorant comme lui la cause de sa disgrâce, a montré un plus noble caractère dans l'exil; et, pour me servir d'une expression énergique qu'il a luimême employée, il n'a pas gâté son malheur. Sans doute quelques hommes seraient obligés de baisser les yeux devant lui; il pourrait faire rougir ceux qui le flattaient dans la prospérité et qui l'ont abandonné dans la disgrâce. Il pourrait voir assis à sa place ceux qu'il a vus si souvent assis à sa table. Mais est-ce là une considération capable de suspendre la justice; et sommes-nous dans un temps où il faille repousser les malheureux pour tranquilliser les ingrats?

Je suis, etc.

E.

P. S. MM. Bondi et Charlemagne, anciens membres de la chambre des représentans, sont élus par le département de l'Indre. Les deux candidats ministériels, MM. Bourdeau et Trumeau, président et vice-président du collége, ne sont pas même arrivés au ballottage.

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