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LE BRIGADIER CHEVRIER

Le 18 janvier dernier, toute la population de Cérilly (Allier) conduisait à leur dernière demeure les restes mortels du brigadier Chevrier. Pourtant durant sa longue carrière il n'avait pas été tendre aux délinquants de toutes sortes, il avait su faire respecter la loi et le domaine de l'État et l'on disait qu'à ce dûr métier il ne s'était guère fait d'amis. Mais à la dernière heure tous ont compris qu'un homme de bien venait de disparaître et tous sont venus pour en témoigner par leur présence et leur douloureuse émotion. Prévenu à temps j'eusse tenu à honneur d'aller aussi lui rendre les derniers devoirs. Au moins voudrais-je lui envoyer un dernier adieu en ce recueil où j'ai plus d'une fois parlé de lui.

Jean Chevrier était né à Gipey (Allier) le 23 août 1830. Son grand-père paternel, décédé en 1850, brigadier comme lui, avait déjà laissé dans le département une réputation d'honneur et d'intelligence forestière dont le temps n'a point encore effacé le souvenir. Chevrier fit ses sept années de service militaire; c'était alors la loi; il se retira simple caporal et entra dans l'Administration des forêts en qualité de garde à L'Hermitain, petite forêt des Deux-Sèvres; deux ans après, il revenait dans l'Allier à Dreuille, puis à Giverzat et, en février 1870, il était appelé en qualité de brigadier au pavillon de Tronçais. C'est là que j'appris à le connaître en 1881. Il avait trouvé sa voie et ne devait plus quitter ce poste jusqu'au jour où la retraite est venue le surprendre en pleine vigueur de corps et d'esprit, en septembre 1893.

Quand je suis arrivé à Montluçon, il était déjà brigadier de 1re classe et cette note se répétait sur sa feuille individuelle : « On ne peut que regretter de n'avoir plus aucun moyen de récompenser les services exceptionnels de ce préposé. » Heureusement on créa la médaille forestière et la re classe exceptionnelle. Pour l'une et l'autre il fut compris dans la re promotion, et je suis sûr que M. du Guiny pensait à lui quand il proposa de créer la médaille forestière. J'eus la bonne fortune de contribuer à lui faire décerner le Mérite agricole. Il était, si je ne me trompe, un des premiers brigadiers qui en fut décoré.

<«< Chevrier! disait M. Herpin, inspecteur à Montluçon, mais c'est la vivante incarnation de la forêt de Tronçais. » Il l'aimait passionnément cette forêt; il n'était pas un recoin de ses 10.000 hectares qu'il ne connût dans tous ses détails, pas un de ses arbres qui ne fût son ami particulier;

MARS 1898 (37 ANNÉE).

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et comme il savait trouver d'excellents arguments pour les défendre quand il lui semblait qu'on en voulait abattre un peu plus que le nécessaire!

Pourtant ce n'était point un lettré; il ne savait ni tourner une phrase élégante, ni faire un rapport un peu ordonné. Mais c'était l'homme pratique, l'homme d'expérience, à l'esprit juste et droit, au coup d'œil sûr, connaissant tout le passé de ses bois, en prévoyant l'avenir. Dans ses notes, tout était vrai. Ouvrier lui-même, il avait tôt fait, quand un bûcheron maladroit maniait de travers sa cognée, ou son pic, de lui enlever l'outil des mains et de lui montrer par quelques coups frappés au bon endroit comment il faut s'y prendre pour éviter ce qu'on a baptisé les coups de maître.

L'éclaircie, l'éclaircie des jeunes bois surtout, était une de ses passions. Il y excellait, et, comme il avait l'amour du chêne, il le cherchait et savait le trouver partout et le dégager de ses ennemis.

Il avait l'horreur du vide et quand il se fut aperçu que le pin sylvestre venait à peu près partout et se remplaçait spontanément par le chêne il s'embala si bien dans cette direction qu'il fallait presque l'arrêter.

Au printemps et à l'automne il ne sortait jamais sans avoir ses poches et son carnier bourrés de graines et de plants pour réparer les insuccès de ses repeuplements. « Dans dix ans, disait-il, nous n'aurons plus un hectare de clairs. » Et si, dans cette forêt que les anciennes descriptions représentent comme une immense clairière, les vieux chasseurs ne trouvent plus ces énormes vacants où ils avaient accoutumé de faire leurs meilleures rencontres, c'est à lui surtout l'État que en est redevable.

Il avait le feu sacré; aussi a-t-il fait école et c'est à lui que Tronçais. doit un personnel d'élite qui conservera longtemps, sinon toujours, ses saines traditions ; du moins j'ose l'espérer.

C'était le vrai brigadier forestier, le brigadier type, ni plus ni moins. Et n'est-ce pas tout en ce monde que de faire bien ce que l'on a mission de faire, sans empiéter sans cesse à droite et à gauche au détriment de la fonction véritable. Pour nous, Chevrier n'était pas un subordonné, mais un collaborateur, un camarade, un ami, l'homme de bon conseil, absolu ment sûr et dévoué, le bras droit du chef du cantonnement et le complétant, car il savait ce que nous ne savions pas. Malgré cette situation exceptionnelle, il sut toujours se tenir absolument à sa place, modeste et très hiérarchique, et c'est la caractéristique de sa valeur morale.

La vie, comme à beaucoup d'autres, ne lui fut pas toujours clémente; il en connut les misères, les déboires, les grandes douleurs; car il éleva une nombreuse famille. Mais c'était un sage et un brave. Il avait à sa porte la grande consolation, la vie active et laborieuse sous les

grands arbres de sa forêt; et quand il dirigeait ses coupes, ses ouvriers, ou ses gardes, quand il regardait pousser les pins qu'il avait semés dans les grands vides, ou qu'il respirait la saine odeur du merrain fraîchement fendu, il oubliait pour un instant ses chagrins. Mais le cœur n'y perdait rien; cet homme était un père dévoué et tendre.

Quand il nous accompagnait en forêt, il trouvait toujours que nous rentrions trop tôt; il y avait encore tant à voir. Et ce rêveur parlait volontiers de ce que serait tel peuplement dans 50 ou 60 ans. C'était un naïf; et n'est-ce pas avec ces hommes-là qu'on remporte des victoires? Retraité, il venait encore travailler avec nous, se plaignant de ce qu'on ne le convoquait pas assez souvent. C'est lui qui espérait qu'après la grande retraite, dans l'autre monde, le Bon Dieu lui ferait encore baliver quelques coupes dans les forêts du Paradis. A cet effet, il avait mis de côté sa tunique la plus neuve et recommandé à son fils de l'en revêtir avant de le coucher dans son cercueil.

Il avait une belle tête de vieillard, avec sa grande barbe blanche, son œil vif, sa physionomie toujours avenante et un peu timide, son corps rablé, sa démarche plus alerte à 65 ans que celle de bien des jeunes. Aucun de ceux qui ont vécu avec lui n'oubliera sa bonne figure, on sentait qu'il était quelqu'un.

Hélas! nous ne le reverrons plus et il me semble, à moi qu'il a promené pendant 14 ou 15 ans à l'ombre de ses merveilleuses futaies, que, si jamais je retournais là-bas, la forêt sans lui ne serait plus la forêt de Tronçais, sa vieille amie. Un rhume négligé a emporté ce corps vaillant qui avait résisté à tant de fatigues. Chevrier repose en paix non loin des vieux ombrages qu'il a tant aimés. Et dans un monde plus pur, au contact de l'immortelle beauté, son âme a retrouvé les plus saintes joies de la vie, pour n'en plus connaître ni les faiblesses ni les douleurs.

E. DESJOBERT.

ROBINIER ET SOPHORA

Le Robinier faux acacia est un bel arbre, d'un port gracieux, atteignant une hauteur moyenne de 15 mètres en France, 25 à 30 aux États-Unis.

Originaire de l'Amérique septentrionale, le robinier croît naturellement dans les forêts du Canada, de la Virginie, de la Caroline, etc.

Introduit en Europe par les frères Robin, il y a environ trois siècles, cet arbre est aujourd'hui fréquemment cultivé sous le nom vulgaire et impropre d'Acacia. Son beau et luxuriant feuillage, ainsi que ses nombreuses grappes de fleurs blanches et odorantes, le font rechercher pour la décoration des boulevards et des avenues; il produit aussi le plus charmant effet dans les parcs et les jardins publics.

Le bois du robinier est d'une belle couleur jaune plus ou moins foncée, relevée par de grandes et belles veines. ondoyantes d'un vert olive. Ses fibres sont longues et droites et son grain fin et serré permet de lui donner un beau poli. Lourd, compact, flexible, nerveux, très résistant, le robinier est inattaqué par les insectes, s'altère difficilement à l'air et se conserve presque indéfiniment dans la terre et dans l'eau. Comparé au chêne, il est aussi pesant, d'un grain plus fin, moins dur et plus facile à travailler; il est aussi un peu moins sujet à la vermoulure, craint moins l'humidité et se tourmente moins par la dessiccation. De plus, sa tige est toujours saine et presque sans aubier. Ce bois se fend avec facilité, mais éclate au premier choc un peu violent, surtout lorsqu'il n'a pas été immergé pendant quelque temps dans l'eau courante. Sa densité varie entre 0,785 et 0,800.

Très recherché en Amérique pour les constructions civiles et navales, le robinier est surtout employé pour les pièces courbes de marine, plançons, varangues, genoux de revers, etc.; on en fait aussi d'excellentes charpentes, diverses parties de moulins en contact avec l'eau ou destinées à subir des frottements, des vis de pressoirs, des meubles, des fûts, et un grand nombre d'autres objets tels que perches, rames pour les plantes grimpantes, palissades et piquets de clôture d'une très longue durée. Délaissée en France pendant longtemps, cette essence commence maintenant à être appréciée à sa juste valeur. Employé presque exclusivement autrefois pour la robinetterie et la fabrication des jouets, le robinier est reconnu aujourd'hui comme possédant toutes les qualités de force et d'élasticité nécessaires pour faire un bon bois de charronnage et de carrosserie. Les branches elles-mêmes fournissent d'excellents rais de voitures et des brancards qu'on préfère à ceux de chêne. C'est encore un bon bois de fente pour la confection du merrain à futailles et un bois de sciage estimé pour la menuiserie et la préparation des parquets. Il est aussi très recherché des tourneurs qui en font des pieds de tables, des chaises, des rouets à filer et divers autres objets.

Au point de vue agricole, le robinier est apte à rendre des services nombreux et variés. Dans les pays vignobles, cette essence peut devenir d'une grande importance pour la confection des échalas de quartier,

tuteurs, pieux, etc. Les cercles de tonneaux faits avec ce bois sont aussi plus souples et plus résistants que ceux de châtaignier premier choix. Les cultivateurs peuvent également l'utiliser avec avantage à la fabrication de divers outils ou instruments aratoires demandant plus de solidité que de légèreté; enfin, sa prodigieuse force de portée le rend excellent pour les barreaux d'échelles.

Le robinier est un bon combustible, dégageant plus de calorique que nos meilleures essences indigènes et tenant mieux le feu; à peine abattu, ce bois brûle aussi bien que du chêne qui aurait passé un an dans le chantier. Son charbon est également de qualité supérieure pour la forge et les besoins domestiques; malheureusement, son prix est toujours assez élevé en raison de la valeur industrielle et de la petite quantité fabriquée.

Cette espèce comprend un grand nombre de variétés dont certaines ont été élevées au rang d'espèces par quelques botanistes. Le robinier croît dans tous les terrains, aussi bien dans les lieux arides qu'humides ou marécageux, mais il se plaît surtout dans les sols légers, frais, profonds et substantiels, exempts de calcaire crayeux. On le reproduit par semis au printemps et très facilement aussi par boutures, marcottes et drageons. Depuis quelques années, le robinier joue un rôle important dans. le reboisement des Pyrénées; toutefois, il faut éviter de le planter sur les sommets découverts un peu trop élevés, parce que les grands vents éclatent ses branches. Sa végétation comme essence forestière est rapide, car un arbre de vingt-cinq ans peut être exploité comme bois d'œuvre ; sa longévité est d'environ un siècle, limite extrême, mais son dépérissement commence vers la quarante-cinquième année environ.

Les fleurs du robinier, disposées en grappes pendantes et nombreuses, ordinairement blanchâtres et plus colorées dans les variétés, exhalent un parfum suave et sont souvent utilisées dans les campagnes pour confectionner des beignets; elles servent aussi à préparer des juleps et un sirop considéré comme antispasmodique. Elles fournissent encore à l'industrie une délicate couleur jaune analogue à celle du Sophora du Japon. Ces fleurs sont encore très recherchées des abeilles qui y trouvent d'abondantes récoltes; aussi les Américains considèrent-ils le robinier comme un des meilleurs arbres mellifères.

Ses feuilles fraîches constituent une nourriture excellente et agréable pour le bétail et son fourrage est regardé comme donnant une grande quantité de lait aux vaches.

Il y a quelques années, M. de Planet a présenté à une des séances de la Société d'agriculture de la Haute-Garonne, des échantillons de filasse

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