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peu, fabriquer avec des planches, de la paille et quelques clous des ruches et tout un petit accessoire d'instruments faciles à confectionner; il s'y passionnera vite et y gagnera un peu plus d'aisance.

Quoi de plus intéressant d'ailleurs que la vie du rucher? L'abeille ouvrière, esclave du devoir, se partage le travail; l'une est nourrice, et son rôle unique consiste à distribuer la pâtée aux jeunes larves qui viennent d'éclore; avec une tendresse toute maternelle elle surveille et élève le couvain; l'autre est butineuse et va bien loin de la ruche, dans un rayon de deux à trois kilomètres, puiser et rapporter le nectar et le pollen des fleurs; l'autre, cirière, construit les rayons dont le double but est de conserver le miel et de servir de berceau à la jeune couvée.

Tout ce peuple est composé souvent de cinquante mille à quatre-vingt mille ouvrières; il vit autour d'une reine, appelée à plus juste titre mère, dont le rôle unique est de rester à l'intérieur de la ruche et de pondre les œufs; œufs d'ouvrières, les plus nombreux et les plus utiles, car en période d'été tout ce peuple vit, travaille, meurt et se renouvelle; œufs de femelles ou reines, qu'on soigne d'une façon toute spéciale pour parer aux deuils royaux; œufs de mâles qui, éclos dès les premiers beaux jours, bourdonnent sans cesse, fiers dans leur inutilité d'avoir pour rôle unique de féconder la jeune reine. Armés de mandibules impuissantes, les mâles ou faux bourdons se nourrissent dans la ruche des provisions de la colonie et ne butinent pas au dehors; aussi sont-ils chassés et massacrés en grand nombre par les ouvrières après l'essaimage ou à l'entrée de l'hiver quand les provisions deviennent rares. Ce sont des bouches inutiles, et il est amusant de voir à l'entrée de la ruche plusieurs ouvrières acharnées après un bourdon qu'elles jettent dehors; réduit à ses propres ressources, le faux bourdon essaie en vain de rentrer dans la ruche; il ne tarde pas à mourir de froid et de faim.

Nous n'insistons pas sur mille traits charmants. Ici des sentinelles en faction à l'entrée de la ruche se précipitent à l'envi sur tout ennemi de l'extérieur, abeille d'une autre ruche, papillon ou souris, et paient souvent de leur vie un si beau dévouement; à côté, d'autres ouvrières, immobiles, la tête contre l'entrée de la ruche, battent le rappel pour créer un courant d'air et ventiler leurs camarades; les travailleuses transportent hors de la ruche tous les débris qui peuvent la souiller, enlèvent les cadavres d'abeilles mortes, palpent leurs congénères à l'entrée pour voir s'il ne se glisse pas avec elles des pillardes du voisinage; tout est ordre, vie et travail dans cette société.

On les voit, ivres de chaleur

D'un vol traînant toutes se rendre

Au même tilleul et s'y pendre;

Elles tombent de fleur en fleur 1.

Puis, voici par une chaude matinée de printemps des milliers d'abeilles qui s'éloignent de la ruche; l'essaim tournoie dans l'air, le nuage s'épaissit et peu à peu se fixe en belle grappe sur une branche où il se laisse prendre sans résistance.

Plus d'un forestier a rencontré au cours de ses tournées l'essaim voyageur; souvent il s'est amusé à regarder la fermière et les enfants courir après l'essaim, et faire pour l'arrêter une musique infernale avec des marmites, des clochettes et la clef de la maison; tradition populaire, peu efficace d'ailleurs mais digne de respect 2.

Plus d'un garde est devenu ainsi apiculteur d'occasion, et c'est en récoltant le premier essaim égaré au hasard sur la lisière de la forêt qu'il a essayé de se créer un rucher; mais, vieux routinier comme le paysan son voisin, il suit les mêmes errements, et ne sait pas faire produire à la ruche le miel et la cire, tirer de ses abeilles un léger profit. C'est dommage, car, logée convenablement, l'abeille demanderait fort peu de temps et bien peu de soins pour donner en abondance un produit utile à la femme de ménage, précieux pour les enfants qui l'étaleront avec plaisir sur leur pain, bon pour guérir les rhumes dans une tisane de bourgeons de sapin, et généralement aussi facile à vendre au marché que le beurre et la volaille 3.

Et que faut-il pour cela? dépenser bien peu; savoir s'y prendre pour manier les abeilles sans se faire piquer, et se donner la peine de par

1.

2.

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Sully-Prudhomme.

-

La superstition du paysan entoure les abeilles d'une sorte de respect sacré. A la Chandeleur on porte un cierge au rucher et, quel que soit le temps, l'apiculteur réveille ses abeilles. On dit volontiers à la campagne : « Si le maitre de la maison meurt, il faut mettre un crêpe noir au rucher, sinon tout périt dans l'année. Qui vend ses abeilles a mauvais cœur et leur porte malheur ». La tradition est juste; c'est l'œil du maître qui est utile au rucher. Ailleurs on prétend que pour réussir en apiculture il faut trois conditions: « Acheter un essaim, en voler un, en trouver un. C'est mal dit, car, au fond, cela signifie qu'il faut des essaims de provenances diverses pour croiser les races, rendues ainsi plus rustiques.

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3. LL. Langstroth, traduit par Ch. Dadant (1891): « Tous les enfants, même dans nos centres manufacturiers, ont entendu parler du miel, mais combien peu en ont goûté ! Pourquoi ? C'est que le miel a longtemps été d'un prix trop élevé, plus élevé que celui du meilleur sucre. Aujourd'hui même le miel dans certains endroits, se vend à plus haut prix que le sucre; cependant il ne manque pas sur le marché; ce qui manque, c'est une bonne distribution. Au lieu de le vendre dans les villes, d'où il reviendra peut-être dans notre village après avoir passé par les mains des commerçants en gros, nous devons chercher à augmenter la consommation autour de nous; nous devons montrer à nos voisins, cultivateurs, ouvriers, que nos méthodes avancées nous mettent à même de leur fournir la plus douce des douceurs à un prix presque aussi bas que celui de la mélasse.»

courir un instant le livre d'apiculture de la bibliothèque forestière 1. On dit, il est vrai, que les abeilles sont méchantes et dangereuses; non! mais elles aiment la propreté, le calme, et veulent être maniées avec douceur et bonté. Ne blessons jamais une abeille, et la colonie nous fera rarement du mal. Par précaution, un apiculteur doit toujours être muni d'un masque et d'un enfumoir 2. Ce sont les deux seuls instruments nécessaires; le masque donne confiance aux craintifs; quelquefois, les jours de pillage par exemple, il est indispensable; quant à l'enfumoir, on ne doit jamais s'en passer; bien mettre une colonie en bruissement avant d'y toucher, c'est presque toujours s'assurer pendant l'opération le calme et l'impunité.

Ruche vulgaire. Le garde qui fait de l'apiculture possède, sauf exceptions, la vieille ruche du pays; c'est une enveloppe arrondie, étroite, souvent pointue vers le haut, parfois de forme basse, fabriquée soit avec de la paille, soit avec des branches flexibles, quelquefois une simple caisse de bois. Chaque ruche est recouverte d'un capuchon de paille qui la protège contre les intempéries et repose sur un bois ou une pierre. Le garde qui ne soigne ses ruches qu'à l'automne, à l'heure de la récolte, les laisse moisir peu à peu dans l'herbe et l'humidité. La colonie travaille. comme elle peut dans cet espace restreint, sans que l'on puisse voir s'il s'y passe quelque chose d'anormal, sans qu'on songe à regarder si la mère, cet élément indispensable de la colonie, n'est pas morte, si la teigne n'a pas envahi la ruche, si une épidémie quelconque ne la détruit peu à peu.

A l'automne, pour récolter le miel, le garde barbare creuse un trou en terre, y enflamme une mèche de soufre, et pose au-dessus son panier et ses abeilles; un peu de terre autour pour accélérer l'asphyxie et le meurtre est vite consommé; il casse et nettoie grossièrement les rayons de miel de la ruche, dans lesquels restent forcément du pollen, du couvain souvent moisi et décomposé, des débris d'abeilles mortes, presse le tout dans un linge, et le produit noirâtre qui s'en écoule, c'est du miel! miel de printemps, d'été et d'automne, miel de toutes fleurs mélangé d'une infinité d'impuretés. C'est noirâtre, peu appétissant, et le commerce n'en veut plus, maintenant que l'on récolte à différentes époques des miels clairs et transparents, miels de printemps (tilleul, colza, acacia, etc.), miels de prairies (trèfle, luzerne, sainfoin, vesce, etc.), miels foncés de

1.

Cours Complet d'apiculture de MM. de Layens et Bonnier (1897). — Conduite du rucher par E. D. Bertrand. - L'Abeile et la Ruche, L. L. Langstroth,

traduit et complété par Ch. Dadant.

2. A. Maigre, constructeur. Mâcon (S.-et-L). - Enfumoir 3 francs - Une bonne pipe remplace facilement l'enfumoir, mais est moins commode.

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sarrazin et de bruyère d'automne. Et ces produits, par les procédés nouveaux, peuvent sortir de la ruche tout prêts pour le commerce et absolument purs.

Telle est la première cause pour laquelle nos gardes qui font un peu d'apiculture ne peuvent en tirer quelque bénéfice, ni s'y intéresser.

Là seulement n'est pas le défaut de la ruche vulgaire. Le garde qui par hasard possède ainsi trois ou quatre ruches est obligé à l'automne d'étouffer la moitié ou le tiers de ses colonies; il prend naturellement les plus lourdes, c'est-à-dire celles qui ont bien travaillé, celles qui possèdent une mère féconde et de bonne race: c'est juste l'inverse d'une sélection intelligente, et nous ne craignons pas d'affirmer qu'avec ce système de ruche étroite, bien trop petite pour le développement des belles colonies, et cette destruction systématique des races travailleuses et fécondes, on atrophie peu à peu l'abeille du pays 1.

De plus, pour continuer à récolter du miel les années suivantes, le même garde est obligé de demander aux ruches qui lui restent des essaims coûte que coûte, et ces essaims affaiblissent les colonies d'où elles sortent; mauvaise opération à tous points de vue! car en apiculture on récolte bien plus avec peu de colonies fortes, vigoureuses et très peuplées, qu'avec un grand nombre de colonies faibles.

Il résulte d'un pareil système que jamais le rucher ne pourra s'accroître en capital abeilles; le garde reconstituera chaque année à peu près son nombre de ruches initial et, si un hiver trop mauvais vient rompre cet équilibre instable, il devra renoncer à l'apiculture faute d'abeilles ou s'en procurer ailleurs.

Nous connaissons un grand nombre de gardes qui ont ainsi abandonné l'apiculture, après avoir perdu en un hiver leurs dernières colonies.

Ruche à calotte (Voir Pl. II). -- Il est donc de toute nécessité de supprimer cette pratique détestable d'étouffage d'automne; pour cela rien de plus simple, et nos forestiers des Vosges pratiquent tous un autre système en construisant, soit en planches, soit en cordons de paille, des ruches formées de deux parties superposées; ce sont les ruches à calotte ou ruches vosgiennes.

La calotte ou capot est comme une seconde ruche, plus petite et plus basse, qui est superposée à la première, et qu'on peut récolter pleine de miel sans déranger le groupe d'abeilles; elle communique avec le corps

-

1. Dans les régions où la ruche vulgaire, petite et étroite, est encore employée sur une grande échelle, nous conseillons de faire venir de l'extérieur quelques ruches ou essaims (abeilles ordinaires, ou italiennes) pour régénérer un peu le sang, fût-ce seulement quelques reines fécondées.

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