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REVUE

DES

EAUX ET FORÊTS

III SERIE. TOME II

DE LA CIME AUX RACINES

Tout dernièrement je me promenais dans de belles coupes de futaie sur taillis, que je n'avais pas revues depuis trois ans. Les arbres de réserve, très nombreux et beaux, me parurent sensiblement plus gros que lors de mes précédentes et fréquentes visites, plus grands même ces chênes habillés d'une écorce grise et déjà vieille. Je fus d'autant plus touché de cette observation que, dans la même forêt, quelques jours auparavant, mais en d'autres coupes, au long des chemins dont je connaissais bien les arbres de bordure pour les avoir considérés mainte et mainte fois en attendant le lièvre timide, ceux-ci m'avaient paru figés dans leur écorce depuis trois ans et identiques à eux-mêmes, tels enfin que je les avais laissés fin 1894. Je fus donc très surpris, à ma seconde tournée, qui avait lieu dans les belles coupes nos 39 et 40 du bois communal de Morey, entre Langres et Vesoul, et je me demandais quelle peut être la cause du fait, si je n'ai pas été le jouet d'une illusion, si je n'ai pas la berlue, de bislucere, suivant Brachet.

Le sol formé par les marnes du lias est une terre forte et assez compacte; c'est là son défaut. La forêt, 'exploitée'jusqu'en 1882 en taillis sous futaie à la révolution de 25 ans, était autrefois pauvre en arbres de réserve; ces arbres, des chênes principalement, se trouvaient alors disséminés, épars, sur un taillis vigoureux de charme, blancs, chêne et divers, tandis que les coupes 39 et 40 ont été balivées en futaie sur taillis âgés

JANVIER 1898 (37° ANNÉE).

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de 29 ans, en 1884 et 1885. Ce prolongement de l'âge des taillis résulte d'un changement d'aménagement. On a fait 30 coupes au lieu de 25 et, en y ajoutant les 10 parcelles qui formaient l'ancien quart de réserve, on a obtenu 40 coupes égales, numérotées de 1 à 40, le quart en réserve ayant été mobilisé. Il y aurait bien quelque chose à dire sur ce dernier point, sed non est hic locus.

La coupe no 39 renferme de très beaux arbres, chênes gros et hêtres larges, dont je n'ai pas le nombre; c'est la fleur de la forêt.

Quant à la coupe n° 40, elle a gardé, par hectare, au dernier balivage en 1885 :

110 baliveaux de l'âge, dont 44 chênes,

67 modernes, dont 53 chênes,

II anciens chênes, de 140 à 160 de tour,

3 vieilles écorces, de 180 et plus.

Le volume de cette belle réserve était alors, approximativement, de 50 m. c. œuvre, par hectare en moyenne. Actuellement, fin 1897, sur taillis de 12 ans, elle occupe bien les trois quarts de l'espace et masque au sol et au recrû pareille étendue de la voûte du firmament. Les cimes. des arbres, au lieu de s'étaler largement, maintiennent seulement leur ampleur et se développent surtout par le haut; elles grandissent. Mais le taillis ne monte pas; il est clair et malingre, il végétaille, tandis que les arbres prospèrent. Le dernier fait ne serait-il pas la conséquence du premier, la vigueur des arbres étant en rapport avec la langueur du taillis? Et peut-on dire ailleurs encore sur taillis vigoureux, chênes, médiocres; sur taillis déprimé, chênes puissants?

Ce ne serait pas très étonnant. Un taillis vigoureux et plein dispute à l'arbre qu'il entoure l'eau et tous les principes assimilables du sol. Ses racines pénètrent et occupent toute la terre végétale, où elles font une forte concurrence à l'enracinement de l'arbre de réserve. La cime de celui-ci est libre, mais ses racines sont à la portion congrue. Sur un taillis faible, alangui et arrêté dans son développement par le couvert des cimes d'arbres nombreux, à condition seulement que celles-ci ne soient pas serrées entre elles, la situation relative des racines est toute contraire. Celles des arbres se développent victorieusement parmi les racines du taillis, réduites et presque inactives comme son feuillage. C'est du moins ainsi que je m'explique les apparences qui m'ont frappé.

Un inspecteur émérite et clairvoyant me disait un jour qu'à son avis l'état le plus favorable au développement du chêne est celui d'un sol nu, couvert uniquement par des arbres à l'état de clair-bois. C'est juste, à condition que le terrain soit cultivé, non pas tassé. Voyez ce qui a lieu

dans les vergers en sol compact ou superficiel; sans une culture assez souvent réitérée, les arbres languissent, puis dépérissent. Or, sous les chênes, qui ont le couvert léger et la feuille mauvaise, le sol reste dur et presque nu. A mon sens une aire battue est bien moins favorable à la végétation des arbres qu'un terrain maintenu couvert, meuble et frais, par un sous-bois à feuillage bas, surtout quand ce feuillage est celui d'essences fertilisantes comme charme et coudrier.

La vue des belles coupes de bois de Morey, la comparaison qu'elles offrent avec d'autres taillis moins riches ou pauvres en arbres dans la même forêt, le même canton, m'avaient mis en éveil; mais il fallait voir ailleurs. C'est ce que j'ai fait dans la mesure que comportaient mes jambes et les circonstances.

A la Basse de Corneux, près Gray, en sol d'alluvion très profond, meuble, frais et fertile, les arbres de réserve se touchent souvent en certaines parties des cimes et ne semblent pas en souffrir; celles-ci continuent à s'allonger grâce à la profondeur du sol. Il en a été de même des fûts dans les coupes contiguës, nos 6 et 8, avant la dernière exploitation du taillis, qui a eu lieu aux âges de 25 et 26 ans; le sousbois en est âgé actuellement de 8 et de 7 ans.

La coupe n° 6, qui a été balivée par M. Drevon, comprend par hectare: 50 baliveaux, dont 30 chênes, frênes et ormes,

43 modernes, moitié chênes, moitié frênes,

24 anciens, de om40 et plus, dont 17 chênes, 6 frênes et orme.

Le volume en bois d'oeuvre de cette réserve était de 47 m. cubes à l'hectare 1.

1.

Voici le balivage de la coupe no 6, qui comprend 3 h. 90 a., tel qu'il a été opéré, le 14 décembre 1888, et qu'il peut y avoir intérêt à en retrouver le détail au retour de l'exploitation :

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Ici encore, les gros arbres sont plus beaux et se montrent mieux soutenus sur les points où les cimes se touchent partiellement que là où elles sont tout à fait isolées. L'âge de ces coupes est cependant assez ingrat, l'ensemble des arbres ne s'offrant plus à la vue comme au lendemain de l'exploitation et le sous-bois qui s'élève, au moins par places, n'étant encore ni chair ni poisson, suivant l'expression vulgaire. Les plus vieilles coupes, dont le taillis âgé de 13 et 12 ans est arrivé à mirévolution étaient sous l'eau quand j'ai visité dernièrement la forêt avec deux amis; nous n'avons pas pu les voir. Leur visite sera pour l'an prochain; quatre ans après la dernière vue, la différence d'état apparaîtra mieux encore.

Au nord de ma résidence d'été se trouvent des bois portés par les sables du grès infraliasique reposant à une profondeur variable sur les marnes irisées; c'est le terrain du chêne des Partisans. Les arbres y sont élancés, mais d'une végétation simplement moyenne.

Dans le bois dit de la Salle, les coupes nos 2 à 8 de la commune de Molay offrent une futaie sur taillis âgé de 14 à 8 ans; la réserve est en très grande majorité formée de chênes modernes et, sur beaucoup de points, en massif. Évidemment ces jeunes arbres, dont la cime a besoin d'une expansion relativement assez forte, ont une végétation moins active que les modernes isolés. Cela se voit et on sent la gêne que leur occasionne le défaut d'espace. Ce défaut provient tant du massif même des chênes modernes que de baliveaux venant s'enchevêtrer avec eux et de quelques hêtres groupés par deux ou trois. Excellent ici le hêtre, mais par pieds isolés et en perches seulement, car il s'étale largement. Excellent aussi le charme, qui file en hauteur, mais un peu moins vite que le chêne. En tous cas la futaie sur taillis privée de chênes anciens manque de l'élément le meilleur et le plus nécessaire.

On voit ceci également dans la coupe no 23 du bois voisin, dit le Poix, à la commune de La Rochelle. Cette coupe, qui a été balivée en 1873, par mon brave ami Colnenne, alors inspecteur à Vesoul, a un taillis âgé de 24 ans et une futaie de jeunes chênes, tout voisins, mais isolés, et d'une végétation aussi belle que le terrain le comporte; c'est superbe. Il n'y avait pas mieux à faire dans une jeune forêt dénuée de gros arbres. Seulement, l'exploitation reviendra là dans un an, la révolution étant de 25 ans; on n'y trouvera que bien peu d'arbres disponibles et 'un taillis en plein développement. « Il faudrait n'exploiter qu'à 30 ans, » me disait un jeune homme du pays. Il parlait d'or, et c'est plaisir de constater la diffusion de l'idée, qui aurait paru étrange ici dans la première moitié du siècle.

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