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N° 54.

DISCUSSION À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

DE LA LOI DU 28 JUILLET 1874.

PREMIÈRE DELIBERATION.

Séance du 22 mai 1874.

L'Assemblée décide sans discussion qu'elle passera à une seconde délibération. A la séance du 17 juin, le projet est, sur la demande à la Commission du général de Cissey, Ministre de la guerre, renvoyé à la Commission

Renvoi

du budget.

du budget).

DEUXIÈME DÉLIBÉRATION.

Séance du 26 juin 1874.

M. Clapier

contraire

au projet.

M. CLAPIER, après avoir rappelé les charges de nos finances et les indemnités déjà votées par l'Assemblée, continue ainsi :

On nous dit qu'indépendamment des pertes qui sont le résultat du fait de l'ennemi, il en est quelques-unes qui sont le résultat du fait de l'Administration française, du génie. Il y a certaines constructions, certains immeubles qui ont été détruits en prévision de l'invasion ou de l'arrivée de l'armée ennemie, pour garantir nos places fortes. Ceux-là n'ont pas été compris dans les indemnités que vous avez accordées, et il leur faut une indemnité nouvelle qu'on évalue à 26 millions.

Voyons. Les personnes qui ont souffert de ces dommages se divisent en trois catégories les unes ont démoli les édifices qu'elles avaient construits dans la zone militaire avec obligation de leur part de les démolir à première réquisition; les autres possédaient également des immeubles dans le périmètre de la zone militaire, mais n'avaient pas pris l'engagement de les démolir; enfin, quelques-unes se trouvaient en dehors de cette zone.

Dans l'ardeur de son zèle, la Commission chargée de l'examen de la proposition de loi avait accordé une indemnité à ces trois catégories, et ceux même qui avaient démoli leurs immeubles en exécution d'une obligation formelle qu'ils avaient prise avaient été cependant rangés dans la catégorie de ceux qui devaient recevoir une indemnité. Votre Commission du budget n'a pas pensé ainsi, et cette première catégorie a été éliminée.

L'indemnité s'élevait, d'après le projet de la Commission spéciale, à 28 millions,

(1) Voir ci-dessus, page 422, les notes relatives aux modifications introduites par la Commission du budget.

avec intérêts depuis le commencement de l'année, car on nous traite comme des débiteurs de mauvaise foi, on nous fait payer même l'intérêt de ce que nous donnons ; votre Commission du budget a réduit la demande à 26 millions, et seulement avec intérêt à partir du 1 janvier de l'année prochaine.

Voilà à peu près les deux seules modifications qui ont été apportées au projet qui vous avait été soumis primitivement.

Il est un point de départ incontestable qu'il ne faut cesser de répéter, parce que indirectement on le révoque toujours en doute, non pas ouvertement: on n'ose pas le faire en présence des textes; mais on cherche à tourner, à éluder le principe, et il ne faut pas se lasser de le proclamer, il n'est rien dû de ce chef.

M. Clapier.

Je vous rappelle la loi qui distingue trois cas : le cas ordinaire, le cas de guerre, Quand il y a droit le cas de siége.

Dans le cas ordinaire, lorsque le génie s'empare d'une propriété pour y établir un ouvrage défensif, il faut indemniser suivant les formes civiles, c'est-à-dire selon les termes de la loi de 1807 ou celle de 1841.

Dans le cas de guerre, il faut aussi indemniser. Cependant il faut distinguer. Lorsqu'il s'agit d'un ouvrage préventif, on n'a pas besoin de suivre les formalités voulues: c'est sur un ordre direct du commandant en chef que la démolition doit avoir lieu; seulement on dresse procès-verbal et on indemnise. Lorsque la démolition est le résultat d'un fait de guerre actuel, immédiat, pas d'indemnité.

Ainsi, dans le cas de guerre seulement, s'il s'agit d'un ouvrage préventif, indemnité; s'il s'agit d'un fait de guerre actuel, pas d'indemnité.

La troisième catégorie, c'est le cas de siége, et il y a état de siége toutes les fois qu'il y a déclaration de l'autorité compétente, ou bien qu'à défaut de cette déclaration il y a siege effectif et réel. Ainsi, quand il y a siége effectif et réel, il n'y a pas besoin d'une déclaration d'autorité, et quand il y a déclaration de l'autorité, il n'est pas nécessaire qu'il y ait siége effectif et réel.

par

Oh! je reconnais parfaitement qu'il ne faut pas confondre cet état de siége motivé la guerre avec cet état de siége que j'appellerai administratif.

M. ERNEST PICARD. Politique!

M. CLAPIER. Je veux dire cet état de siége qui est établi et maintenu dans un intérêt de tranquillité intérieure, et non pas pour se garantir de l'invasion de l'ennemi. Je reconnais que dans ce cas-là, dans ce que j'appelle le cas de siége administratif, pour lui donner un nom, on ne peut pas appliquer les lois spéciales de la matière. Mais lorsqu'il y a un état de siége déclaré, dans ce cas-là, sous aucun prétexte, il ne peut y avoir lieu à aucune indemnité.

Voici la loi, - c'est celle du 10 août 1853; elle dit :

Toute occupation, toute privation de ses jouissances, toute démolition, destruction, tout dommage résultant d'un fait de guerre ou d'une mesure de défense prise soit par l'autorité militaire pendant l'état de siége, soit par un corps d'armée ou un

à indemnité.

Distinction

pour

le cas de guerre.

Le cas de siege;

pas

d'indemnité.

Loi

du 10 août 1853.

M. Clapier.

Paris étant

en état de siége lorsque

les démolitions ont été effectuées, il n'y a pas lieu à indemnité.

détachement en face de l'ennemi, n'ouvre aucun droit à l'indemnité. L'état de siége d'une place ou d'un poste est déclaré par une loi ou par un décret. »

Y avait-il état de siége lorsque les démolitions ont eu lieu? C'est incontestable. Voici les dates telles qu'elles sont fixées dans le rapport :

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Le décret rendu par l'impératrice-régente, relativement à l'état de siége, est du 8 août 1870.

« Dès le 10 du même mois, on exécutait certains travaux pour faire des redoutes de campagne et pour fortifier l'entrée de Paris, notamment les portes. A compter du 18 août 1870, l'ennemi commença à prendre la direction de Paris. »

Ainsi ce n'est pas un état de siége fictif, un état de siége administratif; c'est un état de siége motivé par cela seul que l'ennemi prenait la direction de Paris.

« Le 6° corps de l'armée allemande hésita, il est vrai, quelques jours, mais bientôt la marche s'accentua d'une façon très-nette.

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« C'est à ce moment que le général Trochu jugea nécessaire de prendre des mésures énergiques en dégageant la place.

"

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Le gouverneur de Paris, commandant de l'état de siége,

« Vu les articles 38 et 39 du décret du 10 août 1853,

« Prescrit au cominandant en chef du génie dans la place de procéder à la démo

lition des maisons et couverts de toute nature qui sont aux abords de la fortification et gênent la défense.

« Il donnera des ordres pour que les déblais, etc. »

Ainsi ce n'est que le 27 août que les démolitions ont été accomplies, et peu de jours après l'investissement de la place avait lieu. L'état de siége, déclaré depuis le 8 du mois d'août, n'était donc pas un état de siége fictif; c'était un état de siége réel, motivé par la marche de l'ennemi, celui même que prescrit et prévoit la loi que je vous ai citée. Dès lors, aucune espèce d'indemnité ne peut être due.

Et que dit à cet égard M. le général de Chabaud-Latour, qui fut chargé d'accom plir ces démolitions? Le voici :

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Le général de Chabaud-Latour est venu déclarer que, chargé de la défense de Paris, il avait ordonné la démolition d'un certain nombre de maisons placées dans les servitudes militaires, sans aller cependant jusqu'à la limite de 250 mètres, à laquelle il aurait pu étendre son action. Il a pensé qu'aux termes de la loi de 1791 et du décret du 10 août 1853 les propriétaires des maisons démolies n'avaient pas droit à une indemnité et qu'ils succomberaient devant les tribunaux s'ils les saisissaient d'une demande. »

Ainsi, Messieurs, tout le monde est d'accord sur ce point, et je lis dans le rapport qui vous est soumis :

«< MM. les Ministres de la guerre et de l'intérieur ont soutenu d'une manière ab

solue que les personnes auxquelles un dommage a été causé par le génie militaire. pour la défense nationale, après déclaration de l'état de siége, n'ont droit à aucune indemnité, sans s'opposer cependant à ce qu'il leur fût accordé, comme aux autres victimes de la dernière guerre, un dédommagement à titre purement gracieux.» Ainsi, nous payons ce que nous ne devons pas : voilà le point de départ.

M. Clapier.

lieu

à indemnité

gracieuse.

Je dis que nous payons ce que nous ne devons pas, et j'ajoute qu'il résulte des Il n'y a pas même decisions que vous avez rendues que ce que nous pouvons donner à titre gracieux, nous l'avons entièrement et complétement payé; vous l'avez vous-mêmes ainsi déclaré. Je vous ai dit quelles étaient les indemnités que nous avons déjà payées : c'est une somme de 220 millions qui a été votée par deux lois, l'une du 6 septembre 1871, l'autre du 7 avril 1873. Il résulte de ces lois que, en les votant, vous avez entendu indemniser tous les dommages généralement quelconques causés par la guerre: vous avez entendu solder votre compte et vous avez entendu qu'on ne pourrait plus venir vous demander, sous de nouveaux prétextes, un centime de plus.

Voyons, en effet, comment la loi est conçue et voyons comment on s'expliquait lors de la discussion de cette loi que je rappelais tout à l'heure :

Article 1. Un dédommagement est accordé à tous ceux qui ont subi, pendant l'invasion, des contributions de guerre, des réquisitions soit en argent, soit en nature, des amendes et des « dommages matériels ».

pas

Ainsi tous les dommages matériels qui sont le résultat de l'invasion ont été compris dans le cercle de ces deux lois de 1871 et de 1873. Et qu'on ne me dise qu'on n'a pas eu l'intention d'y comprendre la nature de dommage pour laquelle une indemnité nouvelle nous est aujourd'hui réclamée. Le fait a été formellement, directement prévu dans la discussion. On s'en est expliqué, et on l'a dit d'une manière formelle : tous les dommages, quelle qu'en soit la nature, qu'ils proviennent de l'autorité française ou de l'autorité étrangère, sont compris dans le cercle de la

loi.

Plusieurs membres ayant fait observer à l'orateur que le droit à ces indemnités a été, au contraire, formellement réservé, M. Clapier lit la partie du compte rendu de la séance du 6 septembre 1871 contenant les explications de M. le Ministre du commerce: «Rien dans ces termes, etc.» (voir p. 125), et continue ainsi :

Qu'est-ce que l'on nous demande aujourd'hui ? C'est l'indemnité du dommage du calcul, c'est l'indemnité du dommage qui a été causé par le génie, pour empêcher, par calcul, qu'on pût venir se placer aux abords de la place en étant couverts. Voilà ce qu'on a appelé le dommage du calcul. Si vous voulez restreindre l'indemnité

Les dommages

causés par le génie militaire sont compris dans les lois d'indemnité

de 1871

et de 1873.

L'indemnité du dommage

du calcul.

M. Clapier.

Pourquoi

première aux dommages de la lutte, la discussion vous donne un démenti; elle vous dit: Ce n'est pas seulement le dommage de la lutte, c'est également le dommage du calcul.

Donc, aujourd'hui, non-seulement on vient vous demander ce que vous ne devez pas, à vous qui êtes à peine dans la situation de payer ce que vous devez, mais on vient vous demander ce que vous avez déjà payé une première fois.

M. KELLER. Du tout! on n'a pas payé un centime!

M. CLAPIER. Je parle de ce que vous avez compris dans les deux lois que vous avez rendues.

Comment se fait-il qu'il y ait encore des propriétaires qui n'aient pas touché leur part d'indemnité? C'est que les gens partisans de l'indemnité qui étaient chargés de les propriétaires la répartir se sont obstinés à ne pas lire l'article, à ne pas lire vos délibérations, et ont déclaré que, dans l'exécution, ce n'était qu'aux dommages de la lutte que devaient s'appliquer les millions que vous avez votés, et que les dommages résultant du calcul ne devaient pas en bénéficier.

démolis

n'ont pas touché d'indemnité.

Lorsque les propriétaires des maisons démolies par le génie se sont présentés et ont demandé leur part d'indemnité, on leur a répondu : Mais nous ne vous devons rien! Ce n'est pas le dommage prussien que vous avez éprouvé, c'est le dommage français; adressez-vous aux tribunaux! Et, comme le disait un de nos collègues, on a encore ajouté : Il y a des jugements qui vous feront droit, et vous serez bien mieux traités! Nous, nous ne donnons qu'un dividende de 33 p. o/o; si vous allez devant les tribunaux, on vous adjugera tout. Ce sera une bonne affaire pour vous et pour nous pour nous, parce que notre dividende augmentera d'autant; pour vous, parce qu'en faisant un procès à l'État vous le contraindrez judiciairement à payer.

Ces messieurs ont trouvé le raisonnement juste; ils ont dit: Oui, très-bien! Nous ne vous demandons plus rien; nous irons demander à l'État dédommagement de l perte que nous avons éprouvée par calcul.

M. KELLER. Mais c'est tout à fait inexact!

M. CLAPIER. Puis, quand on a examiné la loi de près, quand on a soumis la ques tion à des jurisconsultes, il est arrivé qu'on a dit aux réclamants : Vous n'avez aucune espèce de droit; il aurait fallu réclamer votre part dans l'indemnité allouée par l'Assemblée. Mais cette indemnité est aujourd'hui distribuée. -Oh! il y a un moyen toujours simple de remédier à cet inconvénient: adressez-vous à l'Assemblée. Les millions ne lui coûtent rien! Allez lui demander une loi supplémentaire : on vous l'accordera, et vous aurez vos indemnités !

Voilà ce que l'on fait aujourd'hui. On vient vous demander de réparer la faute de ceux qui, pouvant prendre leur part dans l'indemnité que vous avez votée, ont négligé de le faire. Ils vous disent: Est-il juste que, lorsque les autres ont éte indemnisés, nous ne le soyons pas nous-mêmes ?

C'est très-injuste, j'en conviens; mais c'est de votre faute. Il fallait vous faire

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