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« Et vous, Français, que l'on voudrait égarer, soyez sensibles à ce spectacle touchant. Nos défenseurs auraient-ils en vain triomphé? Voudriez-vous que les divisions et les troubles détruisissent tout le fruit de leurs exploits? Ils vous convient, par ma voix, d'abjurer aujourd'hui vos haines; c'est pour tous que leur sang a coulé: : ne vous montrez point ingrats, au jour de la reconnaissance. »

Après le discours du président du directoire, les troupes, qui avaient été distribuées en quatorze corps représentant les quatorze armées, ont envoyé des députations, au milieu desquelles on voyait de braves défenseurs de la patrie, couveris des blessures qu'ils ont reçues en servant la république. Rien n'était plus majestueux et plus attendrissant, tout ensemble que ce spectacle; on voyait monter, en même temps, par les deux rampes latérales du tertre, deux rangées de ces vigoureux athlètes de la liberté, de ces braves grenadiers qui ont si souvent porté le désordre et la mort au centre des bataillons ennemis, et, au milieu d'eux, ces honorables victimes de la guerre, dont les membres mutilés attestent le courage. Montées au haut du tertre et au pied de la statue de la Liberté, les députations y ont reçu, des mains du président du directoire, chacune un drapeau, et pendant cette distribution la musique a exécuté un hymne à la Victoire, paroles du citoyen Conpigny, musique du citoyen Gossec; et le Chant des victoires, paroles du citoyen Chénier, musique du citoyen Méhul.

Des salves continuelles d'artillerie ont accompagné cette distribution, et ont redoublé au moment où les drapeaux sont arrivés à chacun des détachemens qui représentaient les quatorze armées.

Bientôt un spectacle d'un autre enre, et non moins intéressant, a attiré toute l'attention. Les troupes qui garnissaient le champ de Mars se sont déployées dans cette vaste enceinte; et quittant le côté de la rivière pour passer du côté de l'École militaire, elles s'y sont formées en bataille,

et ont exécuté différentes évolutions avec une précision et un ordre qui ont rempli les spectateurs de joie et d'admiration; puis, se présentant en face de la statue de la I iberté, elles ont envoyé de nouveau vers le directoire exécutif leurs députations, leurs drapeaux et les blessés qui les avoient accompagnés. Les membres du directoire exécutif ont attaché des couronnes de chêne et de laurier aux drapeaux, et en ont placé sur la tête des militaires blessés. La musique, qui n'était interrompue que par les cris de vive la république, a exécuté pendant ce temps un second hymne à la Victoire, paroles du citoyen Flins, musique du citoyen Cherubini et le Chant martial, paroles du citoyen la Chabeaussière, musique du citoyen Gossec.

Une nouvelle décharge d'artillerie a annoncé que le couronnement des drapeaux et des blessés était fini; les armées se sont reformées en bataille.

Le conservatoire de musique a exécuté le chant lyricobachique du citoyen Lebrun, musique du citoyen Catel, et le chœur général, des mêmes auteurs.

Une salve générale a terminé la cérémonie, et a annoncé le départ du directoire, qui, précédé du même cortège qu'à son arrivée, est retourné à la maison du champ de Mars.

Aussitôt des orchestres nombreux se sont fait entendre; les danses ont commencé, et ont continué, sans interruption, le reste de la journée.

Tandis que ces chants retentissaient sur les bords de la Seine, Buonaparte, fidèle à son plan d'activité, disposait l'attaque du château de Milan, s'apprêtait à poursuivre les restes de l'armée autrichienne, méditait l'attaque des états de Rome et de Naples, et s'adressait à ses frères d'armes, le premier prairial, par ce discours, publié en forme de proclamation: May 20

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« Vous vous êtes précipités, comme un torrent, du haut de l'Apennin; vous avez culbuté, dispersé tout ce qui s'opposait à votre marche.

« Le Piémont, délivré de la tyrannie autrichienne, s'est livé à ses sentimens naturels de paix et d'amitié pour la France.

<< Milan est à vous, et le pavillon républicain flotte dans toute la Lombardie. Les ducs de Parme et de Modène ne doivent leur existence politique qu'à votre générosité.

"

L'armée qui vous menaçait avec tant d'orgueil, ne trouve plus de barrière qui la rassure contre votre courage : le Pô, le Tesin, l'Adda, n'ont pu vous arrêter un seul jour; ces boulevards vantés de l'Italie ont été insuffisans: vous les avez franchis aussi rapidement que l'Apennin.

« Tant de succès ont porté la joie dans le sein de la patrie : vos représentans ont ordonné une fête dédiée à vos victoires, célébrée dans toutes les communes de la république. Là, vos pères, vos mères, vos épouses, vos sœurs, vos amantes, se réjouissent de vos succès, et se vantent avec orgueil de vous appartenir.

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‹Qui, soldats, vous avez beaucoup fait.... Mais ne vous reste-t-il plus rien à faire ?.... Dira-t-on de nous que nous avons su vaincre, mais que nous n'avons pas' su profiter de la victoire? La postérité nous reprochera-t-elle d'avoir trouvé Capoue dans la Lombardie?....... Mais je vous vois déja courir aux armes; un lâche repos vous fatigue; les journées perdues pour la gloire le sont pour votre bonheur.... Hé bien! partons, nous avons encore des marches forcées à faire, des ennemis à soumettre, des lauriers à cueillir, des injures à venger.

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Que ceux qui ont aiguisé les poignards de la guerre civile en France, qui ont lâchement assassiné nos ministres, incendié nos vaisseaux à Toulon, tremblent.... l'heure de la vengeance a sonné.

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sommes amis de tous les peuples, et plus particulièrement des descendans des Brutus, des Scipion, et des grands hommes que nous avons pris pour modèles.

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Rétablir le Capitole, y placer avec honneur les statues des héros qui le rendirent célèbre; réveiller le peuple romain, engourdi par plusieurs siècles d'esclavage : tel sera le fruit de vos victoires; elles feront époque dans la postérité; vous aurez la gloire immortelle de changer la face de la plus belle partie de l'Europe.

"

Le peuple français, libre, respecté du monde entier, donnera à l'Europe une paix glorieuse, qui l'indemnisera des sacrifices de toute espèce qu'il a faits depuis six ans ; vous rentrerez alors dans vos foyers, et vos concitoyens diront en vous montrant: Il était de l'armée d'Italie.... »

Déja l'une de ses colonnes, en s'approchant de Modène, avait fait prendre la fuite au souverain de ce pays, dont l'unique héritière, ayant épousé l'archiduc gouverneur de Milan, oncle de l'empereur François 11, et frère des deux derniers empereurs, devait porter ces pays dans le domaine de la maison d'Autriche. Cet Hercule 111, duc de Modène, aussi peu digne de son nom de baptême que de celui de sa famille, de ce nom d'Est que d'autres avaient illustré, s'était retiré à Venise, où il s'était fait accompagner par une cassette de vingt-trois millions en sequins, qu'il regardait comme une suffisante indemnité de la perte de sa couronne. Connu par les traits de l'avarice la plus sordide, il avait, outre cette somme, placé ailleurs, et avant ce temps, une vingtaine de millions. C'était au reste le seul vice qu'on reprochât à ce prince, et le seul mal qu'il fit à son pays, qu'il gouvernait du reste avec beaucoup de douceur mais le mal était grand; car il est difficile de ne pas ruiner le territoire qu'il possédait, tout excellent qu'il est, en enlevant à la circulation un si prodigieux capital. Prévoyant que les Français exigeraient des contributions, il constitua pendant son absence une régence pour gou

verner ses états, et ne lui laissa pas trente mille livres pour faire face aux circonstances critiques qui les menaçaient. Le manifeste qu'il rendit public le lendemain de son départ, annonçait à ses chers et fidèles sujets que dans la crise présente il avait cru devoir imiter la conduite de son aïeul, de glorieuse mémoire, lequel, menacé comme lui, s'était retiré pendant la tourmente, et leur était revenu après l'orage dissipé. De son asyle de Venise il avait député au général Buonaparte son frère, bâtard et fils d'une Française, ancienne danseuse de l'opéra, le seigneur Frédéric, commandeur d'Est.

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Ce ministre avait obtenu du général le traité suivant. Conditions de l'armistice conclu entre le général en chef de l'armée d'Italie et M. Frédéric, commandeur d'Est, plénipotentiaire de M. le duc de Modène.

« Le général en chef de l'armée d'Italie accorde au duc de Modène un armistice pour lui donner le temps d'envoyer à Paris, à l'effet d'obtenir du directoire exécutif la paix définitive, aux conditions ci-après, auxquelles se soumet et promet de remplir, M Frédéric, commandeur d'Est, plénipotentiaire de M. le duc de Modène; savoir:

« 1°. Le duc de Modène paiera à la république française la somme de sept millions cinq cent mille livres, monnaie de France, dont trois millions seront versés sur-le-champ dans la caisse du payeur de l'armée; deux millions dans le délai de quinze jours, entre les mains de M. Balbi, banquier de la république à Gênes; et deux millions cinq cent mille livres entre les mains du même banquier à Gênes, dans le délai d'un mois.

« 2°. Le duc de Modène fournira en outre deux millions cinq cent mille livres en denrées, poudre, ou autres munitions de guerre, que le général en chef désignera, ainsi que les époques et les points sur lesquels les versemens des denrées devront se faire.

« 3°. Le duc de Modène sera tenu de livrer vingt tableaux,

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