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3. Nous ne traiterons pas ici de toutes ces différentes modifications du contrat de louage: nous nous proposons seulement de développer les règles qui s'appliquent aux baux des maisons et à ceux des meubles, au contrat d'hôtellerie, et de faire connaître quels sont, en cette matière, les obligations et les droits réciproques des propriétaires et des locataires, des hôteliers et des voyageurs.

4. Les auteurs du Code civil, dans le chapitre I du titre du contrat de louage (art. 1713 à 1778), intitulé du Louage des choses, ont exposé les principes relatifs au bail à loyer et au bail à ferme.

Ils ont divisé ce chapitre en trois sections: dans la première, ils ont tracé les règles communes aux baux des maisons; dans la seconde, les règles particulières aux baux à loyer; dans la troisième, les règles particulières aux baux à ferme.

Le législateur a aussi consacré au bail à cheptel un chapitre du titre du louage. Ce chapitre, qui est le sixième de ce titre, s'étend de l'article 1800 à l'article 1831 du Code civil.

5. Un nouveau Code rural est depuis plusieurs années soumis à l'étude du Parlement. Déjà de ce Code on a détaché quelques titres qui sont devenus: la loi du 20 août 1880, modifiant les articles 666 à 685 dú Code civil; la loi du 20 août 1881, sur les chemins ruraux; la loi du 20 décembre 1888, concernant la destruction des insectes; la loi du 4 avril 1889 relative aux animaux employés à l'exploitation des propriétés rurales; la loi du 9 juillet 1889 sur le parcours, la vaine pâture, le ban des vendanges, la vente des blés en vert, la durée du louage des domestiques et ouvriers ruraux ; la loi du 21 juin 1898 sur la police rurale.

6. Il est d'autres baux sur lesquels le Code civil a gardé le silence. Tels sont : le bail emphyteotique, le bail à vie, le bail à complant, le bail à convenant, etc. Cependant ces baux peuvent être légalement contractés sous l'empire de la législation actuelle ; ils sont encore en usage dans plusieurs départements.

7. Les principes généraux du contrat de bail, en ce qui concerne les éléments essentiels à sa validité, s'appliquant à toutes les espèces de baux, il nous paraît nécessaire de réunir et de présenter ces principes dans un titre qui précède le reste de notre travail.

TITRE PRÉLIMINAIRE

DU BAIL EN GÉNÉRAL (1)

8. Nous avons vu précédemment qu'on appelle bail à loyer le louage des maisons et celui des meubles ;

Bail à ferme, celui des héritages ruraux (2);

Bail à cheptel, celui des animaux dont le profit se partage entre le propriétaire et celui à qui il les confie (C. c., art. 1711).

Ainsi, le contrat de louage, lorsqu'il s'applique aux maisons, aux meubles, aux biens ruraux, aux cheptels, prend la dénomination spéciale de bail.

9. On peut définir le bail : un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer.

Celui qui procure la jouissance de la chose louée s'appelle, dans le langage du droit, bailleur ou locateur; celui qui reçoit et qui paie cette jouissance s'appelle conducteur ou preneur: ce dernier se nomme spécialement fermier, quand il s'agit de biens ruraux et que le prix du louage se paie en argent. Mais si le prix du louage consiste dans une portion de fruits, il prend la dénomination de colon partiaire.

(1) Le mot bail signifie, à proprement parler, gouvernement, administration d'une chose, Jadis on donnait le nom de bajulus, bail, au tuteur. Le mari était appelé mari et bail de son épouse: bajulus uxoris. On nommait bailli le syndic d'une corporation, bajulus artificum. On désignait aussi sous la dénomination de baillis les magistrats qui étaient chargés par les seigneurs de rendre la justice en leur nom. Telle est l'origine du mot bail, bajulatus, synonyme de location (Ducange, aux mots balia, bajulus; Troplong, no 68).

Dans le langage ordinaire, on n'emploie le mot bail que pour désigner un contrat de louage dont la durée est déterminée; dans le cas contraire, on se sert du terme de location ; quelquefois le mot bail sert à désigner l'écrit ou la police qui constate les conditions de la location.

(2) Voyez, pour ce qui concerne les baux à ferme et autres baux de cette nature, notre Code-manuel des propriétaires de biens ruraux et d'usines.

10. Le contrat de bail a pour effet de déterminer les obligations et les droits respectifs du propriétaire et du locataire.

Ce contrat est consensuel, synallagmatique et commutatif, c'est-àdire, qu'il résulte du seul consentement des parties, qu'il leur impose des obligations réciproques, et que chacune des parties se propose de recevoir l'équivalent de ce qu'elle donne.

11. Pour former le contrat de bail, trois conditions sont essentielles : 1o le consentement mutuel des parties; 2o la chose qui fait l'objet du contrat; 30 le prix convenu pour la jouissance de la chose louée. En outre, le bail, de même que les autres contrats, doit, pour être valable, contenir une cause licite, c'est-à-dire qui ne soit ni prohibée par la loi, ni contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public (Voyez no 115).

12. Le bail a beaucoup d'analogie avec la vente.

La première différence entre ces deux contrats consiste en ce que la vente transmet définitivement la propriété même, tandis que le bail confère simplement la jouissance temporaire de la chose; la seconde est relative aux risques, question tranchée différemment suivant qu'il s'agit d'une vente ou d'un bail; la chose, qui dans la vente est au risque de l'acheteur à partir du contrat, ne cesse point d'être aux risques du bailleur pendant toute la durée du bail; enfin les droits d'enregistrement ne sont pas les mêmes pour le bail que pour la vente.

La similitude qui existe entre le bail et la vente est quelquefois si complète, qu'il est fort difficile de distinguer les nuances qui les séparent.

Dans ce cas, on doit rechercher quelle a été l'intention des contractants; d'après cette recherche la règle la plus certaine pour distinguer un bail d'une vente est celle tirée de la première différence indiquée plus haut entre la vente et le bail; il faudra donc rechercher si le contrat a eu pour but de transférer la propriété de la chose qui en fait l'objet ou bien si, au contraire, il n'a transféré que la jouissance de cette chose pendant un temps plus ou moins long; dans le premier cas le contrat sera une vente, dans le second ce sera un bail (Laurent, t. 25, no 4). Ainsi, dans la pratique, certains industriels qui vendent des objets avec faculté de payer le prix par annuités stipulent une clause en vertu de laquelle ils déclarent

que l'objet du contrat n'est que loué et qu'il ne deviendra la propriété du preneur que lorsque celui-ci aura payé toutes les annuités prévues; il est certain qu'en pareil cas cette stipulation ne saurait changer le caractère du contrat qui constitue une véritable vente et non une location (Bourges, 26 décembre 1887, Sirey,88.2. 78; Cass., 16 juin 1885, Sirey, 88.1.462. Contra: Alger, 18 février 1888, Sirey, 89.2.115; Lyon, 10 août 1888, Sirey, 90.2.113). 13. Le bail ressemble sous plusieurs rapports à l'usufruit; mais il en diffère principalement en ce que l'usufruit est le plus souvent établi par la loi, par donation ou par testament; tandis que le bail ne peut résulter que d'une convention spéciale. D'un autre côté, l'usufruit transfère à l'usufruitier un droit réel, c'est-à-dire un droit dans la chose même qui fait l'objet du contrat, un démembrement de la propriété; au contraire, le bail n'entraîne aucune aliénation de la chose louée. En effet, si le preneur possède, ce n'est point à titre de propriétaire, mais pour le compte du propriétaire aux lieu et place duquel il jouit de la chose. D'où il suit que le bail n'emportant aucun démembrement de la propriété, ne transfère au preneur aucun droit réel sur la chose louée; il ne confère qu'un droit personnel de contraindre le bailleur à faire jouir le preneur pendant toute la durée du bail. Le caractère personnel du droit résultant du bail, incontestable sous l'ancienne jurisprudence, n'a pas été converti par le Code civil en un droit réel; et l'innovation introduite dans l'article 1743, qui oblige l'acquéreur à maintenir les baux faits par son vendeur, n'a pas eu pour conséquence de substituer la réalité à la personnalité du droit, mais seulement de transmettre à l'acquéreur les obligations que le vendeur avait contractées relativement à la chose vendue ou dont cette chose avait été l'occasion. Si les acquéreurs sont tenus de respecter le droit du preneur, ce n'est point qu'il s'agisse d'un droit réel, c'est uniquement parce que la loi, dans l'intérêt bien entendu de l'industrie et de l'agriculture, les subroge aux obligations du bailleur en même temps qu'elle les subroge à ses droits. Ainsi, le droit du preneur n'est, comme autrefois, qu'un pur droit personnel (1).

(1) Cette doctrine est généralement suivie par les auteurs (Toullier, t. 3, no 388; t. 6, no 436; t. 12, no 105; Delvincourt, t. 3, p. 185 et 198, notes; Proudhon, De l'usufruit, no 102; Duranton, t. 4, no 73 ; t. 17, no 139; Duvergier, t. 3, nos 279

Il résulte de là que les actions intentées contre le bailleur, à fin d'exécution du bail, ou contre le preneur, à fin de déguerpissement, sont personnelles et doivent, par conséquent, être portées, non devant le tribunal de la situation de l'immeuble, mais devant le tribunal du domicile du défendeur (Cass., 14 nov. 1832; Caen, 24 janv. 1848, S.-V. 33.1.32, 49.2.533).

14. La convention par laquelle le propriétaire d'un magasin le donne à bail sous la condition qu'il aura la moitié du produit des droits de magasinage des marchandises reçues par le preneur, ne constitue pas une société en participation, mais un simple contrat de bail à loyer (Bordeaux, 2 juillet 1847, S.-V. 48.247).

La cession temporaire du revenu d'un immeuble à un tiers sous la simple déduction d'une rente annuelle à son profit, ne constitue pas un bail, mais un mandat de gestion d'immeubles révocable à volonté (Lyon, 11 déc. 1868, S.-V. 1869.2.284).

et suiv.; Marcadé, sur les art. 526, no 5, 578, no 2, 595, no 1, 1716, 1743, no 1; Demolombe, t. 9, no 493; Demante, t. 3, no 432; Valette, Privilèges et hypothèques, p. 195; Pont, Hypothèques, no 385; Taulier, t. 6, p. 210 et suiv.; Rolland de Villargues, vo Bail, nos 5 et suiv.; Championnière et Rigaud, Traité des droits d'enregistrement, t.5, no 3032; Massé et Vergé sur Zachariæ, t. 4, p. 352, note 2; Mourlon, Répétitions écrites sur le Code civil, t.3, p. 300 et 216; Aubry et Rau, t. 4, éd. IV, 55-365, p. 471-472; Guillouard, Contrat de louage, no 27; Grenoble, 21 janvier 1860, Sirey, 60.2.122; Cass., 6 mars 1861, Sirey, 61.1.713 et Dalloz, 61. 1.417; Cass., 13 décembre 1887, Sirey, 89.1.473.

Toutefois M. Troplong (t. 1er, nos 4 et suiv., 473 et suiv.) soutient que le droit du preneur est réel. Cette opinion, adoptée par MM. Belaime (De la possession, no 309), Fréminville (Des minorités, no 528) et Dalloz (Rép. alp., vo Louage, no 486), a été combattue avec une grande force de logique par deux professeurs de la Faculté de droit de Paris, MM. Ferry (Revue étrangère et française de législation, t. 8, p. 609 et 849, t. 9, p. 123), et Labbé (Journ, du Palais, 1859, p. 776 et suiv.).

Ajoutons que le système suivi par M. Troplong a perdu beaucoup de son importance depuis la loi du 23 mars 1855 sur la transcription. En effet, dans le rapport présenté au Corps législatif sur cette loi, les baux ont été regardés comme constituant, non des droits réels, mais de simples droits personnels, et c'est par des motifs pris en dehors de leur nature que certains baux ont été soumis par cette loi à la transcription.

Bien que le contrat de bail ne confère au preneur qu'un don personnel il est certain que le preneur ayant la jouissance de la chose louée, a le droit de défendre cette jouissance contre toutes les entreprises aussi bien des tiers que du propriétaire lui-même; il n'est pas besoin, pour accorder le droit de défense au locataire, de soutenir comme l'ont fait certains auteurs et quelques tribunaux que le droit du preneur est un droit mixte participant à la fois du droit réel et du droit personnel. Les mots droit mixte constituent un véritable non-sens, un droit ne pouvant être à la fois personnel et réel, ces deux qualités s'excluant mutuellement.

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