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disait alors la Poste du Nord1, a l'avantage inappréciable de faire parvenir toutes les vérités au pied du trône; elle ne saurait déplaire qu'à ceux qui voudraient isoler le prince de son peuple, et

ces hommes ne sauraient être écoutés sous le règne d'Alexandre. »

Ainsi, le gouvernement russe, dans sa plus haute personnification, paraissait subir l'influence des idées constitutionnelles, et voir sans répugnance le progrès et l'application des théories libérales qui, en Angleterre et en France, réglaient les rapports réciproques des souverains et des peuples. D'un autre côté, les nombreuses sociétés secrètes, maçonniques ou autres, qui existaient en Russie depuis le commencement du siècle, et jusqu'alors n'avaient abordé aucun sujet de politique sérieuse, associations frivoles auxquelles il était de bon goût de ne pas demeurer étranger, avaient pris soudainement des allures plus graves et presque mystérieuses qui tendaient bien évidemment vers un but politique et affichaient une ressemblance lointaine avec celles des sociétés de l'Allemagne, particulièrement de la célèbre Société de la Vertu (Tugend Bund).

Y avait-il, dans ce dernier fait, quelque chose qui pût inspirer au gouvernement des craintes

1. Dans son numéro du 4 octobre 1816.

sérieusement fondées? L'esprit public subissait-il quelque transformation dangereuse, et la tempête grondait-elle au fond de ces conciliabules jadis inoffensifs, mais absorbés maintenant dans les préoccupations d'une politique peut-être agressive? En consultant l'histoire et les moeurs de la nation ruisse, on se fût aisément rassuré sur les conséquences possibles de ce nouvel état de choses.

En dehors des révolutions de cour qui n'avaient qu'un palais pour théâtre et que des boyards pour acteurs, en dehors de la révolte partielle de quelques régiments contre des chefs accusés de dureté 1, il fallait remonter jusqu'à la tentative de rébellion dirigée par Pougatchef, en 1773, pour

trouver un mouvement ouvertement hostile à l'autorité gouvernementale; encore devait-on admettre ces circonstances particulières que Pougatchef, cosaque d'origine, avait pour auxiliaire l'esprit si hautement indépendant de ses compatriotes, alors peu soumis au gouvernement russe, et que, d'ailleurs, il avait dû se faire passer pour le souverain Pierre III, époux infortuné de la grande Catherine. La fin misérable de l'audacieux aventurier était, du reste, malgré ses succès mo

1. Telles, par exemple, que celle du régiment Séménof contre son colonel en 1820.

mentanés, une grande leçon historique 1. Jusque là, aucune rébellion n'avait eu de véritables, de profondes racines dans le pays. Pourquoi donc s'alarmer de quelques associations secrètes formées particulièrement par des hommes jeunes et dont l'ambition ne s'était pas encore dévoilée? Et cependant il y avait là un danger réel qui pour se produire ne devait même pas attendre la fin du règne de l'empereur Alexandre. Mais ce n'est point encore le moment d'aborder cette question redoutable que nous développerons plus tard dans tout son ensemble, avec tous ses détails.

L'empire russe avait alors besoin de toutes les ressources d'un commerce actif et intelligent pour améliorer sa position financière, singulièrement compromise par les charges nombreuses que lui avait imposées la dernière et terrible lutte contre Napoléon. La Russie est l'État le moins riche de l'Europe, en raison de son territoire et de sa population. En 1815, il possédait à peine 136,000,000 de roubles de revenus, c'est-à-dire à peine le tiers du revenu de la France. L'absence de numéraire s'y faisait sentir, malgré le produit de ses mines, et les assignations de banque, c'est-à-dire le papier-monnaie, en étaient au quart, quelquefois

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1. Il fut livré par les siens pour une somme de 100,000 roubles. Consulter au sujet des cosaques l'excellent livre de M. Schniztler, La Russie, la Pologne et la Finlande.

au cinquième de leur valeur nominale. L'empereur dut donc reporter sa plus sérieuse attention vers les finances de l'État. Une commission particulière avait été créée en 1810, pour le règlement et l'acquit de la dette publique; mais la guerre de 1812, qui avait réduit la Russie à contraun nouvel emprunt en Hollande, avait retardé les effets des opérations de cette commission. Un ukase rendu à Saint-Pétersbourg, le 16 avril 1817, ordonna que le trésor impérial mettrait, pour cette année, 30,000,000 de roubles à la disposition du comité chargé du paiement de sa dette et, qu'à dater de 1818, il serait annuellement affecté, au même objet, 30,000,000 des revenus des domaines de la couronne, jusqu'à l'extinction totale de la dette et à la réduction du papier courant, dans une proportion jugée convenable. Ce même ukase soumettait à la décision du comité d'amortissement, toutes les mesures à prendre pour des emprunts postérieurs et relatifs à l'extinction de la dette publique.

Le 7 mai 1817, il fut créé une banque impériale de commerce, dont 30,000,000 de roubles, appartenant aux capitaux de la couronne, allaient former les premiers fonds. Cette banque devait commencer ses opérations le 1er janvier 1818; elle avait le privilége de prendre les fonds en payant l'intérêt d'après les mêmes principes que celui

des emprunts de la banque, de transférer d'une personne à une autre, les dépôts qu'elle aurait reçus en marchandises, et d'escompter les effets à un taux réglé; les directeurs de cette banque devaient être choisis par moitié soit dans l'administration publique, soit parmi les négociants; l'empereur garantissait, sur sa parole impériale, l'intérêt des capitaux qui y seraient versés et l'inviolabilité des droits de toutes les personnes intéressées1. Ces mesures financières précédèrenț naturellement les modifications politiques arrêtées dans la pensée de l'empereur, les unes concernaient la Pologne, les autres la Russie elle-même.

II.

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RECON

--

L'EMPEREUR ALEXANDRE ET LA POLOGNE.
STITUTION DE CE ROYAUME. PREMIÈRE DIÈTE.
CONGRÈS D'AIX - LA - CHAPElle. POLITIQUE GÉNÉ-
REUSE D'ALEXANDRE A L'ÉGARD DE LA FRANCE.

Les revers successifs de Napoléon avaient per

1. Un compte soumis à l'empereur et publié le 5 juin suivant, établit la dette publique russe jusqu'au 1er janvier 1818, ainsi qu'il suit :

Dette étrangère (emprunt de Hollande) 99,600,000 florins; Dette intérieure :

Roubles en assignations de banque. 214,201,184 roub. 24 kop.

En argent....

En or....

3,544,852

18,520

91 1/2

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