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sieurs fois à la Sublime-Porte pour demander le châtiment des beys d'Égypte qui accablaient d'avanies les commerçants français.

» Mais la Sublime-Porte a déclaré que les beys, gens capricieux et avides, n'écoutaient pas les principes de la justice, et que non-seulement elle n'autorisait pas les insultes qu'ils faisaient à ses bons et anciens amis les Français, mais que même elle leur ôtait sa protection.

» La république française s'est décidée à envoyer une puissante armée pour mettre fin aux brigandages des beys d'Égypte, ainsi qu'elle a été obligé de le faire plusieurs fois dans ce siècle contre les beys de Tunis et d'Alger.

>> Toi, qui devrais être le maître des beys, et que cependant ils tiennent au Caire sans autorité et sans pouvoir, tu dois voir mon arrivée avec plaisir.

>> Tu es sans doute déjà instruit que je ne viens point pour rien faire contre le Koran ni le sultan ; tu sais que la nation française est la seule et unique alliée qu'ait en Europe le sultan.

» Viens donc à ma rencontre, et maudis avec moi la race impie des beys. >>

En entrant dans Alexandrie, il s'empressa de publier une proclamation aux habitants; elle était ainsi conçue :

« BONAPARTE, MEMBRE DE L'INSTITUT NATIONAL, GÉNÉRAL EN CHEF

DE L'ARMÉE FRANÇAISE.

>> Depuis assez longtemps les beys qui gouvernent l'Égypte insultent à la nation française, et couvrent ses négociants d'avanies; l'heure du châtiment est arrivée.

» Depuis longtemps ces ramassis d'esclaves, achetés dans le Caucase et la Géorgie, tyrannisent la plus belle partie du monde; mais Dieu, de qui dépend tout, a ordonné que leur empire finît.

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Peuples de l'Égypte, on dira que je viens pour détruire votre religion; ne le croyez pas! Répondez que je viens vous restituer vos droits, punir les usurpateurs, et que je respecte plus que les mamelucks Dieu, son prophète et le Koran. Dites-leur que tous les hommes sont égaux devant Dieu; la sagesse, les talents et les vertus mettent seuls de la différence entre eux. Or, quelle sagesse, quels talents, quelles vertus distinguent les mamelucks, pour qu'ils aient exclusivement tout ce qui rend la vie aimable et douce?

Si l'Égypte est leur ferme, qu'ils montrent le bail que Dieu leur en a fait. Mais Dieu est juste et miséricordieux pour le peuple.

>> Tous les Égyptiens seront appelés à gérer toutes les places; les plus sages, les plus instruits, les plus vertueux, gouverneront, et le peuple sera heureux.

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Il y avait jadis parmi vous de grandes villes, de grands canaux, un grand commerce; qui a tout détruit, si ce n'est l'avarice, les injustices et la tyrannie des mamelucks?

>> Cadis, cheiks, imans, schorbadgis, dites au peuple que nous sommes amis des vrais musulmans. N'est-ce pas nous qui avons détruit le pape, qui disait qu'il fallait faire la guerre aux musulmans? N'est-ce pas nous qui avons détruit les chevaliers de Malte, parce que ces insensés croyaient que Dieu voulait qu'ils fissent la guerre aux musulmans? N'est-ce pas nous qui avons été dans tous les siècles les amis du grand-seigneur (que Dieu accomplisse ses désirs!) et l'ennemi de ses ennemis? Les mamelucks, au contraire, ne se sont-ils pas révoltés contre l'autorité du grand-seigneur, qu'ils méconnaissent encore? ils ne suivent que leurs caprices.

>> Trois fois heureux ceux qui seront avec nous! ils prospéreront dans leur fortune et leur rang. Heureux ceux qui seront neutres! ils auront le temps d'apprendre à nous connaître, et ils se rangeront avec nous. Mais malheur, trois fois malheur à ceux qui s'armeront pour les mamelucks et combattront contre nous! Il n'y aura pas d'espérance pour eux: ils périront.

Bonaparte, après avoir confié à Kléber le commandement d'Alexandrie, quitta cette place le 7 juillet, prenant la route de Damanhour, à travers le désert, où la faim, la soif et une chaleur accablante firent éprouver à l'armée des souffrances inouïes auxquelles beaucoup de soldats succombèrent. On trouva quelques soulagements à Damanhour, où Bonaparte établit son quartier-général chez le cheick, vieillard qui affectait la pauvreté, pour se mettre à couvert des exactions que les apparences de la richesse lui auraient attirées. Il continua à marcher sur le Caire, et en quatre jours il eut battu les mamelucks à Ramanieh, et détruit la flottille et la cavalerie des beys à Chebreisse. Dans ce dernier combat, le général en chef avait adopté l'ordre de bataille en carrés, contre lesquels la cavalerie ennemie vint se briser malgré l'audace de son attaque et l'impétuosité de son courage. Au commencement de cette affaire, où le

chef de division Pérée, attaqué par une force supérieure, changea unc

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position périlleuse en un succès éclatant, les savants Monge et Ber

thollet rendirent des services essentiels en combattant en personne l'ennemi.

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Ces divers avantages remportés sur les Arabes ne furent que le prélude d'un triomphe plus complet, qui ouvrit les portes du Caire à l'armée française. Vers la fin de juillet, elle se trouva en présence de Mourad-Bey, et au pied des pyramides. C'est là que Bonaparte, inspiré à la vue de ces antiques et gigantesques monuments, s'écria, au moment de livrer la bataille : « Soldats, vous allez combattre les dominateurs de l'Égypte; songez que du haut de ces monuments quarante siècles vous contemplent! >>

Quarante siècles contemplaient en effet les Français du haut des pyramides ! quarante siècles, dont le premier avait vu jeter les fondements de ces immenses tombes royales par les mains serviles des castes égyptiennes, et dont le dernier voyait conquérir, au profit de la civilisation,

ces monuments de la servitude antique, par les mains libres des citoyens français ! La courte harangue de Napoléon indiquait toute la distance qui

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séparait les fondateurs des conquérants: les uns, tyrans ou esclaves par la naissance; les autres, tous libres et égaux, chefs ou soldats, selon leur mérite. Des Pharaons, maitres absolus et oppresseurs des tribus héréditairement soumises aux travaux les plus durs et à l'existence la plus abjecte, au général qui vient dire aux Égyptiens que « tous les hommes sont égaux devant Dieu, » et qui leur annonce le règne exclusif des talents et des vertus, il y a une chaine non interrompue de progrès lents et pé

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