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M. Albert Grévy,

rapporteur.

Une réparation est légitime et nécessaire.

Argument tiré de la discussion

de la loi

sur les loyers.

Jusqu'à ces derniers temps, l'invocation de ce principe n'avait rencontré qu'u accueil favorable, et la mesure réparatrice que nos compatriotes sollicitent nous ava paru généralement acceptée. Ainsi, la Commission dont j'ai l'honneur d'être l'on gane en ce moment a pris toutes ses résolutions je pourrais presque dire à l'un nimité. Ces résolutions ont reçu l'approbation non-seulement de cette grande com mission de quarante-cinq membres chargée par vous, dès le mois de mars, rechercher et de vous faire connaître l'état des départements envahis, mais encore de trois autres de vos commissions, notamment de celle qui a été chargée d'exa miner la question relative aux gardes nationales mobilisées.

Le Gouvernement lui-même, ou du moins les ministres les plus autorisés, les plus intéressés dans la question, M. le Ministre des finances et M. le Ministre de l'intérieur, n'ont point hésité, dès le début, à reconnaitre la nécessité d'une répăration et même la légitimité du principe sur lequel repose le projet de la Commis

sion.

J'ai là leurs circulaires, et notamment celles de M. le Ministre de l'intérieur, qui a pris dès le mois de mars l'initiative d'une grande enquête dont le but était de faire constater toutes les pertes subies dans les départements envahis, — et assu rément le texte de ces circulaires était bien de nature à faire croire à nos popula tions qu'une indemnité leur serait accordée. (Très-bien! très-bien!)

Enfin, Messieurs, tous les orateurs qui jusque dans ces derniers temps avaient eu l'occasion de faire connaître par avance leur opinion sur cette question, tous, sans exception, sont venus à cette tribune affirmer le principe que nous affirmons nous-mêmes et dont nous prions l'Assemblée de décréter l'application.

Veuillez, Messieurs, vous rappeler notamment cette discussion, qui fut longue et retentissante, de la loi sur les loyers de la ville de Paris. Assurément, le principe engagé dans cette discussion n'était pas celui d'aujourd'hui ; le dommage relatif aux locations devenues plus ou moins improductives par le fait de la guerre, soit aux regards du propriétaire, soit aux regards du locataire, ce dommage constitue ce que nous appelons un dommage indirect. Or, Messieurs, par notre projet nous ne demandons rien pour les dommages de cette nature; nous ne demandons la réparation que des dommages directs, matériels, qui sont la conséquence immédiate et en quelque sorte tangible de la guerre.

Lors de cette discussion, les orateurs, en parlant des dommages indirects, ont été naturellement amenés à parler des dommages directs, et spécialement des dom mages causés par la guerre dans les départements envahis. Comment se sont-ils expliqués, tous, sans exception?

La discussion a été ouverte par l'honorable M. Casimir Périer. Qu'il me permette d'invoquer à l'appui de la thèse que je viens développer l'autorité si légitime que j'attache à ses paroles. Les voici textuellement :

J'admets aussi, et je fais plus, je soutiens que pour ce qui est des contributions de guerre, des réquisitions de guerre en argent imposées par l'ennemi aux départements envahis, il est impossible qu'on en fasse des charges particulières spéciales

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départements qui les ont subies, indépendamment de toutes les misères qu'ils M. Albert Grévy, The supportées. »

Et plus loin: «Je maintiens que ce sont là des faits généraux et qu'il est imposdele que la répartition de ces charges ne se fasse pas sur tout le territoire. (Marques assentiment.)

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Du reste, cette pensée ne m'appartient pas à moi seul; elle est déposée dans lee proposition qui vous est soumise. »

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C'est, Messieurs, la proposition de M. Claude, que je défends en ce moment, à laquelle, par avance, M. Casimir Périer donnait ainsi son approbation. M. Emile Lenoël, qui vint ensuite, tout en combattant le projet de loi sur les de la ville de Paris, proclama le principe de la responsabilité de l'État pour faits de guerre; et, à cette occasion, il rappela la loi de 1792, qu'il reprit à titre e proposition, oubliant que nous étions déjà saisis de la proposition de M. Claude de la de la Meurthe).

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Et l'honorable rapporteur de la Commission, le judicieux M. Léon Say, quelle ut son attitude et quelles furent ses paroles?

M. Léon Say, à ce point de la discussion, c'est-à-dire au début, n'admettait pas, comme M. Casimir Périer, l'intervention financière de l'État dans la question des byers de la ville de Paris : et pourquoi n'admettait-il pas cette intervention de l'État? ques & Parce que, disait-il, il s'agit ici de dommages indirects! » Et il ajoute immédiatement: Oh! s'il s'agissait de dommages directs, des dommages subis par les départements. envahis, le doute ne serait pas possible, la responsabilité de l'Éta! serait évidente. » Voici, Messieurs, ses paroles :

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Pourquoi ne sommes-nous pas allés aussi loin que M. Casimir Périer? Parce que nous avons craint précisément d'engager dans une question spéciale ce principe général que, pour ma part, je trouve aussi sacré que l'a trouvé M. Lenoël, c'est-àdire la responsabilité générale de l'État relativement aux dommages directs qui ont été infligés aux départements envahis par suite de la guerre.»

Et plus loin:

«Ainsi, je l'avoue, je ne comprendrais guère, pour ma part, que la contribution de guerre de 200 millions de francs qui a été imposée à la ville de Paris ne rentrât pas dans la contribution générale de guerre de la France; alors la ville de Paris déchargée de ces 200 millions... »

M. PARIS. Comme toutes les autres villes qui ont été frappées de contributions de même nature!

M. LE RAPPORTEUR. Oui, nous sommes tous d'accord là-dessus avec M. Paris. Ainsi, tout le monde était d'accord pour reconnaître et pour proclamer que les contributions de guerre, les dommages matériels directs, subis par les départements envahis, ne pouvaient pas rester à leur charge, et que la responsabilité de l'État était directement engagée. (Très-bien! très-bien!)

Conventions.

5

rapporteur.

M. Albert Grévy, rapporteur.

Tableau

de l'occupation

prussienne.

J'ai voulu, Messieurs, dès mes premières paroles, rappeler cet accord et le consfater pour l'opposer aux dissidences qui se sont manifestées jeudi dernier et dont l'honorable M. de Ventavon s'est fait l'organe. Assurément, je ne ferai pas à nos bonorables collègues l'injure de supposer que, appartenant à des provinces épargnées par la guerre, n'ayant ressenti dans leurs régions lointaines ni les souffrances morales et physiques ni les ruines matérielles qui ont accablé nos malheureux départements, ils sont moins que nous sensibles à ces ruines et à ces souffrances. Et cependant il nous sera permis de supposer que, s'ils avaient vu la guerre de plus près, peut-être comprendraient-ils mieux l'indispensable nécessité d'en réparer les désastres. (Très-bien! très-bien! - Vifs applaudissements.)

Messieurs, je n'ai pas à retracer à cette tribune le tableau de l'occupation prussienne personne dans cette Assemblée n'ignore les souffrances de toute nature, les ruines de toutes sortes, dont cette guerre effroyable est venue dans trente-trois, voire même dans trente-cinq départements, atteindre plus de 10 millions de nos compatriotes. Je veux seulement rappeler les pertes matérielles, les seules réparables dans une certaine mesure.

Vous savez comment, dans nos provinces envahies, les troupes allemandes qui les inondaient, non contentes de s'installer chez les habitants et de leur imposer cette odieuse et ruineuse cohabitation qui était et qui est encore malheureusement une des épreuves les plus douloureuses et les plus cruelles qu'ils aient dû supporter, procédaient, pour vivre, aux dépens du pays. Jamais, on peut le dire, jamais envahisseur n'appliqua, pour écraser un peuple, un système financier plus large et plus impitoyable. (C'est vrai! Très-bien! très-bien!)

Sous le nom de contributions, on commençait par faire payer trois fois, quatre fois, cinq fois le montant des impôts français. Sous forme de réquisition en argent, on arrachait aux communes des sommes exorbitantes qu'elles devaient se procurer à tout prix, sous peine de pillage, sous peine d'enlèvement d'otages et d'exécutions militaires. (Mouvement.) Puis venaient les réquisitions en nature, frappant les villes, frappant les campagnes, enlevant partout les chevaux, le bétail, les denrées, les choses même les plus indispensables à la vie, à tel point qu'à certains endroits, dans les localités qui furent plus spécialement le théâtre de la guerre, et je pourrais citer notamment les environs de Montbéliard, dans le département que j'ai l'honneur de représenter, la misère fut telle, que l'ennemi fut obligé de nourrir les habitants. (Sensation.)

Et ce n'est là, Messieurs, qu'un côté du tableau; pour le compléter, il faudrait, en regard de ces charges imposées par l'ennemi, placer les dommages matériels, les dévastations qui signalaient la marche des armées. Souvent, en effet, quand la maison avait été pillée et dévastée, le bombardement ou l'incendie venait en chasser les habitants et consommer ainsi leur ruine et leur désolation.

Eh bien! Messieurs, la question aujourd'hui est de savoir si la France peut se désintéresser d'une pareille situation; s'il est possible que ces pertes et ces dommages restent exclusivement à la charge de ceux qui les ont subis!

Je sais bien la réponse que l'on nous fait; je connais la formule du système ad

verse. On nous a dit, on nous a répété souvent : Mais la France n'entend pas vous abandonner; elle fera ce qu'elle pourra; seulement elle le fera à son heure et comme elle l'entendra; mais vous ne pouvez pas lui faire prendre d'engagement, car il n'y a pas à sa charge d'obligation; il y a tout au plus un simple devoir.

Eh bien! je prétends qu'il y a à la charge de la France, je ne dis pas une obligation légale, — s'il y avait une loi, nous n'en demanderions pas une, · mais une obligation certaine et qui appelle une loi pour la consacrer. (Vive approbalion.)

D'ailleurs, n'y eût-il qu'un devoir, je dis que, quand le devoir est, à ce point, étroit et rigoureux, il engage, il oblige, et si, dans de pareilles circonstances, une nation comme la France venait équivoquer sur les mots d'obligation et de devoir pour essayer de se soustraire à la responsabilité qui lui incombe, non-seulement elle se rendrait coupable d'une injustice, d'une sorte d'impiété envers ceux de ses enfants qui ont le plus souffert pour elle, mais je dis qu'elle se déshonorerait aux yeux du monde. (Vives marques d'adhésion et applaudissements prolongés.)

Messieurs, il y a des choses qui se sentent bien mieux qu'elles ne se démontrent. Votre approbation me prouve que vous avez şenti, que déjà vos cœurs ont compris. Essayons cependant de raisonner un peu.

Une chose est hors de doute, c'est que ces charges et ces dommages que je viens d'indiquer sont le résultat direct, immédiat, matériel, de la guerre. Qu'est-ce donc que la guerre ? et qui est-ce qui la fait ?

La guerre, M. Casimir Périer l'a dit excellemment : c'est un fait général, un fait national. C'est donc la nation qui doit en supporter les conséquences.

La guerre, mais elle est faite non point par ou contre tels départements, tels individus qui en pâtissent; elle est faite au nom de la France; elle est faite par la France; dans l'espèce, c'est même la France qui l'a déclarée. C'est donc la France, c'est-à-dire la nation tout entière, qui doit en scuffrir, comme la nation tout entière en aurait profité si la victoire avait couronné nos efforts. (Nouvelles marques d'adhesion.)

N'est-il pas vrai, Messieurs, que, quand j'ai été frappé par l'ennemi, c'est la France qu'il a entendu frapper dans ma personne? Les pertes que j'ai subies, n'estce pas à la France qu'il a entendu les infliger? C'est donc à elle que je les dois; c'est elle qui en est la cause; c'est elle, par conséquent, qui doit les réparer. Et je dis que c'est là une obligation et non simplement un devoir.

Sans doute, le devoir existe aussi, impérieux et pressant, et il résulte notamment de la solidarité qui doit relier toutes les fractions du territoire national. S'il est vrai, Messieurs, que la France soit une et que l'unité soit la base de sa puissance, ce ne peut être qu'à la condition de prendre au sérieux et d'appliquer effectivement la solidarité qui en est la conséquence obligée. (Très-bien! très-bien!)

Et l'intérêt politique, en dehors de toute idée de devoir et d'obligation, un intérêt politique de premier ordre l'exige non moins impérieusement.

Si, dans de pareilles épreuves, quand plus du tiers de nos départements se trouvent écrasés, ruinés par la guerre, si la France les abandonnait, que devien

M. Albert Grévy, rapporteur.

Il y a,

pour l'Etat, obligation de réparer. Motifs

juridiques.

Definition

de la guerre.

M. Albert Grévy, drait, je vous le demande, le lien qui les rattache à la patrie commune et qui constitue la nationalité française? (Applaudissements.)

rapporteur.

Les

contributions

de guerre.

Ne serait-ce point, je l'ai dit et je demande la permission de le répéter, ne serait-ce point, en cas de guerre nouvelle, décourager par avance le patriotisme et le dévouement des populations, de ces vaillantes populations auxquelles la nature a confié la garde des frontières? (Très-bien! très-bien!)

Messieurs, ma démonstration ne serait qu'ébauchée si je m'arrêtais à ces généralités. Veuillez me permettre de passer en revue, le plus rapidement possible, les charges principales et les principaux dommages que je viens d'indiquer et qui figurent au projet de loi.

La première de ces charges, c'est la contribution.

Le mot contributions de guerre, dans son sens le plus étendu, comprend toutes les charges imposées par l'ennemi, sous quelque forme que ce soit; mais dans un sens plus restreint, plus étroit, plus technique, il s'entend simplement des sommes perçues à titre d'impôts. Et c'est des contributions ainsi entendues que je vais parler d'abord.

Sur ce point, et avant les explications de M. le Chef du Pouvoir exécutif, je puis dire que nous sommes d'accord avec le Gouvernement. Nous avons entendu hier les déclarations de M. le Ministre des finances. Il est convenu que les sommes perçues par les Allemands à titre d'impôts ne peuvent pas être perdues pour ceux qui les ont versées. Il est entendu que le contribuable qui a payé ne sera pas obligé de payer deux fois; il est convenu que les villes qui ont été, sous le coup de la violence, obligées d'avancer des sommes à titre d'impôts recevront la restitution des avances qu'elles ont faites.

Aussi, Messieurs, je serai bref sur ce premier point; mais je veux constater et constater avec précision devant l'Assemblée que ce n'est point une concession que M. le Ministre des finances nous fait : c'est un droit qu'il reconnaît.

Je tiens à le constater, parce que tout à l'heure d'une concession je ne pourrais pas tirer, au point de vue des autres charges imposées par l'ennemi, les conséquences que je tirerai d'un droit reconnu. (Très-bien! très-bien!)

Eh bien! je dis que c'est en vertu d'un droit, et d'un droit rigoureux, qu'il faut tenir compte à ceux qui ont payé des sommes à titre d'impôt des versements qu'ils ont faits. Je dis que ce droit est fondé sur l'équité, sur la raison, sur les principes, et consacré par les traités passés entre la France et la Prusse.

Et d'abord, en équité, comprendrait-on que dans un pays civilisé, dans un pays comme la France, où les droits, dit-on, sont égaux, où les charges doivent être égales, il pût arriver que, par le hasard des situations topographiques, un citoyen payât deux fois l'impôt et qu'un autre ne le payàt qu'une fois : une fois dans les départements du Midi, deux fois dans les départements de l'Est?

Et remarquez que ces impôts ont été payés sous le coup de la violence. Il est inadmissible que la France, qui a été impuissante à protéger ses nationaux, vienne, après la guerre, leur faire payer une seconde fois, à son profit, l'impôt que, sous le coup de la violence, ils ont déjà payé à l'ennemi! C'est impossible!

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