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sur le continent. « L'occasion était favorable, disait le diplomate russe, il fallait la saisir; il ne s'agissait que de se montrer et de parler ferme on aurait les indemnités du duc d'Oldenbourg; on acquierrait Dantzick, et la Russie se créerait une immense considération en Europe.

Ces insinuations et ces conseils hostiles flattaient trop les dispositions personnelles du czar pour qu'il y restât sourd. Il se laissa facilement persuader que Napoléon n'était pas en mesure de vouloir la guerre et de la faire avec succès, et il dirigea en conséquence de nouveaux corps de trou pes sur la Vistule, en les faisant suivre d'une note que son ambassadeur à Paris fut chargé de présenter à l'empereur, et dans laquelle il ajoutait, à ses anciennes exigences, l'abandon de Dantzick et l'évacuation du duché de Varsovie.

« Je crus alors la guerre déclarée, a dit Napoléon; depuis longtemps je n'étais plus accoutumé à un pareil ton. Je n'étais pas dans l'habitude de me laisser prévenir. Je pouvais marcher à la Russie à la tête du reste de l'Europe; l'entreprise était populaire, la cause était européenne: c'était le dernier effort qui restait à faire à la France; ses destinées, celles du nouveau système européen étaient au bout de la lutte.» (Mémorial.)

En effet, la réaction providentielle que la France nouvelle exerçait, par la puissance des armes, sur la vieille Europe, touchait à son terme; mais avant de finir, elle devait compléter son œuvre et sa gloire. Ce n'était pas assez qu'elle eût puni, dans Vienne et dans Berlin, les signataires du traité de Pilnitz, et que les soldats de la révolution eussent été mêlés par la conquête aux populations asservies de la Prusse et de l'Autriche; il manquait encore quelque chose à l'enseignement des peuples par la grande nation. Les alarmes que Souwarow répandit un jour sur nos frontières devaient être reportées jusques au sein de l'empire russe, dans l'ancienne capitale des czars, dans Moscou même, la ville sainte, et il était dit que la civilisation française, provoquée par les ligues opiniâtres des superbes champions du passé, irait triomphalement, sous le costume guerrier, et à la suite du génie des conquêtes, visiter la barbarie au milieu de ses déserts, et qu'elle y ferait envier, à des races abaissées par le servage, le rayon d'intelligence et de fierté qui marque au front la noble race des enfants de la France. Les destins s'accompliront la révolution viendra s'asseoir au foyer du paysan russe. Et, comme ces êtres mystérieux à la présence desquels on attri

buait une influence secrète, que le temps seul mettait en évidence, elle laissera partout, sur son passage, des traces qui seront d'abord inaperçues, mais que la rigueur des frimas n'effacera point, et que les événements feront tôt ou tard reconnaître.

Que les destins s'accomplissent done!... « Napoléon va marcher à la Russie, à la tête du reste de l'Europe. » C'est au Kremlin que les dieux ont marqué le terme de ses conquêtes, et Alexandre l'y appelle par ses notes provocatrices, par la violation solennelle du blocus continental, par ses prétentions sur Dantzick et sur la Pologne.

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VANT de quitter Paris et d'apprendre officiellement à la France que les serments d'Erfurth ne furent que jeux de princes, et qu'Alexandre le force de recommencer, dans le nord de l'Europe, la lutte ouverte depuis vingt ans entre l'ancien et le nouveau système politique, Napoléon fait adopter, par les grands corps de l'empire, diverses mesures qui peuvent annoncer à ses peuples la vaste expédition qu'il prépare, la guerre lointaine qui va éclater.

Le 23 décembre 1814, un sénatus-consulte avait mis à la disposition du ministre de la guerre un contingent de cent vingt mille hommes à prendre sur la conscription de 1812. Le 15 mars suivant, un nouvel acte sénatorial organisa la garde nationale et la divisa en trois bans.

Peu de jours après (le 17), soixante mille hommes du premier ban furent déclarés disponibles pour la formation d'une armée intérieure, qui devait être chargée plus spécialement de la défense du territoire ; la levée ordinaire de la conscription fut en outre ordonnée.

Non content de tout disposer pour la guerre, dans le sein de l'empire, Napoléon, qui voulait marcher à la Russie à la tête du reste de l'Europe, s'occupa de former et de cimenter, à l'extérieur, de puissantes alliances. Deux traités furent conclus à cet effet, l'un avec la Prusse et l'autre avec l'Autriche, les 24 février et 14 mars 1812. Les assurances les plus amicales étaient alors prodiguées par les chancelleries de Vienne et de Berlin au potentat victorieux, que la fortune ne semblait pas menacer encore d'une trahison prochaine.

Ce fut du sein de cette France, dont il avait fait une « citadelle » qui paraissait inexpugnable, et à travers cette Allemagne dont les rois étaient à ses pieds, que Napoléon s'achemina vers les frontières de l'empire russe, pour se mettre à la tête de l'armée la plus formidable que le génie des conquêtes eût jamais conduite.

Parti de Paris avec l'impératrice, le 9 mai 1812, il traversa rapi dement Metz, Mayence et Francfort, et arriva, le 17, à Dresde. C'était une affluence de têtes couronnées dans la capitale de la Saxe. Napoléon y eut son « salon des rois » : les altesses et les majestés semblaient s'y être donné rendez-vous pour rivaliser d'empressement et d'adulation auprès du chef du grand empire. L'orgueil des races antiques et la vanité des familles nouvelles s'abaissaient également devant lui. A voir ce concours de superbes courtisans et de magnifiques flatteurs qui accouraient de toutes parts, et des hauteurs même du trône, pour s'associer à la prosternation générale que l'empereur remarquait partout autour de lui sur son passage, on eût dit que tous ces illustres adulateurs avaient en lui une foi inébranlable, et que son pouvoir leur paraissait participer de l'immortalité qui était assurée à son nom.

« O vous, s'écrie M. de Pradt, qui voulez vous faire une juste idée de la prépotence que Napoléon exerce en Europe, transportez-vous en esprit à Dresde, et venez y contempler ce prince au plus haut période de sa gloire.

» Napoléon occupe les grands appartements du château ; il y est entouré d'une partie nombreuse de sa maison. C'est chez lui que se réunissent les hôtes augustes que renferme le palais du roi de Saxe.

» Son lever se tient, comme à l'ordinaire, à neuf heures. C'est là qu'il faut voir avec quelle soumission une foule de princes (l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse, avec leurs ministres Metternich et Har

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denberg étaient du nombre), confondus parmi les courtisans, attend le moment de comparaître.

» Napoléon est le roi des rois. Sur lui sont tournés tous les regards. L'affluence des étrangers, des militaires, des courtisans, l'arrivée et le départ des courriers, la foule se précipitant aux portes du palais dès le moindre mouvement de notre empereur, se pressant sur ses pas, contemplant avec cet air que donnent l'admiration et l'étonnement; l'attente des événements peinte sur tous les visages... Tout cet ensemble présente le tableau le plus vaste, le plus piquant, et le monument le plus éclatant que l'on puisse élever à la mémoire de Napoléon. »

Ce fut dans cette entrevue de Dresde que l'empereur d'Autriche crut flatter l'orgueil de Napoléon, en lui apprenant que la famille des Bonaparte avait été souveraine à Trévise. «Il voulait le dire à MarieLouise, à qui cela devait faire grand plaisir » Ce prince était d'ailleurs

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