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La sympathie que le premier consul manifesta pour Fox fut généralement partagée en France. « On le reçut comme un triomphateur dans toutes les villes où il passa. On lui offrit spontanément des fêtes, et on lui rendit les plus grands honneurs dans tous les lieux où il fut reconnu. » (O'Meara.)

La révolution française ne devait pas moins à son ami persévérant, et trente-sept ans plus tard elle sera largement payée de sa brillante hospitalité envers Fox par la réception que le peuple anglais fera à un soldat de Napoléon, à un vétéran de la république. C'est que l'école de Fox et de Mackintosh, populaire en France en 1801, le sera devenue en Angleterre, en 1838.

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Depuis le traité d'Amiens (25 mars 1802) jusqu'à la rupture de la France avec l'Angleterre (22 mai 1803).

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E vide que la révolution française avait produit. selon l'expression de Burke, dans le vieux système européen, était loin d'être comblé. S'éfargissant au contraire au nord et à l'est, par nos conquêtes en Allemagne et en Italie, il devait effrayer plus que jamais les cabinets étrangers. Mais l'épuisement des finances, la lassitude des peuples, le besoin de réparer les désastres de tant de batailles perdues et de tant de campagnes malheureuses, la crainte de nouveaux revers, et aussi une espèce de croyance superstitieuse à la fortune de la république et de son chef, tout cela avait fait céder l'Europe chrétienne et féodale à l'ascendant irrésistible de la France révolutionnaire; et désormais le peuple libre, qui fut si longtemps assailli par les nations esclaves, et frappé de leur réprobation comme impie et comme régicide, était parvenu à se réconcilier avec la papauté et la royauté, sans rien rétracter de ses principes ni de ses actes, envers le pape et envers les rois.

Quelle admirable position que celle de la république française! Après avoir supporté avec un héroïsme de dix années le poids souvent accablant d'une longue guerre, pour échapper à la domination du privilége, elle se voyait enfin au faîte de la puissance, jouissant, fière et tranquille, des bienfaits de l'égalité, et pouvant étonner le monde par les merveilles

de la paix, comme elle l'avait étonné par les prodiges de la guerre. Si ses armées se composaient des plus braves soldats et des meilleurs capitaines du temps, ses administrations comptaient aussi dans leur sein toutes les notabilités qui s'étaient révélées par l'expérience des affaires publiques; ses assemblées politiques renfermaient l'élite des orateurs et des publicistes européens; son Institut était sans égal parmi les corps académiques; ses savants présidaient aux découvertes dont ils avaient conquis l'initiative; ses littérateurs, ses poëtes, ses peintres, ses sculpteurs, tenaient le sceptre dans le domaine des arts; son commerce et son industrie, dotés en quelques jours de routes, de ponts, de canaux innombrables, venaient étaler leur richesse sous les voûtes du Louvre, comme pour faire pâlir le faste stérile de l'ancienne monarchie devant le luxe fécond de la France nouvelle; la jeunesse, pour s'élever digne de cette grande époque, voyait s'ouvrir des écoles pour chaque degré d'instruction, et trouvait dans le trésor public un appui pour entrer dans les lycées; ses musées et ses bibliothèques s'enrichissaient du fruit de ses conquêtes, et la victoire lui amenait à Paris la Vénus de Médicis et la Pallas de Velletri. Son nom, enfin, redouté des rois, était un objet de respect et d'admiration pour les peuples. Ainsi, gloire militaire, gloire politique, gloire littéraire, triomphe de la civilisation par les armes, par la science, par les arts, par l'industrie; tranquillité parfaite au dedans, paix universelle au dehors, et avec tout cela pour premier magistrat BONAPARTE!... Telle était la situation de la république française après la paix d'Amiens!

Rien ne manquait donc alors à la grandeur et à la prospérité de la France. Mais cet état florissant, qui faisait l'envie de l'Europe, trouvait dans la constitution même des chances inévitables d'instabilité. Tout le monde était convaincu que les victoires, la pacification, la puissance et la splendeur de la république étaient en grande partie l'œuvre de l'homme extraordinaire que la Providence avait envoyé au secours de la révolution; et tout le monde pensait aussi que la durée et la conservation de cette splendeur et de cette puissance reposaient actuellement et reposeraient longtemps encore sur le génie dont elles étaient l'ouvrage. Fallaitil donc que ce génie créateur et conservateur pût être écarté du timon de l'état et dépouillé de sa mission providentielle par le jeu du mécanisme constitutionnel, et par l'intervention de la cabale et de l'intrigue? Étaitil raisonnable de supposer que, le premier par les services, par la gloire, par l'intelligence, par la volonté, par toutes les facultés du guerrier et de

l'homme d'état, il pût être rejeté dans un rang secondaire par une nécessité légale? Le sénat avait cru faire assez lorsque, sur la proposition du tribunat, qui demandait un gage éclatant de la reconnaissance nationale pour le premier consul, il avait nommé Bonaparte consul pour dix ans. Mais cette prolongation n'en laissait pas moins la suprême magistrature avec son caractère temporaire, et ne faisait par conséquent qu'ajourner des inconvénients et des dangers qu'il s'agissait de prévenir et d'éloigner indéfiniment. Un homme tel que Bonaparte, avec la position qu'il avait faite à la France et avec celle que la France lui avait faite à lui-même, ne pouvait pas plus, après dix ans qu'après cinq ans, redevenir simple citoyen, ou se réduire à n'être que le second dans l'état. Il n'y avait que sa séparation d'avec la France, par l'exil ou par la mort, qui pût l'empêcher d'être le premier en France. Lui et la France le comprirent; car lorsque dédaignant le vote par lequel le sénat lui avait décerné le consulat pour dix années, il en appela au peuple et lui posa cette question : Bonaparte sera-t-il consul à vie?» le peuple accourut en foule au scrutin, et répondit par plus de trois millions de voix : « Oui. »

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Le sénat, pour faire oublier autant que possible sa réserve intempes

tive, se hâta de proclamer le vœu du peuple, en y ajoutant même l'attribution d'une nouvelle prérogative pour le premier consul, celle de choisir son successeur. Bonaparte répondit à la députation de ce corps: « Sénateurs,

>> La vie d'un citoyen est à sa patrie. Le peuple français veut que la mienne lui soit consacrée..... J'obéis à sa volonté.....

» En me donnant un nouveau gage, un gage permanent de sa confiance, il m'impose le devoir d'étayer le système de ses lois par des institutions prévoyantes.

» Par mes efforts, par votre concours, par le concours de toutes les autorités, par la confiance et la volonté de cet immense peuple, la liberté, l'égalité, la prospérité de la France seront à l'abri des caprices du sort et de l'incertitude de l'avenir..... Le meilleur des peuples sera le plus heureux, comme il est le plus digne de l'être, et sa félicité contribuera à celle de l'Europe entière.

>> Content alors d'avoir été appelé par l'ordre de celui de qui tout émane à ramener sur la terre la justice, l'ordre et l'égalité, j'entendrai sonner la dernière heure sans regret et sans inquiétude sur l'opinion des générations futures. »

L'opinion des générations contemporaines était en effet pour lui un gage éclatant et un signe précurseur de l'apothéose que lui réservait la postérité. Cependant le vœu populaire qui lui avait assuré la jouissance viagère de la suprême magistrature rencontra quelques protestations isolées, qui ne servirent qu'à mettre en relief de nobles caractères, sans atténuer l'universalité et la nécessité du vote national. Il n'était guère possible qu'il en fût autrement. Le consulat à vie semblait attacher les destinées de la république aux destinées d'un homme, et constituait une espèce de monarchie viagère qui plaçait la république sur les confins de la monarchie héréditaire : comment les susceptibilités ombrageuses, les méfiances systématiques, les convictions persévérantes des diverses écoles libérales qui s'étaient produites depuis 1789, auraient-elles disparu tout à coup pour laisser établir avec l'apparence d'une approbation unanime ce qui leur était essentiellement antipathique? Mais on eût pu croire alors que la France, en investissant Bonaparte d'un immense pouvoir, ne cédait pas seulement à l'empire des circonstances, et qu'au lieu de faire tout simplement un acte provisoire de sagesse et de nécessité par l'installation d'un dictateur, elle entendait agir en principe, se donner

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