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Dès ce jour, Napoléon put prévoir qu'il disposerait bientôt des forces militaires de la France, et il monta réellement le premier degré du trône, en prenant le commandement suprême de la capitale.

Quel changement dans sa fortune en vingt-quatre heures! Le 12 vendémiaire, il végétait dans la disgrâce, désespéré d'être obligé de replier sur lui-même l'activité de son esprit, poussé par les obstacles et les traverses à douter de son avenir, et tellement fatigué des entraves qu'il rencontrait sur la scène politique, que la douceur et le repos de la vie privée finissaient par le tenter, et lui faisaient dire, en apprenant le mariage de son frère Joseph avec la fille du premier négociant de Marseille : Qu'il est heureux ce coquin de Joseph! »

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Le 14 vendémiaire, au contraire, toutes ces velléités bourgeoises avaient disparu. Le disgracié de la veille se trouvait le dominateur du lendemain. Il était devenu le centre de toutes les intrigues et de toutes les ambitions, comme il était l'âme de tous les mouvements. En présence du royalisme, dont le génie de la France repoussait le drapeau, et n'ayant au-dessus de lui qu'une assemblée rapidement vieillie dans la carrière des coups d'état et dans les luttes d'échafauds, le jeune vainqueur des sections parisiennes attacha à son étoile naissante les destinées de la révolution, que l'étoile pâlie de la Convention ne pouvait plus conduire avec l'éclat des premiers ans de la liberté.

Le premier usage que fit Napoléon de son crédit et de son pouvoir fut de sauver Menou, dont les comités voulaient la perte.

Malgré toute sa modération, les vaincus ne purent lui pardonner leur défaite; mais leur vengeance se borna à un sobriquet, et ils ne purent rien de plus contre lui que de l'appeler le Mitrailleur.

La population parisienne était profondément blessée et humiliée; la disette vint mettre le comble à son mécontentement et à l'impopularité des gens de guerre qui l'avaient foudroyée et réduite. « Un jour que la distribution du pain avait manqué, dit M. de Las-Cases, et qu'il s'était formé des attroupements nombreux à la porte des boulangers, Napoléon passait, avec une partie de son état-major, pour veiller à la tranquillité publique; un gros de la populace, les femmes surtout, le pressent, demandant du pain à grands cris; la foule s'augmente, les menaces s'accroissent et la situation devient des plus critiques. Une femme monstrueusement grosse et grasse se fait particulièrement remarquer par ses gestes et par ses paroles : « Tout ce tas d'épaule

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tiers, crie-t-elle en apostrophant ce groupe d'officiers, se moquent de
nous; pourvu qu'ils mangent et qu'ils s'engraissent bien, il leur est
fort égal que le peuple meure de faim. » Napoléon l'interpelle : « La
bonne, regarde-moi bien : « quel est le plus gras de nous deux? » Or,
Napoléon était alors extrêmement maigre. « J'étais un vrai parche-
min, » disait-il. Un rire universel désarme la populace, et l'état-major
continue sa route.

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Cependant la gravité du mouvement insurrectionnel de vendémiaire et la presque universalité des récriminations qui s'élevaient, du sein de tous les partis, contre la Convention, avaient fait ordonner le désarmement général des sections. Tandis qu'on exécutait cette mesure, un jeune homme de dix à douze ans vint supplier le général en chef de lui faire rendre l'épée de son père, qui avait commandé les armées de la

république. C'était Eugène de Beauharnais. Napoléon accueillit sa prière et le traita avec beaucoup de bonté. Le jeune homme pleura d'atten

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drissement, et parla de la bienveillance du général à sa mère, qui se crut obligée d'aller l'en remercier. Madame Beauharnais, jeune encore, ne chercha pas sans doute à voiler, dans cette visite, la grâce et les áttraits qui la faisaient remarquer dans les plus brillantes sociétés de la capitale. Napoléon en fut assez touché pour désirer de suivre des relations que le hasard venait de lui ouvrir. Il passa toutes ses soirées chez Joséphine. Quelques débris de l'ancienne aristocratie s'y rencontraient, et ne s'y trouvaient pas trop mal de la compagnie du petit mitrailleur, comme on avait affecté de l'appeler dans les salons. Quand la société s'était retirée, il restait quelques intimes, tels que le vieux M. de Montesquiou et le duc de Nivernais, pour causer, à portes fermées, de l'ancienne cour, « pour faire un tour à Versailles. » On trouverait au

jourd'hui le vainqueur de vendémiaire bien étrangement placé au milieu de ces vétérans de l'oeil-de-boeuf, si l'on ne savait ce qu'il a fait depuis pour l'étiquette et le blason, quoiqu'il ne se soit jamais départi pour luimême du dédain philosophique que ces choses lui inspiraient, et bien .qu'il dût être le représentant quand même de la révolution française et l'effroi des aristocraties européennes.

Ce n'était pas du reste une simple connaissance ou une liaison éphémère que Napoléon avait formée avec madame de Beauharnais. L'amour le plus vif et le plus tendre était entré dans son âme, et il mit son bonheur à épouser celle qu'il adorait. Ce mariage eut lieu le 9 mars 1796. Une négresse avait prédit à Joséphine qu'elle serait reine : c'était du moins ce qu'elle aimait à raconter, sans paraître trop incrédule. Son union avec Bonaparte fut un premier pas vers l'accomplissement de la prophétie.

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CHERER, généralen chefde l'armée d'Italie, avait compromis les armes et l'honneur de la république par son incapacité militaire et par les désordres de son administration. Il avait laissé périr ses propres chevaux faute de subsistance. L'armée manquait de tout, et ne pouvait plus tenir dans la rivière de Gênes. Le directoire, pour faire cesser ce dénûment complet, et à défaut d'argent et de vivres, lui envoya un nouveau général. Heureusement ce général était Bonaparte son génie tint lieu de tout.

Bonaparte partit de Paris le 21 mars 1796, laissant le commandement de l'armée de l'intérieur à un vieux général nommé Hatri. Son

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