Page images
PDF
EPUB
[graphic][merged small][merged small][graphic][merged small]

Envoyé à Valence, où se trouvait alors une partie de son régiment, il y fut bientôt introduit dans les meilleures sociétés, et particulièrement dans celle de madame du Colombier, femme d'un rare mérite, et qui

donnait le ton à la bonne compagnie. Ce fut là qu'il connut M. de Montalivet, dont il fit depuis son ministre de l'intérieur.

Madame du Colombier avait une fille', qui inspira au jeune officier d'artillerie les premiers sentiments d'amour qu'il eût éprouvés en sa vie.

[graphic][ocr errors]

Cette inclination, aussi tendre qu'innocente, fut heureusement partagée par celle qui en était l'objet; elle amena de petits rendez-vous,

Napoléon revit plus tard mademoiselle du Colombier à Lyon, où elle était mariée à M. de Bres sieux. L'empereur la plaça, comme dame d'honneur, chez une de ses sœurs, et donna un emploi avantageux au mari.

dans lesquels, au dire de Napoléon, tout le bonheur des deux amants se réduisait à manger des cerises ensemble.

Il ne fut, du reste, jamais question de les unir. La mère, malgré son estime et son attachement pour le jeune homme, ne songea point à cette alliance, comme on l'a prétendu. En revanche, elle lui prédit souvent de hautes destinées, et renouvela même ses prédictions au lit de mort, alors que la révolution française venait d'ouvrir la carrière où elles devaient s'accomplir.

Ses préoccupations de cœur et ses succès dans le monde n'empêchèrent pourtant pas Napoléon de continuer ses graves études et de se livrer à l'examen des problèmes les plus difficiles de l'économie sociale. Il remporta, sous le voile de l'anonyme, le prix que l'académie de Lyon avait proposé sur cette question, posée par l'abbé Raynal: « Quels sont >> les principes et les institutions à inculquer aux hommes, pour les >> rendre le plus heureux possible? » Napoléon répondit en disciple du dix-huitième siècle, et il fut couronné. Le souvenir de ce triomphe ne lui parut pas sans doute très-flatteur dans la suite, puisque son mémoire lui ayant été présenté sous l'empire par M. de Talleyrand, il s'empressa de le jeter au feu.

La révolution française éclata; toute la jeunesse éclairée y applaudit avec transport. Ce n'était pour elle que l'heureuse application des doctrines encyclopédiques dont elle était imbue. Les gentilshommes infatués de leurs priviléges et de leurs titres, et il s'en trouvait un grand nombre dans l'armée, ne partagèrent pas cet enthousiasme. Mais cet esprit de caste ne pouvait pas faire manquer à son génie et à son siècle un officier dont Paoli avait dit avec tant de raison et de vérité, « qu'il était taillé à l'antique, que c'était un homme de Plutarque. » Napoléon n'imita donc pas la plupart de ses camarades qui allèrent bouder, à l'étranger, la régénération de leur patrie. Sans doute, la considération de sa fortune et de sa gloire aida ici l'influence de ses opinions et de ses principes, et il put dire à son capitaine, en se jetant dans le parti des novateurs, « que les révolutions étaient un bon temps pour les militaires qui avaient du courage et de l'esprit; » mais est-ce une raison de n'attribuer qu'à un calcul mesquin et de dépouiller de toute moralité politique le patriotisme ardent qu'il avait manifesté, avant l'explosion même de la crise, et dans ses conversations et dans ses écrits? Ce n'est pas avec la nullité contemplative d'un idéologue ou avec l'abnégation ascétique

d'un moine qu'il faut entrer dans les affaires publiques, si l'on veut agir puissamment sur les hommes, et contribuer à améliorer le sort des peuples; ce n'est pas avec le désintéressement absolu de l'impuissance que l'on fait de grandes choses et que l'on pousse le monde en avant. Il fut heureux pour la France que, parmi les législateurs et les soldats dévoués à la réforme de 1789, il se trouvât des âmes avides de la gloire qui s'acquiert par d'éminents services, ou ambitieuses du pouvoir qui facilite au génie la réalisation de ses plans. Il fut surtout heureux pour elle que parmi ces ambitieux, sans lesquels le drame révolutionnaire, privé de mouvement et de vie, n'aurait présenté que le froid et stérile spectacle d'un congrès de quakers ou d'un concile de jansénistes, il se soit rencontré un soldat-législateur, capable d'aspirer et de s'élever à une renommée et à une autorité immenses, par d'immenses travaux au profit de la civilisation européenne.

[graphic]

Napoléon obéit donc à la fois à ses convictions et au pressentiment de sa destinée en embrassant avec chaleur le parti populaire. Mais cet ar

dent patriotisme ne l'empêcha pas de nourrir en son âme une aversion instinctive pour l'anarchie, et d'assister avec indignation et douleur aux orgies démagogiques qui marquèrent l'agonie d'un pouvoir dont la succession devait un jour lui revenir. C'est ainsi qu'au 20 juin 1792, se trouvant sur la terrasse du bord de l'eau, aux Tuileries, et voyant Louis XVI coiffé d'un bonnet rouge par un homme du peuple, il s'écria, après une apostrophe aussi triviale qu'énergique : « Comment a-t-on pu laisser entrer cette canaille? Il fallait en balayer quatre ou cinq cents avec du canon, et le reste courrait encore. »

Témoin du 10 août, qu'il avait prévu comme une conséquence inévitable et prochaine du 20 juin, Napoléon, toujours partisan zélé de la révolution française, mais toujours attaché par pressentiment ou par raison aux idées d'ordre et à la considération du pouvoir, abandonna la capitale de la France pour se rendre en Corse, Paoli intriguait alors dans cette île en faveur de l'Angleterre. Le jeune patriote français, profondément affligé de cette conduite, brisa, dès ce moment, l'idole de son enfance. Il prit un commandement dans les gardes nationales, et combattit à outrance le vieillard pour lequel il avait montré jusque-là tant de respect, de sympathie et d'admiration.

Le parti anglais l'ayant emporté, et l'incendie d'Ajaccio ayant signalé ce triomphe, la famille Bonaparte, dont la maison avait été brûlée, se réfugia en France et s'établit à Marseille. Napoléon ne séjourna pas longtemps dans cette ville; il se hâta de retourner à Paris, où les événements se pressaient avec tant de violence et de rapidité, que chaque jour et chaque heure y donnaient le signal d'une nouvelle crise.

Le Midi venait d'arborer l'étendard du fédéralisme, et la trahison avait livré Toulon aux Anglais. Le général Cartaux fut chargé par la Convention d'aller rétablir la Provence sous les lois de la république, et d'y activer la défaite et la punition des rebelles et des traîtres.

Dès que la victoire eut conduit ce général dans Marseille, le siége de Toulon fut ordonné. Napoléon s'y rendit en qualité de commandant d'artillerie. C'est à cette époque qu'il publia, sous le titre de Souper de Beaucaire, un opuscule dont le Mémorial de Sainte-Hélène ne dit rien, mais que M. de Bourrienne déclare avoir reçu de Bonaparte luimème à son retour de Toulon. Cet écrit porte, du reste, le cachet des opinions qu'il devait professer alors comme patriote énergique et comme militaire habile; il renferme, sur les troubles du Midi et sur l'épisode

« PreviousContinue »