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crifice. Regnault de Saint-Jean-d'Angely fut un de ceux qui insistèrent avec le plus de force pour le déterminer à s'immoler une fois encore sur l'autel de la patrie. Alors Napoléon, qui venait d'apprendre d'ailleurs que la Chambre des pairs s'était empressée d'imiter celle des représentants, se sentit vaincu en même temps par ses amis et ses ennemis, et se déclara résolu à abdiquer en faveur de son fils. Un seul homme dans le conseil combattit cette résolution, comme devant livrer de nouveau la France aux étrangers, et cet homme était le même qui avait combattu seul aussi l'établissement du gouvernement impérial. Carnot, quoique toujours dévoué à la cause de la liberté, ne pensait pas que l'on dût compromettre l'indépendance nationale, par excès de méfiance envers l'empereur, et il croyait que ce premier intérêt des nations serait mis en péril par l'éloignement du seul chef que l'armée et le peuple pussent ou voulussent suivre. Quand l'opinion contraire eut

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prévalu, il s'appuya sur une table, la tète dans ses deux mains,

qu'il

mouilla de ses larmes. Napoléon lui dit alors : « Je vous ai connu trop tard. » L'empereur rédigea ensuite la déclaration suivante :

<< Français ! en commençant la guerre pour soutenir l'indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés, et le concours de toutes les autorités nationales. J'étais fondé à en espérer le succès, et j'avais bravé toutes les déclarations des puissances contre moi. Les circonstances paraissent changées. Je m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils être sincères dans leurs déclarations, et n'en avoir jamais voulu qu'à ma personne! Ma vie politique est terminée, et je proclame mon fils, sous le titre de Napoléon II, empereur des Français. Les ministres actuels formeront provisoirement le conseil de gouvernement. L'intérêt que je porte à mon fils m'engage à inviter les Chambres à organiser, sans délai, la régence par une loi. Unissez-vous tous pour le salut public et pour rester une nation indépendante.

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Cette déclaration fut aussitôt portée aux deux Chambres. Les représentants, qui l'avaient provoquée, l'accueillirent avec transport. Mais ils ne prirent aucune détermination explicite à l'égard de Napoléon II, dont la légitimité fut vivement soutenue par quelques orateurs, entre autres par M. Bérenger, de la Drôme. La discussion qui s'établit sur ce point amena à la tribune un homme qui fit dire de lui, dès ce début, qu'il venait recueillir l'héritage de-Mirabeau : c'était Manuel.

La Chambre des représentants crut devoir envoyer une députation à Napoléon pour le féliciter sur sa seconde abdication.

« Je vous remercie, dit-il à ces députés, des sentiments que vous m'exprimez; je désire que mon abdication puisse faire le bonheur de la France, mais je ne l'espère point; elle laisse l'état sans chef, sans existence politique. Le temps perdu à renverser la monarchie aurait pu être employé à mettre la France en état d'écraser l'ennemi. Je recommande à la Chambre de renforcer promptement les armées; qui veut la paix doit se préparer à la guerre. Ne mettez pas cette grande nation à la merci des étrangers. Craignez d'être déçus dans vos espérances. C'est là qu'est le danger. Dans quelque position que je me trouve, je serai toujours bien si la France est heureuse. »>

Cependant les ennemis de la dynastie impériale triomphaient dans la Chambre des représentants; ils avaient écarté la proclamation de Napoléon II, et nommé une commission de cinq membres, pour former

un gouvernement provisoire, savoir: Fouché, Carnot, Grenier, Quinette et Caulaincourt. A cette nouvelle, Napoléon s'abandonna à son indignation:

« Je n'ai point abdiqué en faveur d'un nouveau directoire, s'écriat-il, j'ai abdiqué en faveur de mon fils. Si on ne le proclame point, mon abdication est nulle et non avenue. Les Chambres savent bien que le peuple, l'armée, l'opinion, le désirent, le veulent, mais l'étranger le retient. Ce n'est point en se présentant devant les alliés l'oreille basse et le genou en terre, qu'elles les forceront à reconnaître l'indépendance nationale. Si elles avaient eu le sentiment de leur position, elles auraient proclamé spontanément Napoléon II. Les étrangers auraient vu alors que vous saviez avoir une volonté, un but, un point de ralliement; ils auraient vu que le 20 mars n'était point une affaire de parti, un coup de factieux, mais le résultat de l'attachement des Français à ma personne et à ma dynastie. L'unanimité nationale aurait plus agi sur eux que toutes nos basses et honteuses déférences. >>

Cependant Paris renfermait dans son sein un grand nombre de patriotes qui pensaient, comme Carnot, qu'il fallait se préoccuper avant tout de la défense du pays, et que cette défense n'était guère possible, sans le bras, sans le génie, sans le nom de l'empereur. Les militaires partageaient et proclamaient hautement cette opinion. On criait de toutes parts: « Plus d'empereur, plus de soldats! » La foule, qui allait toujours croissant autour de l'Élysée-Bourbon, où Napoléon résidait, finit par donner de l'inquiétude aux Chambres et à Fouché, qui menait le gouvernement provisoire et négociait avec l'étranger. On craignait que l'abdication ne parût un jeu aux puissances alliées tant que l'empereur resterait à Paris. Carnot fut chargé de lui faire part des inquiétudes de ses collègues et de l'engager à s'éloigner de la capitale. Il se rendit dans ce but à l'Élysée, où il trouva Napoléon au bain et seul. Quand il lui eut exposé le sujet de sa visite, le potentat déchu parut supris des alarmes que sa présence excitait. « Je ne suis plus qu'un simple particulier, dit-il, je suis moins qu'un simple particulier. »

Toutefois, il promit de céder au vœu des Chambres et du gouvernement provisoire, et il se retira, le 25 juin, à la Malmaison, d'où il voulut encore adresser à l'armée une proclamation ainsi conçue :

« Soldats! quand je cède à la nécessité qui me force de m'éloigner de la brave armée française, j'emporte avec moi l'heureuse certitude

qu'elle justifiera par les services éminents que la patrie attend d'elle, les éloges que nos ennemis eux-mêmes ne peuvent pas lui refuser.

» Soldats! je suivrai vos pas, quoique absent. Je connais tous les corps, et aucun d'eux ne remportera un avantage signalé sur l'ennemi, que je ne rende hommage au courage qu'il aura déployé. Vous et moi nous avons été calomniés. Des hommes indignes d'apprécier vos travaux, ont vu, dans les marques d'attachement que vous m'avez données, un zèle dont j'étais le seul objet; que vos succès futurs leur apprennent que c'était la patrie par-dessus tout que vous serviez en m'obéissant; et que si j'ai quelque part à votre affection, je la dois à mon ardent amour pour la France, notre mère commune.

» Soldats, encore quelques efforts, et la coalition est dissoute. Napoléon vous reconnaitra aux coups que vous allez porter.

» Sauvez l'honneur, l'indépendance des Français; soyez jusqu'à la fin tels que je vous ai connus depuis vingt ans, et vous serez invincibles. >> A la Malmaison, Napoléon était encore trop voisin de Paris pour ne pas donner de l'ombrage à ses ennemis. Fouché appréhendait toujours quelques nouvelles résolutions de sa part; aussi le fit-il garder réellement à vue par le général Becker, sous prétexte de veiller à sa sûreté. Le 27 juin, sur le bruit de l'approche des alliés, dont une manœuvre imprudente lui paraissait offrir d'ailleurs l'occasion de les battre complétement, il écrivit au gouvernement provisoire pour se mettre à sa disposition comme soldat :

«< En abdiquant le pouvoir, dit-il, je n'ai pas renoncé au plus noble droit de citoyen, au droit de défendre mon pays.

» L'approche des ennemis de la capitale ne laisse plus de doutes sur leurs intentions, sur leur mauvaise foi.

» Dans ces graves circonstances, j'offre mes services comme général, me regardant comme le premier soldat de la patrie. »

Ceux qui avaient exigé l'abdication de l'empereur ne pouvaient guère replacer à la tête de l'armée le grand capitaine qu'ils avaient fait descendre du trône. Ils savaient bien qu'un soldat tel que lui n'avait d'autre rang que celui de généralissime, et que l'accepter pour auxiliaire. c'était le reprendre pour maître. Ils refusèrent donc, et leur réponse causa la plus vive irritation à Napoléon. Il parla de se remettre à la tête de l'armée et de tenter un coup d'état, une répétition du 48 brumaire. Mais le duc de Bassano l'en dissuada, en lui faisant comprendre que

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HISTOIRE DE NAPOLÉON.

les circonstances n'étaient plus les mêmes qu'en l'an vIII. Obligé de céder, il quitta la Malmaison, et partit pour Rochefort, dans l'intention de passer aux États-Unis d'Amérique.

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