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toujours céder; à ne pas croire pouvoir obtenir par des pleurs ou par des importunités ce qu'on lui avoit doucement fait sentir qu'il seroit mal ou dangereux de lui accorder; à employer utilement cette ardeur pour le mouvement, l'action, le travail même, qu'on remarque dans presque tous les enfants; à craindre plus le remords que les réprimandes; à écouter enfin, à consulter souvent la raison et la conscience. Et les enfants en ont bien plutôt qu'on ne pense : comme ils se cachent pour faire le mal! comme ils s'irritent! comme ils voudroient punir celui qu'ils voient faire aux autres!

Qu'il est important, et qu'il est rare cependant de profiter dans ce premier âge des principes de droi ture, des sentiments d'honnêteté, que Dieu lui-même á gravés dans nos ames! Qu'il seroit alors facile d'écarter de nous tout ce qui pourroit les altérer ou les étouffer ! Mais sans songer à plier, à redresser, à cultiver ces tendres plantes, on les laisse errer et croître presque au hasard: ou l'on applaudit à tout ce que font les enfants, ou l'on s'en fâche; on ne sait ni les avertir, ni les corriger, ni les supporter; par trop de mollesse ou par trop de rigueur, on les néglige ou on les rebute; et parcequ'on les croit sans raison, on se croit aussi dispensé d'avoir avec eux une marche suivie et raisonnée.

Mais nous ne faisons pas un traité d'éducation; contentons-nous donc d'observer que c'est à la conduite sage, à la vigilance éclairée de ses respectables parents, que M. de Fénélon dut, après Dieu, cette innocence de mœurs, cette douceur de caractere, cette solidité de principes, qui en firent un des hommès les plus aimables et les plus vertueux.

Dès l'âge de six ans il donna une preuve bien sen sible de la générosité qu'enseigne et qu'inspire la re ligion. Quoique le marquis et la marquise de Fénělon le perdissent rarement de vue, on le confioit cependant quelquefois à un domestique pour le mener à la promenade. Un jour qu'il prenoit l'air aux environs du château, il échappa à ce valet quelques propos qui manquoient de justesse; le jeune enfant, qui en avoit beaucoup, s'en apperçut, et crut pouvoir les relever le domestique, fier de la confiance qu'on lui marquoit, crut que c'étoit y manquer que de trouver qu'il raisonnoit de travers ; il insista, il voulut prouver ce qu'il avoit avancé ; l'enfant lui fit sentir paisiblement qu'il ne savoit ce qu'il disoit, et, désespérant enfin de le convaincre, le laissa parler sans rien répondre. Ce silence sage fut pris pour une nouvelle insulte; on ajouta au tort de mal raisonner celui de se conduire sans modération : l'enfant, saisi par le bras, fut jetté par terre, et se fit beaucoup de

mal en tombant; il se releva avec peine, retourna au château, ne dit rien de cette aventure, et laissa croire qu'il avoit fait une de ces chûtes dont on ne garantit pas toujours les enfants les mieux surveillés.

Nous ne citons cet exemple de l'empire qu'il avoit déja sur lui-même, et du sacrifice qu'il fit de sa vengeance dans un âge où on la trouve toujours naturelle, et dans une circonstance où elle pouvoit paroître juste, que pour montrer combien il est utile d'accoutumer les enfants à essayer leurs forces contre eux-mêmes, contre leurs passions.

Il faut avec eux plus d'actions que de préceptes, et moins leur dire que leur montrer ce qu'ils doivent faire : la pratique fait perdre à la morale presque toute son aspérité, et l'on trouve à remplir son devoir une douceur qui dédommage bien de la peine et des soins qu'il exige.

Le jeune Fénélon n'envisageoit dès lors la vertu que sous des traits aimables, et il faisoit pour elle les efforts qu'on ne nous dit que trop, et trop tôt, qu'il faut faire pour la fortune et pour la gloire.

Il savoit déja rentrer en lui-même, étudier, interroger son propre cœur, examiner ses actions, démêler leur motif; il savoit sur-tout s'adresser au Dieu de toute lumiere et de toute puissance, et lui demander avec simplicité et avec confiance la connoissance, l'a

mour de sa loi, ainsi que les secours dont nous avons tant besoin pour l'accomplir: ce n'étoit cependant pas une de ces petites merveilles devant lesquelles on s'extasie, dont on n'a exercé que la mémoire, å qui l'on a moins appris à bien agir qu'à bien parler,' et dont on ne tire rien qu'à force de caresses ou d'éloges.

L'enfant dont nous parlons, ingénu et bon, ne cherchoit à plaire que par sa modestie et sa docilité: content quand il n'avoit pas mérité de reproches, il ne couroit pas après les applaudissements, et se portoit sans contrainte et sans dégoût à tout ce qui étoit de son âge, au jeu quand on le lui permettoit, et au travail quand on l'ordonnoit.

Le moment vint de penser plus sérieusement à la culture de son esprit. Sa santé étoit trop foible, et il étoit trop chéri peut-être pour qu'on se déterminât à l'éloigner sitôt de la maison paternelle : on lui chercha donc un instituteur assez patient pour ne pas se rebuter des soins constants et suivis que demande une éducation particuliere, et assez instruit pour suppléer lui seul à la variété des secours qu'on trouve dans l'éducation publique; la providence en ménagea un digne d'un tel éleve. Le nom du précepteur de Fénélon méritoit plus sans doute de passer à la postérité que celui des précepteurs des Alexandre et de

tant d'autres conquérants qui ont toujours été les fléaux et jamais les bienfaiteurs du genre humain; mais quelques recherches que nous ayons faites, nous n'avons pu le découvrir : tout ce que nous én savons, c'est qu'il avoit de la religion, des mœurs, une tête bien faite, un cœur sensible, indulgent, une grande connoissance de l'antiquité et des modeles de goût qu'elle nous a laissés. Nous ne nous appesantirons pas sur le détail des soins qu'il donna à son éleve; il trouva dans lui les dispositions les plus rares, et il les cultiva avec une intelligence non commune.

Il prit des méthodes usitées ce qu'elles ont de bon, il y ajouta de lui-même et de son propre fonds ce qui pouvoit en assurer le succès; il mettoit de l'ordre, de la netteté, de l'aménité dans ses leçons, et se gardoit bien de faire un épouvantail de l'étude, de la vérité, du devoir. Quand vous ne faites rien, disoitil quelquefois à son éleve, ou que vous ne cherchez qu'à vous amuser, êtes-vous long-temps content de vous? ne craignez-vous point l'ennui que vous voyez s'avancer à grands pas? ne sentez-vous pas un fonds d'inquiétude, qui vous trouble et vous embarrasse? L'homme a sans doute besoin de délassement, et je ne vous en refuserai jamais quand vous m'en demanderez; mais la dissipation, mais l'oisiveté fatiguent à la longue bien plus que le travail, et entraînent pres

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