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dans les vergers en sol compact ou superficiel; sans une culture assez souvent réitérée, les arbres languissent, puis dépérissent. Or, sous les chênes, qui ont le couvert léger et la feuille mauvaise, le sol reste dur et presque nu. A mon sens une aire battue est bien moins favorable à la végétation des arbres qu'un terrain maintenu couvert, meuble et frais, par un sous-bois à feuillage bas, surtout quand ce feuillage est celui d'essences fertilisantes comme charme et coudrier.

La vue des belles coupes de bois de Morey, la comparaison qu'elles offrent avec d'autres taillis moins riches ou pauvres en arbres dans la même forêt, le même canton, m'avaient mis en éveil; mais il fallait voir ailleurs. C'est ce que j'ai fait dans la mesure que comportaient mes jambes et les circonstances.

A la Basse de Corneux, près Gray, en sol d'alluvion très profond, meuble, frais et fertile, les arbres de réserve se touchent souvent en certaines parties des cimes et ne semblent pas en souffrir; celles-ci continuent à s'allonger grâce à la profondeur du sol. Il en a été de même des fûts dans les coupes contiguës, nos 6 et 8, avant la dernière exploitation du taillis, qui a eu lieu aux âges de 25 et 26 ans; le sousbois en est âgé actuellement de 8 et de 7 ans.

La coupe n° 6, qui a été balivée par M. Drevon, comprend par hectare: 50 baliveaux, dont 30 chênes, frênes et ormes,

43 modernes, moitié chênes, moitié frênes,

24 anciens, de om40 et plus, dont 17 chênes, 6 frênes et 1 orme.

Le volume en bois d'œuvre de cette réserve était de 47 m. cubes à l'hectare 1.

1. Voici le balivage de la coupe n° 6, qui comprend 3 h. 90 a., tel qu'il a été opéré, le 14 décembre 1888, et qu'il peut y avoir intérêt à en retrouver le détail au retour de l'exploitation :

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Ici encore, les gros arbres sont plus beaux et se montrent mieux soutenus sur les points où les cimes se touchent partiellement que là où elles sont tout à fait isolées. L'âge de ces coupes est cependant assez ingrat, l'ensemble des arbres ne s'offrant plus à la vue comme au lendemain de l'exploitation et le sous-bois qui s'élève, au moins par places, n'étant encore ni chair ni poisson, suivant l'expression vulgaire. Les plus vieilles coupes, dont le taillis âgé de 13 et 12 ans est arrivé à mirévolution étaient sous l'eau quand j'ai visité dernièrement la forêt avec deux amis; nous n'avons pas pu les voir. Leur visite sera pour l'an prochain; quatre ans après la dernière vue, la différence d'état apparaîtra mieux encore.

Au nord de ma résidence d'été se trouvent des bois portés par les sables du grès infraliasique reposant à une profondeur variable sur les marnes irisées; c'est le terrain du chêne des Partisans. Les arbres y sont élancés, mais d'une végétation simplement moyenne.

Dans le bois dit de la Salle, les coupes nos 2 à 8 de la commune de Molay offrent une futaie sur taillis âgé de 14 à 8 ans; la réserve est en très grande majorité formée de chênes modernes et, sur beaucoup de points, en massif. Évidemment ces jeunes arbres, dont la cime a besoin d'une expansion relativement assez forte, ont une végétation moins active que les modernes isolés. Cela se voit et on sent la gêne que leur occasionne le défaut d'espace. Ce défaut provient tant du massif même des chênes modernes que de baliveaux venant s'enchevêtrer avec eux et de quelques hêtres groupés par deux ou trois, Excellent ici le hêtre, mais par pieds isolés et en perches seulement, car il s'étale largement. Excellent aussi le charme, qui file en hauteur, mais un peu moins vite que le chêne. En tous cas la futaie sur taillis privée de chênes anciens manque de l'élément le meilleur et le plus nécessaire.

On voit ceci également dans la coupe n° 23 du bois voisin, dit le Poix, à la commune de La Rochelle. Cette coupe, qui a été balivée en 1873, par mon brave ami Colnenne, alors inspecteur à Vesoul, a un taillis âgé de 24 ans et une futaie de jeunes chênes, tout voisins, mais isolés, et d'une végétation aussi belle que le terrain le comporte; c'est superbe. Il n'y avait pas mieux à faire dans une jeune forêt dénuée de gros arbres. Seulement, l'exploitation reviendra là dans un an, la révolution étant de 25 ans; on n'y trouvera que bien peu d'arbres disponibles et 'un taillis en plein développement. « Il faudrait n'exploiter qu'à 30 ans, » me disait un jeune homme du pays. Il parlait d'or, et c'est plaisir de constater la diffusion de l'idée, qui aurait paru étrange ici dans la pre

mière moitié du siècle.

Ce bois de La Rochelle possédait, il y a une quinzaine d'années, au canton dit Bois-des-Bas, le plus gros chêne du pays; il avait 1 40 de diamètre à hauteur d'homme, 7m de fût et une très belle cime. Parfaitement sain, réservé dans la coupe au dernier balivage, il reçut d'un malandrin un coup de hache au corps, d'où résulta un léger suintement ferré, qui permit d'alléguer la dégradation et de demander l'exploitation accidentelle. On abattit cet arbre énorme au milieu d'un taillis de 7 ans; il fut vendu isolément pour 200 francs, quand il en valait au moins 500; et il était jeune, comme en témoignaient les larges accroissements des quartiers équarris, que j'ai vus sur place.

Dans le bois voisin, de la commune de Charmes-Saint-Valbert, on voit encore un chêne remarquable. Au bas de la coupe n° 23 et au-dessus des vignes, sur le bord d'un sentier qui entre au bois, s'étale un rouvre de 3 40 de tour et 2m 50, pas plus, de hauteur sous branches; mais quelle cime! une calotte sphérique de 80 pieds, pardon, de 26 à 28 mètres d'envergure, et faite de branches très nombreuses, très droites et très longues; l'une d'elles s'étend horizontalement jusqu'à 15 ou 16 mètres du tronc. Sous ce couvert bas, rien que de l'herbe, et autour de la cime un taillis de chêne pur, bien plein, qui ombrage le terrain. J'aurais voulu montrer ce tableau à l'inspecteur émérite et clairvoyant, précité; il semble rentrer dans son programme. Mais si l'arbre avait la hauteur de fût désirable, 8 ou 10 mètres, comme les beaux anciens du susdit canton, il ne serait plus le même ni de même.

Dans ce canton de la Vigne-Jean-Vaney, dont les taillis ont de 24 à 20 ans, se trouvent nombre de beaux chênes anciens dont les cimes se touchent, bien que les pieds soient écartés à 8, 9 et 10 mètres. Ils végètent à merveille. Aurait-on dû les isoler? Pour le faire, il eût fallu en exploiter au moins un sur deux à l'état de soliveau. Et celui-ci n'est pas l'objet à poursuivre.

Les bois communaux de Lavigney, aménagés de longue date à la révolution de 30 ans, ont de très beaux arbres, et le terrain est autre que dans les bois précédents. On y voit des chênes anciens dont les cimes se touchent sur beaucoup de points et n'en souffrent guère. Au canton du Narbos, partie du quart de réserve, dans le bas du coupon no 5, qui a été balivé en futaie sur taillis en 1872, se trouve au long du chemin un beau chêne, assez court, 8 à 9 mètres de fût, mais à cime étalée; il mesurait om 54 de diamètre en 1875. Actuellement, fin 1897, sur moitié du pourtour sa tête est embrassée par celles de trois autres chênes; il mesure néanmoins om 69, ayant gagné om, 15 en 22 ans. C'est un rouvre et il est planté sur l'argile à chailles, très sableuse.

A quelques pas de là, au canton de la Rieppe, sur marne recouvrant le calcaire corallien (c'est le terrain des grands sapins de Levier), de grands pédonculés portent leur cime en haut de fûts de 12 mètres. Dans la coupe ordinaire n° 13, sur un taillis de 17 ans, j'ai vu deux anciens, l'un de oTM 55, l'autre de om 45 de diamètre, dont les pieds sont à 12 mètres l'un de l'autre et dont les cimes néanmoins se touchent déjà. Naturellement ils sont très prospères, comme tous les chênes du canton. Avec un tel espacement, combien peu obtiendrait-on de vieilles écorces! Et qu'il est préférable de baliver à la manière d'un inspecteur qui me disait un jour : « Les anciens? Je les réserve où je les trouve... »

Il est clair que l'état de massif, contraire au développement des baliveaux de l'âge, qui n'ont pour ainsi dire presque pas de tête, est encore une grande gêne pour les petits modernes, qui peuvent s'y trouver emprisonnés; mais pour les anciens il n'est jamais que partiel, et quand il s'agit de larges cimes formant un dôme élevé de feuillage, le contact de cimes de même essence leur donne un abri latéral et, par suite, il peut être plus utile que nuisible.

A Bourguignon-lès-Morey les coupes nos 14 et 15 sont traversées, audessus d'un escarpement rocheux, par un sentier charmant que le garde se garde d'entretenir. Je m'y suis fourré cependant pour revoir les chênes et hêtres, jeunes anciens, réservés en futaie sur taillis, il y a dix ans, dans la zone de ces coupes qui offre un peu de sol. Ces arbres ne sont pas élancés sur ce plateau de calcaire jurassique, où le taillis s'exploite à 20 ans. Néanmoins ils marquent bien, maintiennent la broussaille en respect, font honneur à la forêt et ont plus bel air que les isolés du voisinage. Et il en est de même des bouquets de futaie sur taillis, futaie claire et entrecoupée, qu'on voit encore sur quelques autres points du plateau et du versant.

Quel est l'accroissement de ces arbres? Les fûts grossissent-ils aussi vite que ceux des cimes complètement libres? C'est à expérimenter; je ne constate à vue que ceci : ils sont très bien conformés, très bien portants et très nombreux. En faisant les mesurages des accroissements d'anciens ayant crû les uns en futaie sur taillis, les autres entièrement isolés, il serait bon de constater aussi les longueurs en bois d'œuvre des uns et des autres; il peut se faire qu'elles soient différentes: tant en raison d'une plus grande hauteur des premiers que par suite de tares plus nombreuses dans les derniers.

Après ces expériences, on pourra peser les raisons pour lesquelles il serait nécessaire d'écarter les cimes des arbres anciens, qui s'élargissent relativement beaucoup moins vite que celles des baliveaux de l'âge;

celles-ci quintuplant, octuplant ou décuplant leur aire en 25 ans, celles des anciens ne doublent même pas la leur. Aussi ces dernières trouvent-elles toujours à gagner, à moins d'être obsédées par de jeunes et ambitieux voisins.

Et voyez, d'ailleurs. Est-ce qu'en futaie pleine les arbres feuillus pâtissent de l'état de massif clair? Nullement. Et cet état se maintient dans les vieilles futaies, tandis que celles d'âge moyen se resserrant plus ou moins vite réclament à nouveau l'éclaircie et que les perches uniformes s'effilent si l'état clair ne leur est pas souvent rendu.

Est-ce que les cimes des chênes anciens réservés en futaie sur taillis ne sont pas toujours dégagées au moins sur moitié, sinon sur les deux tiers ou les trois quarts de leur pourtour? Elles restent donc en grande partie libres. A ma souvenance, je n'ai vu qu'un cas très embarrassant au balivage; c'était dans une coupe affouagère du bois communal de Chavigny, attenant à l'extrémité orientale de la forêt de Haye; il y a de cela longtemps. Quatre beaux anciens, aux pieds distants de 8 à 9 mètres, formaient la carré et un cinquième enclavé se trouvait poussé en hauteur par ces quatre trabans; il filait droit comme un i, moins gros et dominant partiellement la cime des quatre autres. Le garde du triage, qui balivait, commença par le marquer en réserve; mais il fallut ensuite réserver les quatre autres, car il n'y avait pas de bonne raison pour en sacrifier un quelconque. Et alors le garde dont je ne me rappelle plus le nom (brun, terne, organe légèrement nasillard et très lorrain) dut abandonner le beau plançon du milieu, qu'il avait préféré tout d'abord. Je le vois encore hacher au corps ce bel arbre avec dépit. Et peut-être avait-il raison de le regretter; mais il aurait fallu garder les cinq chênes et à l'état serré, ou bien on aurait coupé les quatre gros en isolant le plançon, ce qui eût été faire du taillis sous futaie au lieu de la futaie sur taillis.

Si les racines des arbres de la futaie sur taillis sont au large dans le sol, leurs branches ne souffrent-elles pas du voisinage immédiat des cimes voisines? lci encore il y a deux sortes de faits à considérer. Tant que des cimes de même essence ne luttent pas entre elles pour la place au point de perdre des branches principales, elles se nuisent peu. Et en revanche l'abri mutuel que se prêtent les cimes d'arbres tout voisins offre d'énormes avantages. L'abri, c'est le deuxième élément, si l'on peut ainsi dire, la condition seconde, si l'on préfère, de la bonne végétation des arbres. Bon sol, abri puissant, voilà ce qui fait les beaux arbres et dans l'intérieur des vieilles forêts, et dans les bas-fonds, et pour toutes les essences.

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