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défendre l'Italie de l'avidité d'une troupe condamnée depuis deux ans aux plus difficiles privations sur les stériles rochers de la rivière de Gênes.

La France avait besoin d'un autre César, et elle le trouva dans un jeune officier d'artillerie de vingt-huit ans. Le directoire de la république française nomma au commandement en chef de l'armée d'Italie le général BUONAPARTE. On avait pu reconnaître un grand talent militaire dans les dispositions qu'il avait conseillées et exécutées pour la reprise de Toulon sur les Anglais réunis aux Espagnols, et depuis il avait rendu de nouveaux services à la constitution de l'an 3.

La force de l'armée d'Italie n'excédait pas alors 56,000 hommes, et ses moyens en vivres et en transports étaient presque nuls. Un homme ordinaire aurait pu s'étonner, et se regarder comme paralysé : Buonaparte ne vit dans ce qui lui manquait que le besoin d'agir sans retard, et celui des succès. « Si nous sommes vaincus, disait-il, j'aurai trop; vainqueurs, nous n'avons besoin de rien. »

"

Les Autrichiens et les Piémontais occupaient tous les débouchés et toutes les hauteurs des Alpes qui dominent lą rivière de Gênes. Les Français avaient leur droite appuyée sur Savone, leur gauche vers Montenotte, et deux demibrigades, les 70 et 99°, fort en avant de leur droite, à Voltri, à six lieues de Savone et trois de Gênes.

Les Génois, inquiets de ce voisinage, en même temps qu'ils pourvoyaient à la défense de leur ville du côté de Voltri, laissaient tranquillement passer à Novi, à Gavi, à la Bochetta, sous le canon de postes presqu'inexpugnables, les troupes de Beaulieu, et se contentaient de vaines protestations contre la violation qu'ils trouvaient bon qu'il fît de leur territoire.

BATAILLE DE MONTENOTTE.

APRES quelques jours de mouvemens destinés à faire prendre le change aux Français, Beaulieu fit attaquer par dix mille hommes, le 20 germinal de l'an 4, le poste de Voltri. Le général Cervoni, avec les trois mille hommes qu'il y commandait, s'y défendit avec l'intrépidité ordinaire des soldats de la liberté, et exécuta durant la nuit, avec le plus grand ordre et à l'insu de l'ennemi, une retraite sur la Madone de Savona, que Buonaparte avait ordonnée et protégée par 1,500 hommes placés à cet effet sur les avenues de Sospello et les hauteurs de Varraggio.

Le 21, dès quatre heures du matin, Beaulieu, à la tête de quinze mille hommes, attaqua et culbuta toutes les positions sur lesquelles s'appuyait le centre des Français, et parut, à une heure après-midi, devant la redoute de Montenotte, le dernier de leurs retranchemens.

Malgré diverses charges répétées, cette redoute tint ferme et arrêta l'ennemi. Le chef de brigade Rampon, qui y commandait quinze cents hommes, par un de ces élans qui caractérisent une ame forte et formée pour les grandes actions, leur fit, au milieu du feu, prêter le serment de mourir tous dans la redoute, et y contint, la nuit entière, les ennemis à la portée du pistolet.

Pendant la nuit, le général Laharpe, avec toutes les troupes de la droite, prit poste derrière cette redoute si vaillamment défendue; et Buonaparte, suivi des généraux Berthier, Massena, et du commissaire Salicetti, porta les troupes de son centre et de sa gauche, à une heure après-minuit, en passant par Altare, sur le flanc et les derrières, des Autrichiens. Cette manoeuvre devait préparer la victoire et la décider.

Le 22, à la pointe du jour, Beaulieu, qui avait reçu des renforts, et Laharpe, s'attaquaient et se chargeaient avec

vigueur et différens succès, lorsque Massena parut en semant la mort et l'épouvante sur le flanc et les derrières des AustroSardes, où commandait le général Argenteau.

Bientôt les généraux ennemis Roccavina et Argenteau, grièvement blessés, augmentent le désordre, et la déroute devient complète. Quinze cents morts, deux mille cinq cents prisonniers, dont soixante officiers, et plusieurs drapeaux, signalent cette journée. Les Autrichiens sont poursuivis, et les Français s'emparent de Carcare, où ils arrivent le 23, ainsi que de Cairo, que l'ennemi est contraint d'abandonner.

S'il était rare autrefois qu'une bataille excédât les limites d'une journée, il ne l'était pas moins qu'une campagne ne fût, pour ainsi dire, qu'une suite de batailles journalières et continuelles. Cette tactique nouvelle parait appartenir plus spécialement au général Buonaparte, qui semble n'avoir au cun goût pour les demi-succès, et vouloir achever entièrement les défaites qu'il a commencées. Cet art d'abréger la guerre forcera ses ennemis de lui opposer dans une seule campagne de nouvelles armées à la place de celles qu'il aura détruites.

La bataille de Montenotte ne pouvait être décisive pour la campagne Beaulieu, quoique battu, restait encore le maître de donner par sa droite la main à la gauche de l'armée austro-sarde. Le trait d'habileté était de diviser ces deux armées, et de tenir l'une en échec tandis qu'on battrait l'autre. Ce grand danger devant être facilement apperçu de toutes les deux, rendait cette opération plus difficile, et la gloire d'y réussir d'autant plus grande qu'elle serait l'ouvrage d'une armée très-inférieure en nombre. Le temps était précieux, et Bonaparte le savait aussi, en portant le 23 son quartier-genéral à Carcare, ordonna-t-il - 12 au général Laharpe de marcher sur Sozello, pour menacer d'y enlever les huit bataillons qu'y tenait l'ennemi, et de se porter le lendemain, par une marche rapide et cachée, dans la ville de Cairo; et au général Massena de se porter

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sur les hauteurs de Dego, tandis que les généraux Menard et Joubert occuperaient, l'un les sommités de Biestro, et l'autre l'intéressante position de Sainte-Marguerite. Ce mouvement, à la suite des combats de Montenotte, plaçait son armée au-delà de la crête des Alpes, et sur les pendans qui versent en Italie. C'était sans doute beaucoup d'avoir en si peu de jours escaladé tous ceux qui versent sur la Méditerranée.

On pouvait regarder le passage des Alpes comme à peu près franchi, et il était presque sans exemple qu'il l'eût été si rapidement. Mais laissons-le parler lui-même, et nous décrire l'importante et glorieuse

BATAILLE

DE

MILLES 1 MO.

« LE 24, à la pointe du jour, le général Augereau, avec sa division, força les gorges de Millesimo, dans le temps que les généraux Menard et Joubert chassèrent l'ennemi de toutes les positions environnantes, enveloppèrent, par une manœuvre prompte et hardie, un corps de quinze cents grenadiers autrichiens, à la tête desquels se trouvait le lieutenant-général Provera, chevalier de l'ordre de MarieThérèse, qui, loin de poser les armes et se rendre prisonnier de guerre, se retira sur le sommet de la montagne de Cossaria, et se retrancha dans les ruines d'un vieux château, extrêmement fort par sa position.

« Le général Augereau fit avancer son artillerie; l'on se canonna pendant plusieurs heures. A onze heures du matin, ennuyé de voir ma marche arrêtée par une poignée d'hommes, je fis sommer le général Provera de se rendre. Le général Provera demanda à me parler; mais une canonnade vive, qui s'engagea vers ma droite, m'obligea à m'y transporter. Il parlementa avec le général Augereau pendant plusieurs heures; mais, les conditions qu'il voulait n'étant pas raisonnables, et la nuit approchant, le général Augereau fit former quatre colonnes, et marcha sur le château de Cos

7 le

saria. Déja l'intrépide général Joubert, grenadier pour courage, et bon général par ses connaissances et ses talens militaires, avait passé avec sept hommes dans les retranchemens ennemis; mais, frappé à la tête, il fut renversé par terre ses soldats le crurent mort, et le mouvement de sa colonne se ralentit. Sa blessure n'est pas dangereuse.

"La seconde colonne, commandée par le général Banel, marchait avec un silence morne et armes sur le bras, lorsque ce brave général fut tué au pied des retranchemens ennemis.

"La troisième colonne, commandée par l'adjudant-général Quenin, fut également déconcertée dans sa marche, une balle ayant tué cet officier-général. Toute l'armée a vivement regretté la perte de ces deux braves officiers.

« La nuit, qui arriva sur ces entrefaites, me fit craindre que l'ennemi ne cherchât à se faire jour l'épée à la main. Je fis réunir tous les bataillons, et je fis faire des épaulemens en tonneaux et des batteries d'obusiers à demi-portée de fusil.

"

« Le 25, à la pointe du jour, l'armée sarde et autrichienne et l'armée française se trouvèrent en présence. Ma gauche, commandée par le général Augereau, tenait bloqué le général Provera. Plusieurs régimens ennemis, où se trouvait entre autres le régiment Belgiojoso, essayèrent de percer mon centre le général de brigade Menard les repoussa vivement. Je lui ordonnai aussitôt de se replier sur ma droite; et avant une heure après-midi le général Massena déborda la gauche de l'ennemi, qui occupait, avee de forts retranchemens et de vigoureuses batteries, le village de Dego. Nous poussâmes nos troupes légères jusqu'au chemin de Dego à Spino. Le général Laharpe marcha avec sa division sur trois colonnes serrées en masse: celle de gauche, cómmandée par le général Causse, passa la Bormida sous le feu de l'ennemi, ayant de l'eau jusqu'au milieu du corps, et attaqua l'aile gauche de l'ennemi par la droite; le général Cervoni, à la tête de la seconde colonne, traversa aussi la

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