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Notre Maître était membre de la Société zoologique d'acclimatation, de l'Association française pour l'avancement des sciences, de la Commision de l'hydraulique agricole, du Conseil du bureau central météorologique de France, du Comité d'agriculture de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale.

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Le reboiseur Demontzey excellait à donner l'enseignement sur le terrain. Pour l'accompagner dans ses tournées, il mettait sur pied tout le personnel forestier disponible. Il cherchait par tous les moyens à instruire son entourage. Il répétait souvent: « Il est indispensable que <«< nous arrivions à nous entendre parfaitement sur notre commune mis«sion et que nous possédions la certitude de parler tous la même langue. » plaisait à conduire sur ses principaux champs d'opérations des agents appartenant à d'autres services. Si c'était possible, il en rassemblait plusieurs à cet effet. Je l'ai vu montrant les principaux périmètres des Basses-Alpes, en 1881, à un groupe de sept agents des Hautes-Alpes, en 1886 à une réunion de neuf chefs de Commissions de reboisement.

Il se

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C'était pour lui une jouissance de recevoir des visiteurs marquants. Il mettait tout en œuvre pour les intéresser et les charmer. Ce fut ainsi qu'il guida, en des tournées parfaitement organisées, de nombreux personnages importants. Je cite les principaux: en 1869, M. Faré, directeur général des Forêts, en 1872, M. Lorentz, administrateur des Forêts, en 1875, M. Faré, directeur général des Forêts, - en 1882, M. de Mahy, ministre de l'Agriculture, accompagné de M. Lorentz, directeur des Forêts, en 1883, S. Exc. le comte de Falkenhayn, ministre de l'Agriculture d'Autriche, accompagné du professeur baron de Seckendorff, - en 1886, une mission italienne composée de M. Piccioli, directeur de l'École nationale forestière de Vallombrosa, d'un professeur et de dix élèves de cette École, de huit sous-inspecteurs des Forêts, en 1888, M. Lucien Daubrée, directeur des Forêts, en 1891, M. Noblemaire, directeur des chemins de fer P.-L.-M., en 1892, une mission espagnole, composée de don Miguel del Campo, professeur à l'École nationale forestière de l'Escurial, et de sept élèves de cette École.

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Prosper Demontzey a produit de nombreux écrits. Ceux d'entre eux qui ont été publiés sont énumérés à la suite de cette notice.

A la fin de 1875, un concours avait été ouvert entre agents forestiers pour la rédaction d'un Traité pratique de reboisement et de gazonnement des montagnes. Le mémoire de l'inspecteur Demontzey rem-1 porta le premier prix. Il fut édité par l'Imprimerie Nationale, en 1878,

sous le titre: Étude sur les travaux de reboisement et de gazonnement des montagnes.

Le jour même où il atteignait l'âge de 62 ans, en terminant une œuvre considérable à laquelle il avait donné tous ses soins, l'inspecteur général Demontzey s'exprima ainsi dans son «< avertissement » : « Doyen < des reboiseurs, à la veille d'être éloigné de ces travaux auxquels j'ai << passionnément collaboré depuis leur origine et pendant toute ma car<«<rière, je considère comme un devoir l'honneur d'exposer les résultats << obtenus jusqu'à ce jour dans la grande lutte essentiellement fran«çaise entamée contre les torrents par une pléïade de vaillants et en<< thousiastes forestiers ». Ce travail fut édité par l'Imprimerie nationale, en 1894, sous le titre : l'Extinction des torrents en France par le reboisement.

Ces deux publications magistrales sont les œuvres capitales de Prosper Demontzey. Il y a mis tout son génie et tout son cœur.

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Pour rappeler ce que sont ces deux ouvrages si remarquables, j'emprunte à leur auteur deux citations. L'avertissement du 15 février 1878 porte: «... J'ai eu pour but de résumer les observations qu'il m'a « été donné de faire pendant le cours presque entier de ma carrière fo<< restière... Je viens donc les exposer sincèrement, sans autre préten«tion que celle de les présenter aussi complètes que possible, en prati<«< cien obligé d'entrer dans les mille détails des opérations si complexes <«<et si attrayantes que comporte le reboisement des montagnes. »— L'avertissement du 21 septembre 1893 déclare : « Cet ouvrage a pour « objet principal de faire connaître à la fois la situation actuelle des << grands travaux d'utilité publique en cours d'exécution et l'importance « de ceux qu'il reste à accomplir pour le prompt achèvement de la << redoutable et patriotique mission que le Parlement a confiée au Corps << forestier >>.

Le premier ouvrage est surtout un traité d'enseignement direct. Il expose toutes les situations et prévoit tous les cas. Pour chaque opération, il offre des conseils, il décrit les procédés, il fournit des données numériques, il trace des règles de pratique. C'est un véritable guide du reboiseur. Le second ouvrage est principalement le compte-rendu de l'entreprise du reboisement pour sa première période trentenaire. Il produit les plus précieuses statistiques, il présente de nombreuses monographies. extrêmement instructives, il constitue une riche collection de documents inestimables. C'est un monument fixant la situation constatée comme acquise à une étape marquante de l'accomplissement d'une grande œuvre. L'un et l'autre de ces ouvrages porte la puissante empreinte de la AVRIL 1898 (37° ANNÉE).

II.

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forte action d'une personnalité qui était exceptionnellement remarquable de tempérament, de valeur et de caractère. Chacun d'eux, du commencement à la fin, offre la marque expressive du praticien qui a personnellement observé les faits, reconnu les difficultés, trouvé les solutions, conçu les projets, dirigé l'exécution, constaté le résultat. Les deux ouvrages ont été très remarqués en France. A l'étranger, ils sont connus et appréciés (de l'Etude sur les travaux de reboisement et de gazonnement des montagnes, le gouvernement autrichien a fait établir une traduction allemande pour l'employer comme traité technique). Les deux œuvres magistrales de Prosper Demontzey rendront impérissable la mémoire du grand reboiseur français.

L'éclat de la brillante carrière du maître a été le produit de multiples facteurs dont les principaux étaient une haute intelligence, une ardeur infatigable, une vigoureuse constitution, un caractère solidement trempė, et aussi, c'est certain, un rare bonheur.

Son intelligence se tenait toujours en travail. Elle était servie par une mémoire prodigieuse d'étendue et de sûreté. Cette mémoire affectait surtout la forme topique. A la réminiscence des faits, il associait toujours le souvenir des lieux et des circonstances. Les faits, il les rappelait avec une surprenante précision; les lieux, malgré temps et distance, il les revoyait nettement dans l'ensemble et dans les détails; les circonstances, il les retraçait comme au lendemain du jour où elles s'étaient produites. Dans chacun des milieux où il avait vécu ou seulement séjourné, il était parfaitement renseigné sur choses et gens. Ayant beaucoup voyagé, il· connaissait de nombreuses régions de la France et des pays voisins. Ses relations particulières étaient extrêmement étendues. Et, du personnel placé sous sa direction, il savait tout et n'oubliait rien.

Son ardeur le rendait capable d'efforts puissants et soutenus. Quand lui venait une idée, il n'admettait pas, pour son développement, le renvoi au lendemain; aussitôt, il prenait la plume et donnait un corps à cette idée. Quand une affaire avait été entamée, il la poussait sans relâche vers la solution. Quand un travail était entrepris, il en poursuivait vivement l'exécution. Partout et constamment, il s'occupait de reboisement et en parlait. Sa dévouée compagne sait cela mieux que personne. Le reboisement, pour lui, c'était tout! A cela, il subordonnait le reste. Sur un pays, sur une population, son impression résultait de la nature de l'accueil trouvé dans leur milieu par la cause du reboisement. Un homme politique était bien ou mal «< coté » suivant ce qu'il pensait du reboisement. Tel agent était un forestier distingué et un aimable cama

rade, mais........... il n'avait pas voulu « rester dans le reboisement ». Volontiers, il partageait les humains en deux catégories, ceux «<< qui sont pour le reboisement » et... les autres. Constamment il cherchait à recruter du personnel. En tournée d'inspection générale, quand il rencontrait dans quelque résidence forestière un nouveau venu, 'particulièrement un stagiaire, il lui demandait aussitôt : « Mon ami, avez-vous lu mon bou<<< quin? >> Et puis, il se mettait à lui vanter les séductions du reboisement, les attraits de service et les perspectives d'avancement du reboiseur. Finalement, il l'engageait à s'attacher à la chère spécialité. Quand un de ses auxiliaires venait à le quitter, il en était profondément attristé. Aux persévérants qui restaient à leur poste, il donnait sans réserve la plus chaleureuse affection.

Sa constitution, remarquablement robuste, mettait à sa disposition d'exceptionnels moyens physiques. Chez lui, il consacrait souvent au travail de longues veilles. En tournée, il marchait courageusement. Il était surprenant de voir un homme d'une telle corpulence s'élever, d'un pas lent mais ferme, jusqu'aux régions hautes des périmètres. Pendant le diner qui suivait le retour, la conversation était nécessairement tenue sur le service. Après le repas, une causerie familière sur le reboisement se prolongeait jusqu'à une heure bien avancée. Rentré dans sa chambre, il s'occupait d'affaires administratives apportées par le plus récent courrier. Il dormait quand et comme il le pouvait. J'ai souvent constaté que, dans sa nuit, il avait donné à peine trois heures au sommeil. Au réveil, commençait une nouvelle tournée. Et ce genre d'existence se prolongeait pendant des semaines. Une belle prestance, un geste puissant, une voix. sonore, un langage saisissant lui assuraient une supériorité qui, toujours s'imposait. A l'occasion, le mot décisif était appuyé du son retentissant que rendait la table sous un poing solide. C'était une vigoureuse et riche nature.

Son caractère était d'une force qui lui procurait de sûrs éléments de succès. Il était ferme et tenace. Quand il s'était dirigé vers un but, rien ne l'arrêtait. Jamais son courage ne faiblit. Souvent il rencontra des déceptions, des contre-temps, des épreuves. En aucune circonstance, je ne le vis démonté. Toujours maître de lui, il reprenait la lutte, et il triomphait. Il se plaisait à poser en principe que le reboiseur doit être « oseur ». Certes, il prêchait d'exemple. Ayant d'abord osé, il avait réussi; et, parce qu'il réussissait, il s'enhardissait de plus en plus à oser. Dans l'intérêt du service, il savait se dominer suffisamment pour arriver à agir à l'inverse de ce que devait lui commander son tempérament. C'est ainsi qu'il pouvait devenir, à l'occasion, de vif, patient, de

hardi, prudent. Dans le service des travaux de correction, sa manière était de ne pas appliquer servilement le projet. En cours d'exécution, il le retouchait pour l'améliorer et pour chercher quelque économie. Plusieurs fois, me voyant empressé d'entreprendre tout ce qui était convenu, il m'arrêta en m'expliquant que, par telle combinaison, nous pourrions peut-être parvenir à supprimer, dans l'ensemble du système, l'un des barrages prévus. Il possédait éminemment le don du comman dement. Fort de ses aptitudes naturelles et de sa haute valeur, ferme et bon, il savait merveilleusement entraîner son personnel et obtenir de l'action de celui-ci le maximum de rendement. C'était un admirable lanceur. Quand il avait « monté une affaire », ne pouvant tout exécuter par lui-même, il excellait à y employer ses auxiliaires en utilisant au mieux les dispositions et moyens particuliers de chacun d'eux. Chef, il était incomparable.

Le bonheur, constamment, fut pour lui d'une inaltérable fidélité. Tout lui arriva à point. Toujours les conditions favorables se produisirent opportunément. Certainement, ce n'est pas à toute époque qu'eût été possible la réalisation d'une si haute fortune. Les circonstances le servirent . et il sut en tirer parti. Il s'entendait parfaitement à saisir les occasions, même à les provoquer. Elles ne cessèrent de se présenter à propos. Dans sa destinée, tout fut réussite. C'est ce que constatait cette réflexion d'une femine d'esprit « Bien inspiré fut son parrain en l'appelant Prosper. >>

Ce chef éminent était en même temps un chef bienveillant. Sa sollicitude s'étendait constamment sur son personnel.

Il était le protecteur infatigable de tous ses auxiliaires. Grades, classes, avantages, récompenses, distinctions, il demandait tout pour eux. Il connaissait les titres, les désirs, les besoins de chacun. Il provoquait les confidences des timides, il réconfortait les découragės; dans les cas difficiles, il prodiguait les meilleurs conseils. Jamais chef ne fut plus abordable et plus affectueux.

Il tenait compte et tirait parti de tout ce qui pouvait recommander un agent; il donnait sur son service et ses aptitudes des appréciations toujours empreintes d'une parfaite bonté. Un jour, dans une séance du Comité d'avancement, l'inspecteur général Demontzey défendait avec chaleur les intérêts d'un agent dont il avait autrefois été le chef.Comme la discussion continuait, il ajouta, en conclusion : « Je lui ai toujours donné de bonnes notes. » Le directeur des Forêts, M. Lorentz, répondit aussitôt « Ceci n'est pas décisif, car nous savons que vous n'en donnez << pas d'autres. ))

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