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HISTOIRE DE NAPOLÉON.

nents, aux chefs de l'empire, qui ont ainsi oublié d'invoquer le principe sur lequel reposent l'élévation et l'avenir même de leur propre famille. Ce n'est pas leur faute, s'ils n'ont pas pensé à Napoléon II; c'est le fait du siècle dont le génie les domine à leur insu, et qui est peu dynastique.

Napoléon ajoute, en se tournant vers l'un de ses plus braves officiers, et faisant toujours allusion aux événements de Paris : « Rapp, un malheur n'arrive pas seul; c'est le complément de ce qui se passe ici. Je ne puis pas être partout, mais il faut que je revoie ma capitale; ma présence y est indispensable pour remonter l'opinion. Il me faut des hommes et de l'argent; de grands succès, de grandes victoires répareront tout. »

Et il y aura beaucoup à réparer! d'heure en heure nos malheurs s'accroissent; ce ne sera bientôt plus une retraite que nous aurons à raconter, mais un immense désastre...

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Départ de Smolensk. Affreuse situation de l'armée. Bataille de la Bérésina.
Retour de l'empereur à Paris.

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APOLÉON ne pouvait s'arrêter longtemps à Smolensk. Presque toutes les réserves qu'il avait échelonnées pour servir d'appui à sa retraite avaient été déplacées par des marches et des contremarches imprévues. Les approvisionnements sur lesquels il avait compté lui manquaient également ou étaient rapidement consommés et gaspillés au milieu du désordre et des besoins de l'armée. A chaque instant il apprenait quelques pertes nouvelles, quelque funeste événement. Tantôt c'était la division détachée sur Kalouga, qui entrait dans Smolensk après avoir laissé entre les mains de Kutusow une de ses brigades tout en

tière; tantôt c'était Eugène à qui le passage de la Woop avait coûté douze cents chevaux, soixante pièces de canon et tous ses équipages; et au milieu de tant de calamités, Tehitchagoff approchait, Tchitchagoff n'était plus qu'à quelques marches de l'armée française, et notre plus redoutable ennemi, le froid, faisait descendre le thermomètre à vingt degrés de glace.

Tout était donc maintenant conjuré contre Napoléon, comme tout lui souriait autrefois. Un seul appui restait à son courage inaltérable, c'était le courage persévérant de ses généraux et de ses soldats. Dans toutes les rencontres, les guerriers français se montraient toujours dignes du grand peuple qui les avait chargés du dépôt de sa gloire, et dignes du grand homme dont ils partageaient les revers comme ils avaient partagé ses triomphes. A aucune époque de leur prospérité ils ne furent plus intrépides. Un des combats que livra leur arrièregarde, sous les ordres de Ney, a été appelé, par l'Anglais Wilson, la bataille des héros. C'est à la suite de ce brillant fait d'armes, que le

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brave des braves, entouré de cent mille Russes, parvint à leur échapper

et à rejoindre l'armée française, à travers un pays inconnu, et après avoir passé le Borysthène sur les glaçons du fleuve. En apprenant son arrivée, Napoléon, qui l'avait cru perdu, s'écria avec transport : « J'ai deux cents millions dans les caves des Tuileries, je les aurais donnés pour le maréchal Ney! »>

Mais l'héroïsme, auxiliaire du génie, s'il est encore assez puissant pour retenir la gloire sous nos drapeaux, ne peut rien contre la fortune qui s'en éloigne de plus en plus, qui nous trahit et nous accable chaque jour davantage. Déjà d'épouvantables malheurs sont à déplorer, et ils vont s'effacer devant les événements plus terribles qui restent à décrire. Pour faire choir un homme de la stature de Napoléon, il fallait une commotion violente et universelle qui tournât contre lui les intérêts, les passions, les éléments; il fallait une conjuration de la terre et du ciel, une conjuration qui se manifestât par quelque grande catastrophe... La catastrophe est arrivée. Celui dont elle doit commencer la ruine en dictera lui-même les détails. Si l'empereur ressent vivement les coups de l'adversité pour lui, pour les siens, et surtout pour la France, il domine encore assez l'infortune pour l'envisager sans faiblesse et sans abattement, pour parler d'elle avec une noble résignation qui n'exclut pas l'espérance; le chiffre du bulletin où il consignera son pénible récit, douloureusement conservé dans les traditions populaires, suffira longtemps pour signaler d'un mot l'époque et l'immensité des revers de la grande armée; pour marquer dans le lointain la première période de la chute du grand capitaine.

VINGT-NEUVIÈME BULLETIN.

Jusqu'au 6 novembre, le temps a été parfait, et le mouvement de l'armée s'est exécuté avec le plus grand succès. Le froid a commencé le 7; dès ce moment, chaque nuit nous avons perdu plusieurs centaines de chevaux, qui mouraient au bivouac. Arrivés à Smolensk, nous avions déjà perdu bien des chevaux de cavalerie et d'artillerie.

» L'armée russe de Volhynie était opposée à notre droite. Notre droite quitta la ligne d'opération de Minsk, et prit pour pivot de ses opérations la ligne de Varsovie. L'empereur apprit à Smolensk, le 9, ce changement de ligne d'opérations, et présuma ce que ferait l'ennemi. Quelque dur qu'il lui parût de se mettre en mouvement dans une

si cruelle saison, le nouvel état des choses le nécessitait, il espérait arriver à Minsk, ou du moins sur la Bérésina, avant l'ennemi; il partit le 13 de Smolensk; le 16, il coucha à Krasnoë. Le froid, qui avait commencé le 7, s'accrut subitement, et, du 14 au 15 et au 16, le thermomètre marqua seize et dix-huit degrés au-dessous de glace. Les chemins furent couverts de verglas; les chevaux de cavalerie, d'artil

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lerie, périssaient toutes les nuits, non par centaines, mais par milliers, surtout les chevaux de France et d'Allemagne plus de trente mille chevaux périrent en peu de jours; notre cavalerie se trouva toute à pied; notre artillerie et nos transports se trouvaient sans attelage : il fallut abandonner et détruire une bonne partie de nos pièces et de nos munitions de guerre et de bouche.

>> Cette armée, si belle le 6, était bien différente dès le 14, presque sans cavalerie, sans artillerie, sans transports. Sans cavalerie, nous ne pouvions pas nous éclairer à un quart de lieue; cependant, sans artillerie, nous ne pouvions pas risquer une bataille et attendre de pied ferme; il fallait marcher pour ne pas être contraint à une bataille, que le défaut de munitions nous empêchait de désirer; il fallait occuper un certain espace pour n'être pas tournés, et cela sans cavalerie qui éclairât et qui liât les colonnes. Cette difficulté, jointe à un froid excessif

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