Page images
PDF
EPUB

TITRE PREMIER

DU BAIL OU LOUAGE DE MAISONS

114. Les éléments essentiels dont se compose le contrat de bail en général sont également nécessaires pour former le bail ou louage de maisons. Ainsi, il faut le consentement des parties contractantes, une chose qui fasse l'objet du contrat, un prix convenu pour la jouissance de la chose louée.

115. Le bail de maisons doit aussi, pour être valable, contenir une cause licite, c'est-à-dire qui ne soit ni prohibée par la loi, ni contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public.

Ainsi, par exemple, on ne peut louer une maison pour en faire un repaire de voleurs. Outre qu'un contrat de cette nature serait nul, le propriétaire pourrait être poursuivi et puni comme complice des délits ou des crimes de ses locataires (Art. 61, C. pén.).

Aux termes de l'article 2 de l'ordonnance du 6 novembre 1778, il est défendu à tous les propriétaires et principaux locataires de la ville et des faubourgs de Paris de ne souffrir dans leurs maisons aucun lieu de débauche, sous peine de 500 livres d'amende. L'article 3 de la même ordonnance enjoint, sous peine de 500 livres d'amende, aux propriétaires et locataires des maisons où il aura été introduit des femmes de mauvaise vie, d'en faire, dans les 24 heures, la déclaration au commissaire du quartier. L'article 4 défend de sous-louer et de s'entremettre directement ou indirectement dans de telles locations sous peine de 400 livres d'amende.

Cette ordonnance, n'ayant été abrogée par aucune loi, est encore en vigueur et doit être appliquée (Cass., 11 juillet 1884, Moniteur des juges de paix, 1884, p. 412).

116. Le propriétaire qui, sans en avoir reçu l'autorisation, louerait sa maison à une association de plus de vingt personnes dont le but déclaré serait de se réunir tous les jours ou à certains jours marqués, pour s'occuper d'objets religieux, littéraires, poli

tiques ou autres, s'exposerait à se voir appliquer l'article 294 du Code pénal, ainsi conçu ;

« Tout individu qui, sans la permission de l'autorité municipale, aura accordé ou consenti l'usage de sa maison ou de son appartement, en tout ou en partie, pour la réunion des membres d'une association même autorisée, ou pour l'exercice d'un culte, sera puni d'une amende de 16 à 200 fr. » V. loi du 30 juin 1881 sur les réunions publiques.

117. Le louage d'une maison, pour y établir une maison de prostitution, forme-t-il un contrat valable pouvant produire des effets légaux? M. Arm. Dalloz, Dictionn. de Jurispr. (Suppl., 1834 à 1840, v Louage, n° 38), s'exprime ainsi : « Il nous semble que le contrat serait valable si la destination était bien connue des parties et mentionnée dans l'acte, restant, bien entendu, le droit des autres locataires d'agir en réalisation de leur bail et de solliciter la police à l'effet de résilier la tolérance accordée et de faire établir la maison dans un autre quartier. >>

Mais cette opinion ne nous paraît pas exacte; le bail d'une maison de tolérance constitue en effet un contrat dont l'objet est illicite comme contraire aux bonnes mœurs. En conséquence un contrat de ce genre est nul et non avenu et le bailleur ne pourrait s'en prévaloir pour réclamer les loyers (Trib. de paix de Valence, 19 avril 1890, Moniteur des Juges de paix, 90, p. 155; Trib. de la Seine, 6 ch., 11 février 1885); les deux parties ayant d'ailleurs participé à la même turpitude le locataire ne saurait répéter les loyers qu'il a payés d'avance (Trib. d'Uzès, 17 février 1886, Gaz. Pal., 13 mai 1886).

De même serait nul et non avenu le bail fait en vue de l'exploitation dans les lieux loués d'un jeu de hasard (Trib. de Nice, 20 mai 1889) ou d'un dépôt de marchandises volées ou de contrebande. 118. Le bail ou louage des maisons est régi par les principes que le Code civil a établis pour le bail à loyer.

Sous la dénomination générique de maison, on comprend tout ce qui sert, soit pour l'habitation des hommes, comme les appartements; soit pour l'habitation des animaux, comme les écuries, les étables; soit pour la conservation des choses, comme les granges, les magasins, les boutiques, les remises.

119. On range dans la classe des baux à loyer ceux des chantiers (1), des moulins à eau et à vent (2), des usines en général et ceux des terrains qui ne sont point destinés à être cultivés et que l'on consacre à la tenue des foires, à la célébration des fêtes et réjouissances publiques, Il suit de là que tous ces baux sont soumis aux règles relatives aux baux à loyer.

120. Lorsque le bail comprend des bâtiments destinés à l'habitation et des biens ruraux, l'objet principal de la location sert à déterminer si l'on doit appliquer au contrat les règles particulières aux baux à loyer, ou les règles particulières aux baux à ferme.

Si donc il s'agit du bail d'une maison à laquelle se trouve attenant un jardin, un parc ou une petite portion de terre, on décidera que c'est un bail à loyer, et on suivra conséquemment les principes relatifs à ce contrat.

De même, si le bail est d'une usine à laquelle sont annexées comme accessoires quelques pièces de terre, il faut appliquer les règles particulières aux baux à loyer. Réciproquement, si la maison ou l'usine étaient accessoirement comprises dans le bail d'un grand domaine rural, ce serait aux règles des baux à ferme que l'on devrait se conformer (Bruxelles, 29 nov. 1809, S. 10.2.97; Troplong, du Louage, no 527; Duvergier, t. IV, no 4).

Ces distinctions sont indispensables pour déterminer la durée du bail, quand elle n'a pas été fixée par la convention, et pour savoir si le bail cesse de plein droit, ou s'il est nécessaire de donner congé suivant l'usage des lieux. En effet, s'agit-il d'un bail à loyer, dont la durée n'a pas été fixée, l'une des parties ne peut rompre

(1) La Cour de Paris a cependant jugé, par un arrêt du 16 juin 1825, qu'un terrain, loué pour en faire un chantier, pouvait être assimilé à un bien rural. Mais cette décision n'est point juridique; MM. Troplong (du Louage, nos 514 et 632) et Dalloz (A., v° Louage, no 516) la critiquent avec raison. En effet, on ne peut considérer comme propriété rurale qu'un terrain destiné à la culture ou au pâturage, ou à d'autres usages ruraux. Un chantier n'a rien de commun avec l'agriculture.

(2) Par application de ce principe, un arrêt de la Cour de Toulouse, du 18 déc. 1840 (D. P. 41.1.141), a décidé que le bail d'un moulin à vent doit être assimilé à un bail de maison et non à un bail de biens ruraux, en sorte que s'il a été fait sans limitation de durée, le congé doit être donné suivant l'usage des baux de maisons, encore bien que des terres de peu d'importance aient été comprises dans la location du moulin.

le contrat que par un congé donné dans les délais d'usage (C. c., art. 1736); s'agit-il d'un bail à ferme, ce bail est censé fait pour le temps nécessaire, afin que le preneur recueille tous les fruits de l'héritage affermé, et il cesse sans congé (C. c., art. 1774 et 1775). 121. La location des maisons peut avoir lieu ou verbalement ou par écrit. Il n'existe qu'une seule exception à cette règle: elle concerne les lieux qui sont destinés au dépôt ou au débit des boissons et liquides sur lesquels la régie des contributions indirectes a des droits à réclamer. En effet, l'art. 23 du décret du 5 mai 1806 impose aux propriétaires l'obligation de ne laisser entrer chez eux aucune boisson appartenant aux détaillants, sans avoir fait préalablement un bail authentique des lieux servant de dépôt à ces bois

sons.

A plus forte raison, un cabaretier ne peut-il louer, dans une autre forme, ses caves, celliers et magasins, à des particuliers non débitants; c'est ce qui a été jugé par deux arrêts de la Cour de cassation des 25 avril 1807 et 9 nov. 1810 (Merlin, Rép., vo Bail, § 1or, na).

122. La remise des clefs par le propriétaire, et l'occupation des lieux par le locataire, constituent le fait de location.

En général, la location verbale est faite sans détermination du temps de sa durée (1); elle prend fin par un congé donné dans les délais fixés par l'usage des lieux.

123. Il importe de faire observer ici que les époques fixées, d'après l'usage de Paris, pour l'entrée et la sortie des lieux loués, ne sauraient être considérées comme des limites indiquées à la durée des baux. Ce ne sont, selon nous, que des termes assignés pour le paiement des loyers, et le point de départ des délais qui doivent s'écouler entre le congé et la sortie des lieux. En effet, on ne pourrait raisonnablement admettre qu'un propriétaire et un locataire, lorsqu'ils louent sans fixer la durée de la location, seront présumés avoir entendu louer pour un terme, par exemple, de

(1) Il y a cependant certaines localités dans lesquelles le bail verbal est censé fait pour un espace de temps déterminé; ainsi, à Orléans, à Rennes, à Marseille, à Toulouse, à Blois, à Moulins, à Reims, à Montargis, à Lille, à Caen, dans le Béarn, en Auvergne, la durée du bail verbal est d'un an, dans la Touraine, elle est d'un an pour une maison entière, une auberge, une boutique et de six mois pour un appartement.

trois mois, de manière qu'on dût voir s'opérer un nouveau bail à chaque nouveau terme. Il ne serait pas plus exact de prétendre qu'une maison ou un appartement loués à tant par an sont loués pour une année (1). Ainsi, dans les locations verbales qui se font à Paris, sans détermination de durée, ce n'est point un nouveau bail qui se forme à chaque nouveau terme, mais le même bail qui continue et que les parties peuvent faire cesser en se donnant congé dans les délais d'usage.

124. Si le bail fait sans écrit n'a encore reçu aucune exécution, et que l'une des parties le nie, la preuve ne peut être reçue par témoins, quelque modique qu'en soit le prix, et quoiqu'on allègue qu'il y a eu des arrhes données. Le serment peut seulement être déféré à celui qui nie le bail (C. c., art. 1715).

Ces dispositions de la loi établissent une exception à la règle que l'on peut faire par témoins la preuve des obligations dont l'objet n'excède pas 150 francs. Mais on a voulu par là éviter aux parties des expertises et des procès ruineux, à l'occasion d'un contrat qu'il leur est impossible de rédiger par écrit.

125. On ne peut admettre la preuve testimoniale d'un bail verbal non exécuté dont le prix excède ou n'excède pas 150 francs, lors même qu'il y a commencement de preuve par écrit (Troplong, du Louage, n° 112; Duranton, t. XVII, no 54; Curasson, Compétence des juges de paix, t. 1er, p. 278; Cass., 14 janv. 1840, 19 fév. 1873, S.-V. 40.1.5, Droit, 20 fév. 1873 et Caz. des Trib,, 26 fév. 1873; Rouen, 18 fév. et 19 mars 1841; Metz, 10 avril 1857, S.-V. 41.2.468, 57.2.145; Paris, 3 décembre 1893, Sirey, 93.2.71) (2).

(1) Les erreurs que nous signalons se trouvent reproduites dans tous les petits ouvrages écrits sur cette matière. Dans les uns, on lit que la durée du bail verbal est généralement à Paris de trois mois; dans d'autres, on enseigne qu'elle est de six mois. Enfin, M. Dufour de Saint-Pathus (Guide des locataires et des propriétaires, 4e édit., p. 43) dit que la location verbale est censée faite pour une année, le prix se stipulant toujours pour une année ». Le prix de location verbale ne se stipule pas pour une année, mais à tant par année, ce qui est bien différent: car, comme nous l'avons démontré, la fixation du prix à tant par année ne sert pas à déterminer la durée du bail, mais seulement la somme que le locataire sera tenu de payer, à raison du temps de sa jouissance.

(2) L'opinion contraire est soutenue par Delvincourt, t. 3, p. 417, et Duvergier, t. 3, no 267. Dans le sens de cette opinion, il a été jugé par la Cour de Paris, 2 chambre, le 20 mai 1858, que la disposition de l'article 1715 du Code civil, qui décide que si le bail fait sans écrit n'a encore reçu aucune exécution,

« PreviousContinue »