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tiennent pour dit leur maitre a confié le salut de son empire au génie de la destruction!

Cependant Napoléon, une fois résolu à marcher sur Moscou, avait poussé la guerre avec vigueur et mené les Russes, l'épée dans les reins, pour leur faire accepter la bataille par laquelle il se flattait de clore les hostilités et de déterminer le czar à la paix. Mais Alexandre ne l'attendit pas au Kremlin; et, au lieu de se porter à sa rencontre, pour prendre le commandement des armées russes, il s'achemina rapidement vers Pétersbourg, d'où il envoya le vieux Kutusow' remplacer Barclay-de-Tolly, «pensant, dit le colonel Butturlin, qu'il fallait un nom russe pour nationaliser la guerre davantage. »

Quand Kutusow arriva à l'armée, Barclay avait pris position entre Viazma et Ghjath, et se disposait au combat pour le lendemain. Le vieux guerrier ne voulut pas laisser croire que le général disgracié eût bien choisi son terrain, et les Russes se retirèrent encore à notre approche. Ils s'arrètèrent enfin en deçà de Moscow, entre la Moscowa et la Kalocza: c'est là que se donna, le 7 septembre, la grande bataille, si ardemment désirée par Napoléon.

La veille de cette mémorable journée, et dès les premiers rayons de l'aurore, l'empereur était à cheval, enveloppé dans sa redingote grise. Il prit avec lui Rapp et Caulaincourt, que suivaient de loin quelques chasseurs, et, sans autre escorte, il se porta d'abord à la reconnaissance des avant-postes russes, et fut visiter en détail les positions qu'occupaient les divers corps de l'armée française. La confiance et l'espoir rayonnaient sur son front, et on l'entendit même fredonner, au milieu des bivouacs du général Pajol, l'air patriotique :

La victoire en chantaut nous ouvre la barrière.

Sur ces entrefaites, arrivèrent au camp le colonel Fabvier, qui apportait, du fond de l'Espagne, la désastreuse nouvelle de la bataille de Salamanque, et M. de Beausset, venant de Saint-Cloud, avec la mission de remettre à l'empereur des lettres de Marie-Louise, ainsi que le portrait du roi de Rome.

Madame de Staël, dont l'exil continuait, se trouvait alors à Pétersbourg; elle visita Kutusoff, la veille de son départ pour l'armée. « C'était, dit-elle, un vieillard plein de grâce dans les manières, et de vivacité dans la physionomie... En le regardant, je craignais qu'il ne fût pas de force a lutter contre les hommes âpres et jeunes qui fondaient sur la Russie; mais les Russes, courtisans à Pétersbourg, redeviennent Tartares à l'armée... Avant de partir, Kutusow alla faire sa prière à l'église de Notre-Dame de Kasan, et tout le peuple qui suivait ses pas lui cria de sauver la Russie. »

Napoléon s'exprima sévèrement, avec le colonel Fabvier, sur le compte du maréchal Marmont, dont la défaite avait livré Madrid à Wellington. Le colonel défendit généreusement son général.

Un tout autre accueil fut fait à M. de Beausset. L'empereur avait été profondément attendri en recevant des nouvelles de ce qu'il avait de plus cher au monde. Le portrait de son fils lui causait surtout les plus douces et les plus vives émotions. Après l'avoir montré aux personnes qui l'entouraient, il le confia à son secrétaire, en lui disant : « Tenez,

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retirez-le, serrez-le; c'est voir de trop bonne heure un champ de bataille. » Le terrain sur lequel le quartier-général était établi le 6 devint, en effet, le champ de bataille du 7.

BATAILLE DE LA MOSCOWA.

{ Extrait du 18 bulletin.)

« Le 7, à deux heures du matin, l'empereur était entouré des maréchaux à la position prise l'avant-veille. A cinq heures et demie le

soleil se leva sans nuages; la veille il avait plu: « C'est le soleil d'Austerlitz,» dit l'empereur. Quoique au mois de septembre, il faisait aussi froid qu'au mois de décembre en Moravie. L'armée en accepta l'augure. On battit un ban, et on lut l'ordre du jour suivant:

« Soldats,

» Voilà la bataille que vous avez tant désirée! Désormais la victoire dépend de vous: elle nous est nécessaire; elle nous donnera l'abondance, de bons quartiers d'hiver, et un prompt retour dans la patrie! Conduisez-vous comme à Austerlitz, à Friedland, à Witepsk, à Smolensk, et que la postérité la plus reculée cite avec orgueil votre conduite dans cette journée; que l'on dise de vous. « Il était à cette grande bataille sous les murs de Moscou! »

Au camp impérial, sur les hauteurs de Borodino, le 7 septembre, à deux heures du matin..

» L'armée répondit par des acclamations réitérées. Le plateau sur lequel était l'armée était couvert de cadavres russes du combat de l'avant-veille.

» Le prince Poniatowski, qui formait la droite, se mit en mouvement pour tourner la forêt sur laquelle l'ennemi appuyait sa gauche. Le prince d'Eckmühl se mit en marche le long de la forêt, la division Compans en tète. Deux batteries de soixante pièces de canon chacune, battant la position de l'ennemi, avaient été construites pendant la nuit.

» A six heures, le général comte Sorbier, qui avait armé la batterie droite avec l'artillerie de la réserve de la garde, commença le feu. Le général Pernetty, avec trente pièces de canon, prit la tète de la division Compans (quatrième du premier corps), qui longea le bois tournant la tète de la position de l'ennemi. A six heures et demie, le général Compans est blessé. A sept heures, le prince d'Eckmülh a son cheval tué. L'attaque avance, la mousqueterie s'engage. Le vice-roi, qui formait notre gauche, attaque et prend le village de Borodino que l'ennemi ne pouvait défendre, ce village étant sur la rive gauche de la Kologha. A sept heures, le maréchal duc d'Elchingen se met en mouvement, et sous la protection de soixante pièces de canon que le général Foucher avait placées la veille contre le centre de l'ennemi, se porte contre le centre. Mille pièces de canon vomissent de part et d'autre la mort. A huit heures, les positions de l'ennemi sont enlevées, ses re

doutes prises', et notre artillerie couronne ses mamelons. L'avantage de position qu'avaient eu pendant deux heures les batteries ennemies nous appartient maintenant. Les parapets qui ont été contre nous pendant l'attaque redeviennent pour nous. L'ennemi voit la bataille perdue, qu'il ne la croyait que commencée. Partie de son artillerie est prise, le reste est évacué sur ses lignes en arrière. Dans cette extrémité, il prend le parti de rétablir le combat, et d'attaquer avec toutes ses masses les fortes positions qu'il n'a pu garder. Trois cents pièces de canon françaises placées sur les hauteurs foudroient ses masses, et ses soldats viennent mourir au pied de ces parapets qu'ils avaient élevés les jours précédents avec tant de soin, et comme des abris protecteurs.

» Le roi de Naples, avec la cavalerie, fit diverses charges. Le duc d'Elchingen se couvrit de gloire, et montra autant d'intrépidité que de sang-froid. L'empereur ordonna une charge de front, la droite en avant : ce mouvement nous rend maîtres des trois quarts du champ de bataille. Le prince Poniatowski se bat dans le bois avec des succès variés.

» Il restait à l'ennemi ses redoutes de droite; le général comte Morand y marche et les enlève; mais à neuf heures du matin, attaqué de tous côtés, il ne peut s'y maintenir. L'ennemi, encouragé par ce succès, fit avancer sa réserve et ses dernières troupes pour tenter encore la fortune. La garde impériale en fait partie. Il attaque notre centre sur lequel avait pivoté notre droite. On craint pendant un moment qu'il n'enlève le village brûlé; la division Friant s'y porte; quatre-vingts pièces françaises arrêtent d'abord et écrasent ensuite les colonnes ennemies qui se tiennent pendant deux heures serrées sous la mitraille, n'osant pas avancer, ne voulant pas reculer, et renonçant à l'espoir de la victoire. Le roi de Naples décide leur incertitude; il fait charger le quatrième corps de cavalerie, qui pénètre par les brèches que la mitraille de nos canons a faites dans les masses serrées des Russes et les

La prise de l'une de ces redoutes est signalée, dans nos fastes militaires, comme l'un des plus beaux faits d'armes qui aient illustré la valeur française.

Lorsque Napoléon, visitant le champ de bataille, arriva à la grande redoute, il apprit, de la bouche même du colonel Charrière, comment elle avait été enlevée. Murat, qui accompagnait l'empereur, lui dit : « C'est un de nos anciens de l'armée d'Italie. » Napoléon, qui se souvenait d'ailleurs du brillant combat de Peyssing, et de son allocution au 57o, qu'il avait félicité de justifier de plus en plus son surnom de Terrible, Napoléon récompensa le digne chef de ce brave régiment, en l'élevant au grade de général de brigade.

escadrons de leurs cuirassiers; ils se débandent de tous côtés. Le général de division comte Caulaincourt, gouverneur des pages de l'empe

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reur, se porte à la tète du 5o de cuirassiers, culbute tout, entre dans la redoute de gauche par la gorge. Dès ce moment, plus d'incertitude, la bataille est gagnée il tourne contre les ennemis les vingt et une pièces de canon qui se trouvent dans la redoute. Le comte Caulaincourt, qui venait de se distinguer par cette belle charge, avait terminé ses destinées; il tombe mort frappé par un boulet: mort glorieuse et digne d'envie!

» Il est deux heures après midi, toute espérance abandonne l'ennemi la bataille est finie, la canonnade continue encore; il se bat pour sa retraite et pour son salut, mais non plus pour la victoire.

» La perte de l'ennemi est énorme : douze à treize mille hommes et huit à neuf mille chevaux ont été comptés sur le champ de bataille, soixante pièces de canon et cinq mille prisonniers sont restés en notre pouvoir.

» Nous avons eu deux mille cinq cents hommes tués et le triple de blessés. Notre perte totale peut être évaluée à dix mille hommes: celle

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