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armées, et l'article 7: Toutefois, dans les départements qui ont été le théâtre de la guerre ou qui auront été occupés par les troupes alliées, les pertes dûment constatées seront prises en considération et il leur sera accordé tous dégrèvements et secours nécessaires. Ainsi le baron Louis consentait à exempter, dans certains cas, les départements envahis des contributions extraordinaires destinées à payer les réquisitions et les fournitures qui avaient été faites pour les armées.

Vous voyez que la question ne fut pas abordée et jugée par la Chambre; on n'osa pas discuter et résoudre la proposition radicale de M. Riboud, M. le baron Louis se borna à introduire dans la loi des finances des dégrèvements et des secours.

Les Cent-Jours commencèrent; Napoléon, désirant regagner la faveur que l'inaction du baron Louis sur cette question des doinmages-intérêts avait fait perdre dans les départements envahis à la cause de Louis XVIII, décrète, le 6 avril 1815, la création d'une caisse de l'extraordinaire, destinée à accorder une prime de la moitié de la valeur de toute habitation détruite par l'invasion de 1814.

Vous pensez bien, Messieurs, que le trésor de Napoléon était vide, que la mesure ne fut pas appliquée, et vous savez ce que devinrent les Cent-Jours!

Louis XVIII revient aux Tuileries, le baron Louis au ministère des finances; la situation financière est plus grave encore. Les provinces envahies sont accablées par des masses innombrables. M. Louis est autorisé à assurer, pendant l'année 1815, par voie de réquisition les subsistances des armées alliées. Ce n'est pas assez : il prélève une contribution extraordinaire de 100 millions, afin de diminuer les charges de l'occupation, qui pèsent uniquement sur les départements envahis. En mettant d'autorité cette imposition de 100 millions pour soulager les départements envahis, le ministre de Louis XVIII ne proclamait-il pas du coup, et peutètre malgré lui, le devoir de secourir une partie du territoire avec l'argent de tous, c'est-à-dire le principe de la solidarité nationale devant l'invasion...

Quelques membres. Ce n'est pas cela que signifiait cette indemnité.

M. LOUIS PASSY... puisqu'il emprunte 100 millions pour pouvoir soulager les provinces envahies.

M. le Ministre des TRAVAUX PUBLICS. Tout le monde veut soulager aujourd'hui nos départements envahis!

M. LOUIS PASSY. Aussi, quand le baron Louis eut quitté le ministère, le nouveau ministre des finances, le comte Corvetto, le 23 décembre 1815, proposa-t-il de lever des centimes additionnels afin de rembourser les 100 millions d'avances extraordinaires, les impositions locales qu'on avait été obligé d'établir pour la solde, l'équipement et la remonte des troupes étrangères, et pour accorder des dégrèvements aux départements qui avaient le plus souffert des derniers événements.

La Chambre déclara que la contribution de 100 millions était un impôt de guerre, et qu'elle serait remboursée en rente de l'État; ce qui revient à dire qu'indépendamment des dégrèvements de contributions l'État aliéna un capital de 100 millions en rente pour payer les charges de l'occupation dans les départements envahis!

M. L. Passy.

Décret

du 6 avril 1815.

Contribution extraordinaire

de 100 millions en 1815.

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Il est donc vrai qu'en 1814 et 1816 le grand travail de la liquidation de l'invasion se fit par les départements et sur les départements, plutôt que par l'État et sur l'État; il est vrai que le roi sur sa caisse, et non le ministre sur le Trésor, vint au secours de la Champagne ruinée mais les tempéraments, les réserves, le silence du gouvernement de la Restauration, en cette occasion, se justifient par les embarras financiers et n'impliquent pas sur le principe un jugement décisif que les Chambres auraient probablement porté dans le sens le plus généreux et le plus libéral.

Et me voici, Messieurs, arrivé à la troisième et à la plus douloureuse invasion! Hélas! nous sommes à Bordeaux dans les angoisses des préliminaires de paix. L'Assemblée sonde les plaies de la France, elle cherche le remède à ses maux.

Une commission de quarante-cinq membres est formée. Elle fait un rapport qu'elle croit patriotique de ne pas publier; mais elle est unanime pour constater les souffrances et les ruines de l'invasion, pour proclamer l'intérêt social, la néces sité politique, la justice absolue d'une réparation directe et immédiate.

Autorisée par vous, elle ouvre une enquête. A ce moment, nos honorables collègues de la Meurthe déposent la proposition qui tend à faire supporter par la France entière toutes les charges de l'invasion.

M. le Ministre des finances s'élance sur le télégraphe pour demander immédiatement à tous les intéressés l'état des pays envahis!

Il semble que tous les cœurs soient réunis. Nous sommes d'accord. L'Assemblée et le Gouvernement veulent une réparation.

Ici, Messieurs, se place un incident capital, et je vous demande la permission d'en tirer un argument.

Au début des négociations qui ont précédé la signature des préliminaires de paix, M. de Bismark réclamait à la France 6 milliards.

Plus tard, M. de Bismark n'exigea plus que 5 milliards. Pensez-vous que le chancelier de l'empire allemand se soit contenté de 5 milliards s'il n'avait pas su tirer de cette concession apparente un avantage quelconque? Il se résigna à 5 milliards sous cette condition qu'on n'élèverait aucune contestation, qu'on ne dresserait aucun compte pour tout ce qui serait l'objet de réclamations à l'égard de faits antérieurs aux préliminaires de paix. Et cela est tellement vrai que je pourrais invoquer le témoignage de M. le Ministre des affaires étrangères, le témoignage des membres de la commission chargée de conclure la paix, qui nous ont donné cette nouvelle à Bordeaux, et enfin la conduite même du Gouvernement qui a fait dresser le questionnaire du Ministre de l'intérieur en distinguant les faits antérieurs et les faits postérieurs aux préliminaires de paix.

Supposez que, dans les négociations qui auraient dû précéder le traité de paix, nous ayons gagné 3, 4 ou 500 millions; à qui ces 500 millions auraient-ils profité? A l'État? Non; mais aux départements envahis qui en avaient fait l'avance. (Très-bien! très-bien!)

Nous avons donc, dans une certaine mesure, une créance sur l'État, je ne dirai pas d'un milliard, bien entendu, mais une créance s'élevant au montant de nos

demandes dûment justifiées. (C'est cela!) Je le répète, sur le sixième milliard, nous avons nous, départements, communes, habitants des pays envahis, nous avons droit et compte vis-à-vis de l'État, quoique cependant, dans la vivacité de nos plaintes, nous soyons des patriotes et que nous ne prétendions pas tout absorber et séparer l'intérêt particulier de l'intérêt général.

Eh bien! Messieurs, voilà donc la situation; ce que je vous ai dit historiquement, je vais le formuler juridiquement.

Dans toute nation moderne, la solidarité existe, et elle ne peut pas ne pas exister. Ce qui est obscur et ce qui est vague, c'est la manière dont la solidarité s'exerce et le moment où elle s'exerce.

M. L. Passy.

Le principe de la solidarité nationale

est déterminant

Tout s'éclaire, si l'on veut bien admettre avec moi que le principe de la solidarité, pour produire des droits et des devoirs, pour engendrer des conséquences juridiques, doit être mis en exercice dans un but déterminé par les représentants de la volonté nationale. Si le principe de la solidarité couvre tous les cas de la dans la question. guerre, c'est qu'il y a dans la guerre un effort irrécusable de la volonté nationale, c'est que la guerre est l'expression la plus haute et une forme prévue du pacte national, et de là je tire cette conséquence, qui, permettez-moi de le dire, peut tout concilier : c'est que les droits créés dans l'intérêt national par les représentants qui ont décidé la guerre peuvent être réglés et limités, dans l'intérêt national, par les représentants qui liquident la guerre.

Donc, vous pouvez parfaitement proclamer le principe de la solidarité nationale sans engager vos finances au delà du possible, puisque vous, représentants de la nation, vous restez les maîtres de liquider l'invasion au point de vue privé, comme vous l'avez fait au point de vue public.

Pour vous faire saisir ma pensée, je prends une comparaison.

Quand il y a une faillite, vient-on contester les titres des gens? Non. Pourtant les paye-t-on toujours intégralement? Non.

M. le Ministre des travaux publics. Cela s'appelle une banqueroute!

M. LOUIS PASSY. Ne me parlez pas de banqueroute, mais de concordat, et nous nous entendrons.

pas, aux

Croyez-vous que le système que nous combattons n'aura des yeux populations, beaucoup plus les apparences d'une banqueroute? Parce que vous leur aurez dit qu'on ne leur doit rien, les persuaderez-vous ?

Je veux qu'on reconnaisse ce qu'on doit et qu'on paye ce qu'on peut, et j'en reviens toujours à la parole du baron Louis : « Il faut racheter nos malheurs en sachant les payer. (Très-bien! très-bien! de divers côtés.)

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J'aurais encore sur la question de la guerre bien des choses à dire; mais je dois me borner à répéter que la guerre n'est pas un cas de force majeure, mais un cas de responsabilité matérielle et morale. Elle ne dérive pas d'une cause naturelle et inévitable, mais d'une cause morale et personnelle, non pas d'un hasard de la nature, mais du fait de l'homme.

La guerre

n'est pas un cas

de force majeure.

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La guerre n'est pas un cas de force majeure. C'est un impôt de sang et d'argent; tout le monde doit le payer. Égalité des droits et des périls entre tous les enfants de la même patrie; égalité des droits entre toutes les parties du territoire ! Voilà l'essence du principe de la solidarité nationale dont nous voulons laisser l'empreinte sur la liquidation de la guerre. (Très-bien!)

Eh bien au moment où l'enquête gouvernementale semble préparer une solution qui nous surprend par un aspect favorable, au moment où nous avons une occasion de nous faire tant d'honneur en faisant un peu de bien et de prouver au pays que l'Assemblée nationale est d'accord avec son Gouvernement, car je veux toujours espérer que M. le Chef du Pouvoir exécutif finira par voter comme nous....... (Vis assentiment sur divers bancs.) vous hésiteriez! Mais ne vous ai-je pas montré que vous pouvez, en conscience, voter le principe de la solidarité nationale, tout en respectant votre crédit?

M. LE CHEF DU POUVOIR EXÉCUTIF. Je ne sais pas ce que c'est que ce principe!
M. LOUIS PASSY. Vous ne savez pas ce que c'est?

M. LE CHEF DU POUVOIR EXÉCUTIF. Non, je ne sais pas ce que
c'est. Quand vous
me l'aurez expliqué, je vous dirai si je comprends ou si je ne comprends pas.

M. LOUIS PASSY. Mais, mon Dieu! la solidarité, c'est ce principe en vertu duquel tous les habitants d'un même pays sont unis par les liens d'une assurance générale et mutuelle, laquelle assurance ne produit pourtant des conséquences juridiques que dans certains cas déterminés et réglés par les représentants de la nation. (Interruptions diverses.)

Un membre. La définition n'est pas claire.

M. LOUIS PASSY. La définition n'est pas claire! Soit; je vais l'expliquer. Je vois un éclatant exemple de la solidarité nationale dans la brillante et patriotique conduite qu'ont tenue plusieurs de nos honorables collègues; mes regards en rencontrent quelques-uns, mais je cherche un noble blessé, M. Cazenove de Pradines. Je vois la solidarité nationale dans cette rencontre des noms les plus illustres, les plus aristocratiques de la France, sous les ordres de dictateurs républicains, pour sauver la patrie envahie et défendre le drapeau de la France.

Voilà le sentiment de la solidarité.

M. le comte de BOIS-BOISSEL. Ce sentiment s'appelle l'honneur!

M. LOUIS PASSY. Et je n'ai plus besoin d'aller chercher d'autres définitions, d'autres raisons; cela me suflit. La solidarité nationale se montre dans les faits: elle éclate dans les sentiments. (Très-bien! très-bien!)

M. LE DUC DE MARMIER. La loi proposée sera la meilleure application d'une patriotique fraternité, trop mal pratiquée jusqu'ici à l'égard de nos départements

envahis.

M. DE VENTAVON. Messieurs, je ne saurais voir dans cette Assemblée deux partis M. de Ventavon. distincts les représentants des départements envahis et les représentants de ceux

qui ont échappé à l'invasion. Je ne vois ici que les représentants de la France et j'espère être écouté par tous mes collègues, si j'apporte quelques idées utiles à cette tribune. (Très-bien!)

La plus vive sympathie pour les départements envahis est dans tous les cœurs, et la volonté de réparer les maux de la guerre est dans tous les esprits; on ne peut différer que sur le choix des moyens. Faut-il vous engager d'une manière illimitée, ou devez-vous, au contraire, voter, sous quelque nom que ce soit, un impôt suffisant pour réparer autant qu'il est en nous les souffrances de nos concitoyens des départements de l'Est?

Voilà, Messieurs, la question que vous avez à résoudre.

Nos adversaires, dès à présent, veulent qu'on reconnaisse ou que l'on crée un droit à l'indemnité pour les propriétaires qui ont souffert des dommages directs et matériels; nous, au contraire, nous voulons que l'on vote une somme fixe, quel qu'en soit le chiffre, pourvu que le budget puisse en effectuer un jour le payement : car je ne saurais, comme l'orateur qui m'a précédé à la tribune, admettre qu'après avoir voté l'indemnité nous revenions, quand il s'agira d'en fixer le chiffre, sur le vote que nous aurons émis.

Il faut, Messieurs, nous rendre compte des conséquences du principe qu'on veut faire consacrer; nous avons également à nous demander si nous n'arrivons pas par une voie plus directe, plus sûre, et j'ajouterai, plus réparatrice, au but que nous poursuivons en suivant les inspirations dont vous faisait part M. le Chef du Pouvoir exécutif il y a quelques instants, c'est-à-dire en votant dès à présent une large subvention pour les départements envahis, sauf à voter dans les budgets. successifs... (Réclamations), ou, si vous le préférez, à voter dès à présent un capital plus considérable, en donnant à l'État qui devient débiteur quelque terme pour se libérer.

L'indemnité considérée comme un droit, où peut-elle nous conduire?

M. de Ventavon examine d'abord la question au point de vue des chiffres. Il évalue à 968 millions au moins le chiffre des indemnités. D'autre part si l'on crée le droit à l'indemnité, l'ayant droit pourra s'adresser aux tribunaux. Les tribunaux ordinaires ne suffiront pas. faudra établir des jurys d'expropriation devant lesquels l'indemnitaire se montre toujours insatiable.

L'orateur continue ainsi :

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Et maintenant, Messieurs, permettez-moi d'examiner un autre côté du tableau.
Ce qu'on vous demande, c'est une indemnité pour les dommages matériels et

Contraire

à la thèse du droit

à indemnité.

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