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rant les hameaux d'un peuple barbare, l'eussent bientôt excité à la guerre par l'espoir du pillage. La conscience aveugle et l'esprit crédule de nos aïeux n'auraient point résisté à ces redoutables épreuves. Toutes les tentatives ont échoué contre un seul écueil; le génie de la civilisation protége seul la France et l'Europe; il leur a donné des intérêts généraux et des besoins communs. L'agriculture, le commerce l'industrie, les sciences et les arts, tiennent aujourd'hui le sceptre de l'univers. L'opinion publique est née de l'intérêt public; ce n'est pas la philosophie qu'il faut insulter, c'est notre intérêt qu'il faut détruire. Prenez-y garde toutefois; car l'intérêt de l'homme est l'homme même, et l'intérêt de la nation est la nation toute entière.

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Il est vraisemblable que ces sociétés secrètes eussent bouleversé la France dans les siècles de superstition, de barbarie et d'isolement. Mais si, dans la nuit, on peut éviter les réverbères, dans le jour on ne peut échapper à la lumière. Des hommes avides de priviléges, veulent maîtriser l'état, et ils ne s'aperçoivent pas qu'ils sont hors de l'é tat; ils y tiennent comme citoyens, et non comme privilégiés. Ce n'est pas la charte qui l'a voulu ainsi elle n'a fait que sanctionner ce que la force des choses avait déjà proclamé. Ce n'est donc pas contre la charte seule qu'ils luttent; c'est contre la force des choses qu'ils s'a heurtent. Leur succès est donc impossible; mais que nous coûteront leurs tentatives? Nous leur devons tout 1815; si j'en crois les ouvrages de MM. Fabvier et Sainneville, nous leur devons les événemens de Lyon; si j'en crois les bruits qui circulent, nous leur devons la conspiration dont la justice cherche à découvrir la trame.

Il est maintenant inutile de chercher pourquoi ces paroles royales, union et oubli, n'ont pas encore produit tout leur effet. Il est inutile de chercher ce qui s'oppose à cette unité d'esprit français, d'opinion nationale, d'intérêt public, qui seule pourrait nous consoler du prix que nous coûtèrent la gloire et la liberté. J. P. P.

Les auteurs légalement responsables:

E. AIGNAN; Benjamin' CONSTANT; Évariste
DUMOULIN; ÉTIENNE; A. JAY; E. JOUY;
LACRETELLE aîné; P. F. Tissot..

IMPRIMERIE DE FAIN, PLACE DE L'ODÉON.

LA MINERVE

FRANÇAISE.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

Examen critique de l'ouvrage posthume de madame la baronne de Staël, ayant pour titre : Considérations sur les principaux événemens de la révolution française; par J.-Ch. Bailleul, ancien député (1).

M. Bailleul se distingue entre tous les écrivains politiques par une franchise qui n'admet ni préparations oratoires, ni artifices de style; il ne respecte aucun préjugé et ne cherche à flatter aucune opinion. Cet ancien député ne connaît point de renommée assez imposante pour justifier de pusillanimes considérations; il s'est fait un devoir de nous dire la vérité; tant pis pour nous si nous ne voulons pas l'entendre; enfin M. Bailleul aurait pu commencer son ouvrage par ces paroles de Montaigne : « Lecteur, ceci est un livre de bonne foi.

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(1) Six cahiers in-8°. de 150 pages au moins chacun, formant ensemble deux volumes. Le prix de chaque livraison ou cahier est de 2 fr. à Paris, et de 2 fr. 50 c. franc de port par la poste. On souscrit à Paris chez Ant. Bailleul, imprimeur-libraire, rue SainteAnne, no. 71, et chez les principaux libraires de Paris et des départemens. Il en a paru deux livraisons.

T. III.

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Ce caractère de naïveté fut long-temps commun parmi les anciens. Aucun voile ne couvrait leur pensée : ils écriyirent avec franchise tant qu'ils s'adressèrent à des hommes libres. Les grâces efféminées du langage, les pompes frivoles de la rhétorique, l'adresse des prétéritions, l'orgueil des métaphores ne parvinrent à corrompre le style qu'à cette époque de dégradation morale où les lois perdirent leur force et les citoyens leur dignité. Alors, l'art d'écrire fut prostitué aux caprices du pouvoir; la crainte d'irriter la tyrannie, dont les vengeances ne manquent jamais ni de prétexte, ni d'instrumens, retint la pensée captive, et l'éloquence périt avec la liberté.

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Nous ne comptons, parmi les chefs-d'œuvre du premier ordre dans la littérature française, que les productions dont les auteurs eurent assez d'énergie pour affranchir leur pensée. Pascal composa ses Lettres provinciales comme s'il eût vécu dans un pays libre; Bossuet lui-même, exerçant les fonctions d'un sacerdoce qui domine toutes les puissances ne paraît dans tout l'éclat de son génie que lorsque, plaçant la vérité au-dessus du trône des rois, il confond dans le même néant toutes les humaines grandeurs. Fénélon, pour écrire librement, se réfugie dans l'antiquité; il élève, dans les murs d'une Salente imaginaire, la tribuue politique, d'où il plaide avec tant d'autcrité la cause de la raison et de la justice. Ces grands hommes ne demandaient au langage que la simplicité de l'expression, bien sûrs que la noblesse des sentimens se communiquerait au style, et qu'ils seraient éloquens sans apprêt comme ils étaient vertueux sans efforts.

Il est utile de rappeler ces exemples dans un temps où des écrivains, qui prétendent à quelque renommée, fondent leurs succès sur un luxe indigent de phrases, d'images et de déclamations. Ils dédaignent le naturel auquel ils ne peuvent atteindre. Cet abus de la parole, triste ressource de la médiocrité, s'est introduit jusque dans la chaire évangélique et dans le sanctuaire des lois. La religion rede

mande inutilement des Bourdaloue et des Massillon; et Thémis n'est souvent invoquée qu'avec un vain fracas de périodes retentissantes, où la disette de talent est aussi sensible que le défaut de raison. Ce n'est pas ainsi que d'Aguesseau, sévèrement classique, et placé dans une sphère inaccessible aux passions, illustrait son ministère. Ce digne magistrat, impartial comme la loi, semblait formé par la justice elle-même pour prononcer ses oracles.

On ne saurait proscrire avec trop d'énergie un goût barbare dont l'influence tend à dénaturer la langue française qui, toujours ferme dans sa marche, élégante et noble dans sa simplicité, répond si bien à toutes les inspirations du génie. Jamais langage ne fut plus digne d'un peuple libre; il se prête également à l'expression des sentimens les plus élevés ou les plus affectueux; il ajoute à la clarté de la pcnsée, et la philosophie n'a point d'idiome où elle paraisse plus forte et plus lumineuse. Pour bien écrire en français, il faut bien penser, et l'on cultive son goût en cultivant sa raison.

L'auteur de l'ouvrage dont je m'occupe aujourd'hui est un exemple frappant de la justesse de ces remarques. Ce n'est point un littérateur de profession, et je n'imagine pas qu'il ait beaucoup étudié l'art d'écrire; cependant la lecture de son livre est pleine d'intérêt. Son allure est simple et naturelle ; il ne recherche point les ornemens; on trouvera même quelque rudesse dans sa composition; mais celle âpreté n'est que l'expression naïve des sentimens les plas honorables, et le trait caractéristique d'un esprit qui franchit brusquement les obstacles pour arriver à la vérité.

Je ne sais pourquoi certains critiques se sont obstinés à voir dans M. Bailleul un détracteur de madame la baronne de Staël. C'est une assertion qu'il serait impossible de justifier. M. Bailleul rend à cette femme illustre toute la justice qui lui est due. Il parle avec estime de son attachement aux principes de la liberté, et avec admiration de son noble caractère; mais il a pensé, avec raison, qu'il pouvait, sang

blesser aucune convenance, relever des erreurs d'autant plus dangereuses qu'elles paraissent sous la protection d'un talent supérieur.

Voudrait-on réclamer un privilége spécial en faveur des ouvrages posthuines? cette prétention serait peu fondée. Ces sortes de livres, qui ressemblent quelquefois au testament de César, entrent, comme les autres, dans le domaine de la critique, surtout lorsqu'ils traitent de matières d'un intérêt général, et qu'ils contiennent des idées fausses, dont l'esprit de parti pourrait abuser. D'ailleurs l'ouvrage de madame de Staël étant resté incomplet, il est raisonnable de supposer qu'avant de le livrer au public, elle en eût revu avec soin les diverses parties, et qu'elle en eût fait disparaître quelques opinions trop légèrement hasardées et certains jugemens qui manquent de maturité. Les principes de cette femme étonnante, qui a jeté un si grand éclat dans le monde politique et littéraire, sont d'une pureté incontestable; mais les conséquences qu'elle en déduit ne semblent pas toujours admissibles, et, pour me servir d'une expression connue,« son esprit a souvent été la dupe de son

>> cœur. >>

Madame de Staël avait voué un culte religieux à la mémoire de son père; et jamais hommage ne fut plus sincère et mieux mérité. Homme vertueux, administrateur intègre, M. Necker, dans ses divers ministères, a rendu à l'état d'éminens services; mais, plus propre à manier les affaires dans un temps calme qu'à tenir le gouvernail au milieu des tempêtes, il ne parut pas avoir bien compris la révolution. Il crut qu'on pouvait avec facilité donner à la France la constitution de l'Angleterre; mais rien n'était préparé pour un tel changement. M. Bailleul en a développé les raisons avec une remarquable sagacité. La véritable question en 1790 n'était pas de savoir quelles seraient les institutions protectrices de la liberté, mais si la liberté même serait fondée. M. Necker s'abandonnait aux séductions de l'espérance, à l'époque même où le choc des inté

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