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HISTOIRE DE NAPOLÉON.

tous les deux. Ses efforts furent partout repoussés. L'antipathie que les cours étrangères avaient conçue contre le peuple français dès l'origine de la révolution ne pouvait céder qu'à l'ascendant de la victoire et à la nécessité

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Translation de la résidence consulaire aux Tuileries. Nouvelle campagne d'Italie.
Bataille de Marengo. Retour à Paris Fête nationale.

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E premier consul connaissait trop l'importance des formes que revêt le pouvoir et l'influence des moindres circonstances extérieures dont on l'environne, pour ne pas s'appliquer à donner au sien tout ce qui pouvait en étendre et en relever l'é

clat aux yeux du peuple. Le palais du Luxembourg avait été la demeure d'une autorité débile, issue de nos assemblées révolutionnaires, et tombée, au milieu des acclamations de la France, sous le poids de la répugnance publique qu'avait fait naître et que rendait chaque jour plus vive et plus profonde la prolongation de l'anarchie; c'en était assez pour que Bonaparte se trouvât mal à l'aise dans un pareil séjour. Ce qui avait pu suffire à loger, même luxueusement, un gouvernement essentiellement

provisoire, et dont la courte existence ne formait qu'une période de déchirements, de turpitudes et de désastres dans les souvenirs populaires, ne convenait plus à un gouvernement qui sentait en lui l'unité et la force, et qui aspirait à ajouter la durée à sa puissance et à sa gloire. Il fallait désormais au consul le palais des rois, parce qu'il exerçait réellement le pouvoir des rois ; et ce n'était plus qu'aux Tuileries, consacrées dans les traditions nationales comme le siége naturel des chefs de l'état, et comme une espèce de sanctuaire gouvernemental, ce n'était plus qu'aux Tuileries que pouvait résider Bonaparte. Devait-on craindre qu'il n'y fût importuné ou influencé par l'ombre de la vieille monarchie, dont on le soupconnait déjà de vouloir refaire l'édifice? C'est en effet ce qu'insinuaient les républicains ombrageux : mais, entre le 10 août et le 18 brumaire, entre Louis XVI et Napoléon, il y avait eu pourtant d'autres journées et d'autres pouvoirs chers, à bon droit, aux démocrates ; il y avait eu la convention et le comité de salut public, qui avaient siégé aussi dans la royale demeure; et certes leur séjour dans ce palais avait bien dû suffire à son inauguration révolutionnaire, suffire pour en bannir à jamais l'ombre menaçante et toutes les mauvaises influences de l'ancien régime.

La résolution du consul une fois prise, son installation dans sa nouvelle résidence fut fixée au 19 janvier 1800. Ce jour étant venu, il dit à son secrétaire : « Eh bien ! c'est donc enfin aujourd'hui que nous allons coucher aux Tuileries ... Il faut y aller avec un cortége, cela m'ennuie; mais il faut parler aux yeux; cela fait bien pour le peuple. Le Directoire était trop simple; aussi il ne jouissait d'aucune considération. A l'armée, la simplicité est à sa place; dans une grande ville, dans un palais, il faut que le chef d'un gouvernement attire à lui les regards par tous les moyens possibles.....

A une heure précise, Bonaparte quitta le Luxembourg, suivi d'un cortége plus imposant que magnifique, et dont la belle tenue des troupes faisait la principale pompe. Chaque corps marchait sa musique en tête; les généraux et leur état-major étaient à cheval, et le peuple se pressait en foule sur leur passage, pour se faire signaler, pour voir et admirer de près les héros de tant de batailles, l'élite des guerriers dont les immortelles campagnes de la révolution lui avaient rendu les noms si familiers. Mais entre eux tous, il recherchait surtout celui qui ne s'élevait aujourd'hui au-dessus d'eux par son pouvoir que parce qu'il leur fut toujours supérieur par son génie et ses services, l'homme qui résumait en lui la

gloire militaire de l'époque, et à la fortune duquel la France attachait avec orgueil sa propre destinée. Tous les regards se portaient sur le pre

mier consul, dont la voiture était attelée de six chevaux blancs que l'empereur d'Allemagne lui avait donnés après le traité de Campo-Formio. Cambacérès et Lebrun, placés sur le devant de sa voiture, paraissaient n'être que les chambellans de leur collègue. Le cortége traversa une grande partie de Paris, et la présence de Bonaparte excita partout le plus vif enthousiasme, « qui alors, dit un témoin non suspect, M. de Bourrienne, n'avait pas besoin d'être commandé par la police.

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Arrivé dans la cour du château, le consul, ayant Murat et Lannes à ses côtés, passa les troupes en revue. Quand vinrent à défiler devant lui la 96o, la 45° et la 30° demi-brigades, il ôta son chapeau et s'inclina en

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signe de respect à la vue de leurs drapeaux mis en lambeaux par le feu

de l'ennemi et noircis par la poudre. La revue terminée, il s'installa sans ostentation dans la vieille habitation royale.

Cependant, pour éloigner le soupçon d'une restauration monarchique trop brusque, il voulut que la royale demeure ne devînt la sienne que sous le titre de Palais du gouvernement; et afin de ménager davantage les susceptibilités républicaines, il fit entrer en foule avec lui dans sa nouvelle résidence les tableaux et les statues des grands hommes de l'antiquité, dont le souvenir était cher aux amis de la liberté.

David fut chargé, entre autres, de placer son Junius Brutus dans une des galeries de la nouvelle habitation consulaire. On y introduisit également un beau buste du second Brutus, apporté d'Italie.

Toutes ces précautions annonçaient chez le premier consul, avec une tendance monarchique bien caractérisée, le sentiment profond de son origine et de sa position révolutionnaires. Ce sentiment le dominait encore, et lorsqu'il sembla plus tard s'en être affranchi, le peuple le garda pour lui car si madame Lætitia ne se laissa point tromper sur le cœur de son fils par ses formes brusques et sévères, et si elle persista toujours à dire « L'empereur a beau faire, il est bon; » de même le peuple de France, par une sorte d'instinct, s'est obstiné à dire du consul et de l'empereur, alors qu'il paraissait le plus infidèle à sa mission d'avenir, et qu'il s'essayait, sur la pente rapide des réactions, à restaurer le blason et le trône: «< Bonaparte a beau faire, il est démocrate. »>

C'est de son installation aux Tuileries que datent les mesures réparatrices et les grands établissements dont quelques-uns ont été déjà indiqués, tels que le décret portant clôture de la liste des émigrés, l'organisation de la banque de France et celle des préfectures. Un événement qui venait de mettre en deuil les républicains d'Amérique fournit bientôt au premier consul une nouvelle occasion de manifester que, malgré son rapide acheminement au pouvoir suprême, il se considérait toujours comme le premier magistrat d'une république, et lié comme tel, par une sympathie inaltérable, à la destinée des peuples libres.

<< Washington est mort! » portait un ordre du jour adressé à toutes les troupes de la république, « ce grand homme s'est battu contre la tyrannie; il a consolidé la liberté de sa patrie; sa mémoire sera toujours chère au peuple français, comme à tous les hommes libres des deux mondes, et spécialement aux soldats français qui, comme lui et les soldats américains, se battent pour la liberté et l'égalité.

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