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« Dans l'hiver de 1783 à 1784, dit-il, si mémorable par la quantité

de neige qui s'amoncelait sur les routes, dans les cours, etc., Napoléon fut singulièrement contrarié; plus de petits jardins, plus de ces isolements heureux qu'il recherchait. Au moment de ses récréations, il était forcé de se mêler à la foule de ses camarades, et de se promener avec eux en long et en large dans une salle immense. Pour s'arracher à cette monotonie de promenade, Napoléon sut remuer toute l'école, en fai

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sant sentir à ses camarades qu'ils s'amuseraient bien autrement, s'ils
voulaient, avec des pelles, se frayer différents passages au milieu desen
neiges, faire des ouvrages à cornes, creuser des tranchées, élever des
parapets, des cavaliers, etc.-Le premier travail fini, nous pourrons,
dit-il, nous diviser en pelotons, faire une espèce de siége; et, comme
l'inventeur de ce nouveau plaisir, je me charge de diriger les attaques.
- La troupe joyeuse accueillit ce projet avec enthousiasme; il fut exé-
cuté, et cette petite guerre simulée dura l'espace de quinze jours; elle
ne cessa que lorsque des graviers ou de petites pierres, s'étant mêlés
à la neige dont on se servait pour faire des boules, il en résulta que plu-
sieurs pensionnaires, soit assiégeants, soit assiégés, furent assez griè-
vement blessés. Je me rappelle même que je fus un des élèves les plus
maltraités par cette mitraille. »>

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eux ont prétendu depuis lui avoir prédit de grandes destinées. M. de l'Éguille, son maître d'histoire, assurait, sous l'empire, que l'on trouverait dans les archives de l'École militaire, une note où il avait pressenti et tracé en peu de mots tout l'avenir de son élève : « Corse de nation et de caractère, avait-il dit, il ira loin si les circonstances le favorisent. >>

Son professeur de belles-lettres, qui a pris un rang assez distingué parmi les rhéteurs, Domairon, appelait ses amplifications du granit chauffé au volcan.

Au concours de 1785, il fut choisi, par le chevalier de Kéralio, pour l'École militaire de Paris. En vain on objecta à cet officier général, qui remplissait les fonctions d'inspecteur, que le jeune élève n'avait pas l'âge requis, et qu'il n'était fort que sur les mathématiques. « Je sais ce que je fais, dit-il : si je passe ici par-dessus la règle, ce n'est point une faveur de famille; je ne connais pas celle de cet enfant; c'est tout à cause de lui-même; j'aperçois ici une étincelle qu'on ne saurait trop cultiver. »

En entrant dans cette nouvelle école, Napoléon ne tarda pas à se montrer surpris et affligé de l'éducation molle et luxueuse qu'on y donnait à des jeunes gens que l'on destinait pourtant à la vie dure des camps et au pénible métier des armes. Ce fut pour lui le sujet d'un mémoire qu'il adressa à son principal, M. Berton, et dans lequel il représenta « que les élèves du roi, tous pauvres gentilshommes, ne pouvaient puiser, au lieu des qualités du cœur, que l'amour de la gloriole, ou plutôt des sentiments de suffisance et de vanité tels, qu'en regagnant leurs pénates, loin de partager avec plaisir la modique aisance de leur famille, ils rougiraient peut-être des auteurs de leurs jours, et dédaigneraient leur modeste manoir. Au lieu, disait-il, d'entretenir un nombreux domestique autour de ces élèves, de leur donner journellement des repas à deux services, de faire parade d'un manége très-coûteux, tant pour les chevaux que pour les écuyers, ne vaudrait-il pas mieux, sans toutefois interrompre le cours de leurs études, les astreindre à se suffire à eux-mêmes? Puisqu'ils sont loin d'être riches, et que tous sont destinés au service militaire, n'est-ce pas la seule et véritable éducation qu'il faudrait leur donner? Assujettis à une vie sobre, à soigner leur tenue, ils en deviendraient plus robustes, sauraient braver les intempéries des saisons, supporter avec courage les fatigues de la guerre, et

inspirer le respect et un dévouement aveugle aux soldats qui seraient sous leurs ordres. >>

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Ainsi Napoléon, encore enfant, jetait dans un mémoire d'écolier les

fondements d'une institution qu'il devait réaliser un jour dans sa toutepuissance.

Les examens brillants qu'il soutint le firent, du reste, distinguer à

Paris, comme il l'avait été à Brienne. Il sortit de l'École militaire en 1787, et passa, en qualité de lieutenant en second, au régiment d'artillerie de La Fère, alors en garnison à Grenoble.

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