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mit de s'avancer au cœur de l'Allemagne, tandis que des traités avec la Turquie et la Perse étendaient sa domination en Orient. Ce colosse du Nord auquel nous ne pensons pas qu'il soit donné, comme on l'a répété tant de fois, d'envahir un jour tout le vieux monde, mais qui semble, ainsi que nous l'avons dit nous-même ailleurs, se mouvoir constamment vers les régions méri– dionales, tendre instinctivement vers l'Orient, comme un immense serpent qui se déroule au soleil, avait, en quelques années, et grâce aux fautes de ses adversaires, plus obtenu pour sa grandeur et sa puissance que Pierre le Grand n'aurait pu le soupçonner, que Catherine II n'au rait osé le concevoir.

Rien de plus remarquable que la promptitude avec laquelle la Russie parvint à réparer ses pertes tout en développant ses forces. Moscou était sortie rapidement de ses ruines, plus belle, plus opulente que par le passé; Saint-Pétersbourg avait en peu de temps doublé sa population et agrandi son commerce; Odessa et Kasan rivalisaient déjà pour l'activité et l'industrie. La paix, une paix réparatrice et féconde, devait, on le conçoit, donner des facilités immenses à ces puissants efforts vers la civilisation et le progrès.

Aujourd'hui, lorsque l'attention des hommes politiques se porte vers ce vaste empire russe,

leur imagination s'étonne à bon droit de ses proportions immenses, de ses immenses ressources; l'espace qu'il tient sur la carte de l'Europe, tout en se prolongeant en Asie depuis la Finlande, cette intéressante contrée si longtemps destinée à servir de champ de bataille, et que, malgré d'importantes compensations, la Suède regrette toujours, jusqu'aux frontières de la Chine, jusqu'aux limites de la Perse et de l'Inde; sa configuration géographique qui, par un rare privilége, lui donne un accès naturel dans deux mers situées aux confins opposés de l'Europe; la singulière variété de son sol et le chiffre toujours croissant de sa population peuvent, en effet, fournir matière à de nombreuses réflexions sur ses destinées futures et soulever bien des questions de politique conjecturale.

Au centre, vaste plaine ombragée de temps en temps par des forêts de pins et de bouleaux, où la nature ne demande qu'à être plus habilement secondée pour produire d'avantageux résultats; au midi, terre puissamment fertile quoique soumise parfois à de dévorantes sécheresses, la Russie ne voit que dans ses latitudes les plus septentrionales la végétation s'étioler et disparaître complétement sous l'action continue de l'extrême rigueur du climat. Là, dans les solitudes hyperboréennes, les végétaux rampants, les mousses d'origine et

de nature diverses, apparaissent seuls aux rayons d'un pâle soleil, sous l'épaisse couche de neige qui les a si longtemps ensevelis. Les points situés au delà du cercle polaire arctique, les confins de la Sibérie, les steppes qui s'étendent des limites de l'Ukraine à celles de la Tartarie chinoise, sont également soumises à cette indigence végétale; et, malgré les tristes conditions de la vie humaine dans ces régions inhospitalières, partout l'homme s'y rencontre encore. Plus on avance vers le centre et le midi de l'empire, et plus la population s'accroît. Cette population est-elle relativement aussi nombreuse que dans les autres contrées de l'Europe? Il s'en faut de beaucoup. Peut-elle le devenir? Sans aucun doute, à notre avis, grâce à la qualité du sol de la majeure partie des provinces russes, sol que l'on croirait faussement moins fertile, moins productif que tout autre, parce qu'il est longtemps recouvert de neiges et de glaces. C'est, du reste, sur cette grande question que bien des calculs se sont établis, que bien des craintes se sont produites. Mais s'il ne faut rien dissimuler, il est également utile de ne rien exagérer. il est certain que la population russe qui, en 1815, était environ de quarante millions d'âmes, est aujourd'hui, c'est-à-dire après une paix européenne de trente-cinq années, faiblement troublées, quant à la mortalité, par les révolutions récentes, de

soixante-quatre millions d'habitants. Mais est-ce donc un motif de craindre outre mesure la puissance russe et de s'en faire un colossal fantôme?. Nous nous garderons bien de le dire: chaque peuple a son côté faible et porte en lui son infirmité secrète; la faiblesse de la Russie, c'est précisément cette extension immense qui en fait, pour ainsi dire, l'épouvantail de l'Occident.

En 1815, le mouvement des idées, le développement de l'esprit politique avaient suivi la marche progressive des institutions nationales. Chose assez singulière et très-digne de remarque, les idées libérales françaises s'étaient manifestées dans les divers corps d'armée qui avaient pris part aux dernières guerres de l'Empire. Un séjour prolongé en Allemagne et en France depuis la fin de 1812 jusqu'au commencement de 1817 avait facilité et préparé l'invasion d'un libéralisme plus ou moins avancé dans les rangs de la jeune noblesse, presque tout entière élevée par des précepteurs français 1. Cette éducation à la française,

1. On sait que l'impératrice Catherine II avait confié l'éducation des grands-ducs, ses petits-fils, à César Laharpe, né dans le pays de Vaud en 1754, mais qui avait des idées toutes françaises. César Laharpe s'était retiré à Genève avec le rang et le grade de général russe, et avait pris part à la révolution suisse de 1798. Il parvint, en 1814, à rendre le pays de Vaud indépendant du canton de Berne. La protection de son ancien élève, l'empereur Alexandre, facilita ce résultat qui avait été le rêve de toute sa vie.

devenue à Saint-Pétersbourg une nécessité élégante, était, on le comprend aisément, tout à fait voltairienne. Les théories de la révolution, qui bien réellement ont eu Voltaire pour parrain, mais que l'aristocrate Voltaire eût certainement reniées depuis, n'avaient pas encore reçu leur application sanglante. Après les horribles saturnales de 1793, elles n'étaient plus de mise à SaintPétersbourg; mais il en était resté un levain suffisant pour faire éclore et entretenir des idées de libéralisme constitutionnel que devait naturellement développer un long séjour chez un peuple auquel une constitution venait d'être octroyée.

L'empereur Alexandre lui-même semblait imbu des idées nouvelles et paraissait, dans le principe, vouloir afficher ses propensions libérales, ses tendances progressives. Il avait dit à Berlin, en 1813: « La marche de l'armée russe à travers l'Allemagne et jusqu'à Paris doit profiter à la Russie entière. Pour nous aussi va commencer une époque nouvelle dans l'histoire 1. » Et, confiants dans ces paroles souveraines, qui renfermaient tant de proles publicistes de Saint-Pétersbourg s'étaient empressés de les constater. « La liberté de la presse, protégée par notre auguste monarque,

messes,

Fragments

1. Voir le livre allemand du Dr Eylert intitulé : « historiques concernant la vie de Frédéric-Guillaume III. »>

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