Page images
PDF
EPUB

possible puisque tous les reboisements résineux paraissaient dévastés par le feu, cet insecte n'a pas disparu. De 1887 à 1895, nous avons pu le voir se multiplier chaque année. Ce n'est qu'à partir de 1894, à la suite de nos échenillages exécutés en grand, qu'on a pu constater une décroissance régulière dans l'invasion.

Cette constance dans l'invasion existe également dans l'Hérault et dans l'Aude. Cependant, dans ce dernier département, il y a eu, au périmètre de l'Argent-Double, une diminution considérable du nombre des chenilles en 1896-97. Cette diminution peut s'expliquer de deux façons: ou lors de l'éclosion, celle-ci a été gênée par des influences atmosphériques, et M. Vidal penche vers cette explication, ou l'invasion de 95-96 a été telle que beaucoup de chenilles, mortes faute de nourriture, n'ont pu arriver à la fin de leurs métamorphoses; mais dans ce cas il en reste toujours un nombre suffisant pour assurer la reproduction de l'espèce. L'année qui suit immédiatement l'invasion ne présente qu'un nombre restreint de sujets, mais l'invasion est reportée à une année plus tard. Et, de fait, M. Vidal vient de nous confirmer que la génération de 1897-1898 lui paraît très nombreuse et sensiblement égale à la moitié de celle de 18951896; c'était à prévoir.

Indépendamment de cette disparition des chenilles par suite du défaut de nourriture on peut voir dans ces cas de disparitions totales ou partielles l'action d'une invasion correspondante de parasites. C'est sans doute à un cas de ce geare qu'il faut attribuer la disparition signalée par M. Bonnet en Corse, si toutefois cette disparition a été totale et définitive. Mais nous devons dire que ce cas, espéré par nous, ne s'est produit ni dans l'Aude, ni dans l'Hérault, ni dans les Pyrénées-Orientales. D'ailleurs nous n'avons pas observé et on n'a pas indiqué de parasite spécial possédant une puissance d'invasion suffisante. Il existe bien quelques ennemis connus, mais trop peu importants pour qu'il soit nécessaire de les décrire et même de les signaler ici.

L'action des agents atmosphériques et naturels est plus importante, principalement dans des régions déterminées. Il est certain, en effet, que la chenille est sensible aux grands froids et qu'elle peut être détruite par eux. La pluie la gêne également. La chrysalide peut, sous terre, être la victime d'actions mécaniques telles qu'un tassement et une coagulation du sol à la suite de grandes pluies, qui empêchent la sortie du papillon. Ce fait doit se présenter surtout dans les terrains argileux compacts.

Enfin, lors de la vie de l'insecte à l'état parfait, de grands ouragans pourront entraîner les papillons loin de là. Mais outre que c'est là un cas exceptionnel sur lequel il ne faut aucunement compter, il n'y a qu'un

simple déplacement du point d'attaque, le papillon allant porter ses œufs sur une autre région. C'est même ce qui permet d'expliquer l'invasion spontanée de peuplements distincts et éloignés où jamais précédemment n'avait été constatée la présence de la processionnaire du pin.

La compacité du sol ne joue qu'un rôle peu important, surtout dans les régions méditerranéennes où les pluies sont rares. D'ailleurs, ce n'est pas sans hésiter que nous avons signalé cette cause d'avortement des chrysalides, car les printemps et les étés les plus pluvieux de ces dernières années ont été ceux de 1891 et 1892, qui ont précédé les invasions de ces années-là, celles précisément qui ont pris un développement considérable.

Il en est de même du rôle de la pluie. Pour si abondamment que celleci soit tombée, nous avons toujours trouvé les chenilles à sec dans leur parfait abri de soie. Nous n'avons pas, pour notre part, remarqué de décroissance d'invasion à la suite des périodes particulières d'humidité. Nous devons dire cependant que M. Pillot, garde général des forêts à Grésigne, n'est pas éloigné de croire que, dans son ancien cantonnement. de Lagrasse, une décroissance d'invasion, observée en 1891-1892, pourrait être attribuée à l'humidité qui a suivi les inondations de 1891. Nous croyons plutôt qu'on pourrait attribuer ce fait aux grands froids de l'hiver 1890-1891, absolument exceptionnels, qui, dans cette région plus froide que celle des Pyrénées-Orientales, auraient pu détruire un certain nombre de sujets. Il y aurait donc eu là diminution importante dans les chenilles pondeuses de l'été 1891 et diminution proportionnelle dans le nombre de colonies provenant de cette ponte, colonies ayant vécu pendant l'hiver 1891-1892.

Nous n'émettons nous-même cette hypothèse qu'avec la plus grande réserve. Nous croyons bien, en effet, que de tous les agents mécaniques ou atmosphériques mis en jeu par la nature contre la processionnaire, le plus efficace, le seul même, est encore le froid. L'absence constatée des chenilles dans les peuplements d'altitude élevée le prouve, mais nous devons dire que les chiffres cités jusqu'à présent sont inférieurs à la réalité. La chenille supporte des froids autrement vifs que les 12 degrés centigrades signalés par Réaumur. Il suffirait pour le pressentir de savoir que la chenille vit parfaitement en Auvergne, où le thermomètre pendant les nuits d'hiver descend plus bas. Mais nous avons une preuve qu'il est malheureusement difficile de mettre en doute.

Pendant l'hiver 1890-1891, rappelé plus haut, le thermomètre est descendu à Prades à 11° centigrades. Il s'est maintenu plusieurs nuits consécutives à cette température et pendant trois périodes distinctes, fin décembre, commencement janvier et fin janvier. Or, Prades est à 350

mètres d'altitude et la ville est bien abritée. L'altitude moyenne des peuplements attaqués par les chenilles varie de 800 à 1.000 mètres. Ils sont situés indifféremment à toutes les expositions, mais généralement sans abri. Bien que nous ne puissions donner de chiffres exacts, il est naturel de penser que cette augmentation de 500 mètres d'altitude et cette absence d'abri a dû entraîner une augmentation correspondante de froid. Si nous supposons cette augmentation de 5 degrés, et nous croyons ce chiffre bien au-dessous de la vérité, les chenilles à l'abri de leur bourse auraient supporté sans en souffrir une température de 16° centigrades et cela pendant plusieurs jours consécutifs, alors qu'on devait, d'après les chiffres de Réaumur, espérer les voir mourir toutes.

Or, nous n'avons pas constaté une différence quelconque dans l'état des colonies avant et après le froid. Précisément cette année-là, l'échenillage ayant été pratiqué dans la période allant du 19 au 31 janvier, toutes les bourses contenaient leurs chenilles bien vivantes. Et malgré cet échenillage exécuté soigneusement nous avons eu en 1891 un nombre important de chenilles qui a amené les grandes invasions de 1892 et 1893. C'est encore un espoir qu'il faut abandonner.

Nous ne devons donc, pour le moment, compter sur aucune aide. Il n'y a plus qu'à envisager résolument, si on ne veut pas voir disparaître les plantations à brève échéance, la lutte de l'homme contre l'insecte. Rien cependant n'est moins encourageant. On se heurte à un nombre considérable de difficultés, comme cela se produit toujours dans les luttes contre les insectes vivant en plein air (phylloxéra, ver gris de la betterave, etc.).

Pour la processionnaire du pin les tentatives ont été très nombreuses, mais nous n'avons vu jusqu'à présent indiquer aucune méthode comme ayant donné des résultats vraiment satisfaisants. Nous allons décrire celle que nous employons depuis six ans dans le périmètre de la TetInférieure avec un succès qui s'affirme chaque année de plus en plus. Nous exposerons en même temps les tentatives faites autre part ou anciennement et nous en tirerons les conclusions pratiques.

Tout d'abord, dans la lutte entreprise contre un insecte qui a quatre phases de vie bien distinctes, rien n'est plus naturel que de chercher à l'atteindre sous chacune de ses formes, puis, de choisir le mode de lutte le plus pratique, ou d'en employer concurremment plusieurs.

Eufs. - Nous n'avons pas eu connaissance, jusqu'à présent, d'une lutte quelconque entreprise directement contre les œufs. Cependant, la grosseur de la ponte et sa couleur la rendent assez visible: il paraît donc possible de l'attaquer directement. Nous nous sommes livré à cet égard

JANVIER 1898 (37• Année).

11. 2

à des expériences nombreuses; nous avons badigeonné des pontes recueillies, avec des solutions d'acides chlorhydrique,sulfurique, azotique, phénique, de sublimé corrosif et d'ammoniaque. Nous espérions que dans les années de grandes invasions on pourrait arriver avec un appareil de vaporisation à projeter sur les peuplements attaqués une fine pluie de ces solutions très peu coûteuses. Mais pour que celles-ci fussent peu coûteuses il fallait de toute évidence que la solution ne fût pas à un titre trop fort et que la quantité de liquide à projeter ne fût pas trop considérable, sans quoi la main-d'œuvre eût atteint des prix élevés. Il fallait enfin que les arbres ne pussent en souffrir, ce qui, encore plus, nécessitait un titre de solution très faible.

Or nous avons eu le regret de constater qu'une simple aspersion était insuffisante. Pour que notre étude fût concluante, nous partagions une ponte en trois portions égales. La 1 était laissée intacte, la 2o aspergée sommairement, la 3e immergée pendant 5 minutes environ dans le liquide. L'acide chlorhydrique a donné peu de résultats, de même que les acides sulfurique et azotique. L'acide phénique, l'ammoniaque et le bichlorure de mercure nous avaient laissé entrevoir quelques espérances. L'éclosion de la section aspergée n'eut pas lieu lors de l'éclosion de la section non essayée; nous pensions le germe détruit, quand, au bout d'un laps de temps variable, l'éclosion eut lieu. Le retard avait varié, suivant les liquides, de 4 à 8 jours. Quant aux pontes immergées, le germe avait été détruit définitivement. Malgré cela il fallait renoncer à ce procédé puisque une simple aspersion était insuffisante.

Nous avons alors essayé la récolte directe des œufs sur les arbres en enlevant les aiguilles à pontes. Cet enlèvement serait évidemment le meilleur de tous les procédés, puisqu'il détruirait sans dommages l'ennemi, et avant que celui-ci ait commencé ses ravages. Malheureusement, d'une part il n'est praticable que dans des conditions tout à fait spéciales, c'est-à-dire sur les tout jeunes arbres à la portée de la main, et d'autre part surtout, pour si attentif que soit le chercheur, il laisse en place une quantité de pontes considérable, généralement bien supérieure à celle qu'il enlève. Néanmoins ce procédé peut rendre des services lors des années de grandes invasions, lorsque les pontes sont très nombreuses. L'ouvrier alors gagnera facilement sa journée et ce sera autant de fait.

Nous avons procédé à ce travail en 1893, année où l'invasion a été le plus considérable. Cet enlèvement a été effectué du 1er au 9 septembre. Il a nécessité 78 journées de femmes et d'enfants payés à raison de 1 fr. 30 par jour, répartis en trois chantiers surveillés chacun par un garde. On a pu récolter 44.000 pontes, ce qui représente une moyenne

I

de 569 pontes par journée d'ouvrier. En ajoutant aux 101 fr. 40 de maind'œuvre une somme de gà 10 fr. pour indemniser les gardes surveillants, on arrive à 111 fr. environ de dépense totale. On voit que le cent de pontes n'est revenu qu'à o fr. 25. C'était là un échenillage très économique, mais qu'il n'a plus été possible de renouveler dans ces conditions.

En 1893, il n'était pas rare de trouver 10, 15, 20 pontes et souvent da vantage sur un seul sujet. Les années suivantes, grâce aux échenillages intensifs exécutés à dater de 1893, ces proportions ne se sont plus renouvelées et les ouvriers n'ont pas retrouvé ce bon marché. De plus, bien que toute l'étendue des peuplements eût été parcourue, il était resté un nombre considérable de bourses. En effet, dans les échenillages successifs exécutés contre la génération de 1893-1894, 44.400 pontes seulement ont été recueillies contre 558.000 bourses détruites; il faut ajouter qu'un nombre appréciable de celles-ci ont dû être laissées sur les arbres, faute de crédits suffisants pour terminer complètement le travail. On voit que c'est à peine un douzième de la totalité des colonies détruites que représentaient les pontes enlevées. Et cependant on avait parcouru tous les terrains qu'on croyait attaqués.

Chenille. C'est surtout la chenille qui, jusqu'à présent, a été com battue; c'est d'ailleurs tout naturel et tout indiqué. Les chenilles sont facilement visibles et c'est sous cet état que l'insecte commet ses ravages. De plus, elles vivent en colonies rassemblées à l'intérieur d'un abri commun dont elles ne sortent que la nuit, circonstance favorable puisque les travaux d'échenillage ne sont praticables que de jour. Grâce à ce rassemblement en un point la destruction, peut avoir lieu par masses et non par sujets isolés. Enfin, comme pour les œufs, en détruisant la chenille au début de son existence on protège les plantations envahies.

Les anciens procédés employés consistaient uniquement à enlever la bourse. Au début même, précisément en vertu de la théorie qui admettait une grande sensibilité de la chenille aux intempéries atmosphériques, quelques personnes pensaient qu'il suffisait d'ouvrir la bourse et de mettre les chenilles à l'air pour que celles-ci fussent détruites par le froid ou les pluies. On employait pour ouvrir la bourse une griffe servant à marquer les arbres dans les comptages. Il n'est pas besoin de dire combien vite les chenilles réparaient la brèche ouverte ou reconstruisaient un autre nid. A la suite des insuccès reconnus de ce mode d'opérer, on avait pensé à enlever la bourse entière et à la transporter à l'écart pour la brûler. L'idée était excellente, mais comme on ne pouvait couper les branches terminales sur lesquelles étaient des nids, et qu'également on

« PreviousContinue »