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à Mareschal par le capitaine François et l'archiviste Dautriche (1). Les deux sous-chefs de l'État-Major, le général de Lacroix et le général Delanne, et Galliffet luimême ne surent rien de l'affaire (2).

Rollin et Mareschal avaient pris rendez-vous avec Austerlitz dans un jardin public de Zurich. Mareschal causa seul avec lui, puis vint dire à Rollin, qui faisait le guet, que les documents ne valaient pas plus de 8 à 10.000 francs (3), mais que l'homme déclarait ne pouvoir continuer « si on ne le sortait pas de ses embarras (4) ». Rollin décida de donner le tout, pourtant n'assista pas au payement (5). Austerlitz écrivit, signa un reçu (au crayon) que Mareschal fit voir à son chef (6).

Toute la somme fut-elle versée ? Mareschal, par la

(1) Reçus de Mareschal produits à l'enquête de la Cour de cassation (mai 1904) et au procès Dautriche (102).

(2) Procès Dautriche, 400, Delanne; 419, de Lacroix : « Je n'aj aucun souvenir d'avoir été mêlé aux négociations de cette affaire... »; 648, Galliffet: « Je n'en connaissais pas le premier mot. » Rollin ne se souvient pas d'avoir parlé de l'affaire Austerlitz soit à Delanne, soit à de Lacroix : « Cela m'étonnerait que je ne l'aie pas fait, mais je ne me le rappelle pas. » (Interrogatoire du 25 juin 1904).

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(3) Ils furent estimés plus tard de 2 à 4.000 francs. - Procès Dautriche, 330, colonel Hollender: 336, commandant Brissé ; 116, Mareschal : On les a payés dix ou vingt fois trop Instr. Cassel, 5 juillet 1904, général de Lacroix : « Il n'est pas admissible qu'une dépense de 20.000 francs ait été faite pour l'achat de ce document. »>

cher.

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(4) Procès Dautriche, 248, Rollin : « S'il était parti, nous n'avions plus personne.

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(5) Enquête, 14 mai 1904, Rollin : « Je ne crois pas avoir été présent au payement. » Mareschal: « Il est possible que j'aie été seul avec Austerlitz au moment du payement. »

(6) Procès Dautriche, 230, 250, Rollin : « Mareschal m'a présenté un reçu de 25.000 francs. » A l'enquête : « Le reçu était au crayon; je le vois encore. » Mareschal : « Je suis convaincu qu'Austerlitz m'a remis un reçu. »

suite, a varié dans ses réponses. D'abord : « La plus grosse somme que j'aie jamais emportée était de 10.000 francs (1) »; puis, convaincu par sa propre signature (ses reçus à Dautriche et à François) d'avoir emporté 25.000 francs : « Comme je n'ai rien rapporté, c'est que j'ai donné les 25.000 francs à Austerlitz (2). » La déduction ne s'impose pas. Surtout, le reçu d'Austerlitz n'a jamais été au dossier; l'archiviste Dautriche ne l'a jamais vu (3); et d'autres circonstances encore sont suspectes. Des payements de cette importance, tout à fait exceptionnels, ne s'oublient pas (4); celuici disparaît de la mémoire de ces officiers jusqu'à l'heure, comme on verra, où il deviendra pour eux un moyen de défense contre des accusations de vol et de corruption (5). Puis, tout juste pour cette grosse opéra

(1) Enquête, 9 mai 1904, Mareschal. (Procès, 100.)

(2) Enquête, 14 mai. Mareschal dit ensuite au procès « Le fait de la perte de mémoire est absolu, je ne le nie pas. » (462.) (3) Procès Dautriche, 82, Dautriche. - Il existe au dossier un reçu d'Austerlitz, non daté, pour 10.000 francs. Selon l'accusation, ce reçu s'appliquerait à l'entrevue de Zurich 25); selon Mareschal, à l'entrevue de l'année précédente, 23 août 1898, à Berne. Seulement, Mareschal a commencé par dire qu'à Berne, en 1898, il avait donné 6.000 francs (et non 10) à Austerlitz (Interr. du 6 juillet 1904 et les registres de Gribelin, alors archiviste, indiquent, en effet, cette somme (132). Mareschal allègue alors que la différence entre la somme de 6.000 francs, seuls sortis de la caisse du service courant », et la somme de 10.000 francs mentionnés au recu qu'il applique à l'entrevue de Berne, aurait été parfaite par Henry sur sa caisse noire (Interr. du 19 juillet 1904), ce qui paraît au général Bertin, président du conseil de guerre, « peu rationnel » (122).- Gribelin dit comme Mareschal 481). Selon un autre officier, le capitaine Lam. bling, le recu de 10.000 francs " comprenait une fourniture qui lui avait été faite à lui-même par Austerlitz », mais il ne se souvient pas d'avoir pris un reçu « particulier » 445,.

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(4) Procès Dautriche, 308, Faurie; 323, Hollender. (5) Ibid., 100, 103, Mareschal.

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De même François. A l'en

Si un document avait été

payé 25.000 francs, auriez-vous pu l'ignorer ou l'oublier?

tion, la comptabilité de Dautriche s'obscurcit: tantôt, il inscrit << après coup» le nom d'Austerlitz dans un interligne (1); tantôt, il l'écrit sur un grattage où l'expertise croit retrouver le nom de Rollin (2). Enfin, de l'aveu même de Mareschal, après avoir payé Austerlitz le 16 et, le 17, donné 625 francs (3) à un autre agent et acheté un fusil à un troisième, son portefeuille n'était pas à sec; il aurait donc emporté de Paris encore plus d'argent, quand ses propres reçus le démentent (4). Où l'argent, ainsi détourné environ 15.000 francs, - aurait-il passé (5) ? Dans la poche de Mareschal? Non,

L'ignorer, jamais de la vie; l'oublier, ce serait invraisembla. ble.» (9 mai.) Il explique ensuite, au procès, qu'en effet, après cinq ans, il avait tout oublié (197), mais que cet oubli était la preuve de sa loyauté dans l'affaire : « On ne peut pas admettre que je n'aurais eu aucun souvenir d'un acte criminel... Si j'avais réellement payé le témoignage Cernuski, je me serais dit : « On arrive aux 30.000 francs... » J'aurais répondu avec aplomb: « Parfaitement, nous avons payé 25.000 ou 30,000 francs, en août 1899, les documents d'Austerlitz. Le général Bertin lui dit alors que sa réponse aurait toute sa valeur « si l'accusation était qu'il avait employé toute la somme à payer Cernuski », mais « qu'elle perdait de sa valeur si, au lieu de s'appliquer à une dépense totale, la somme s'appliquait à une succession de dépenses (198, 199.)

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(1) La mention d'autorisation de prélèvement de 20.000 francs pour assurer les besoins du service» est de la main du capitaine François; cefte mention fut signée par le général Delanne ; puis, « après coup », Dautriche ajouta la rubrique : « Documents fournis par Austerlitz. » (48, Dautriche; 196, François.)

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(2) Sur l'inscription préexistant au grattage, Dautriche ;: borne à répondre : « Je ne sais pas ce que c'est. » (164, etc.) — L'expert lit Rol... (« Certainement of; quelques réserves sur I'R. ») Un nom qui suit donne seulement la lettre k. (350 et suiv., Camille Legrand.)

(3) La dépense est mentionnée comme suit: « Et Berg. 625 francs à ce dernier », de la main de Mareschal. (130.)

(4) Procès Dautriche, 578, France, commissaire spécial; Mareschal « Je n'avais probablement pas emporté seulement 25.625 francs. »

(5) Ibid., 34, capitaine Cassel.

mais à Brücker, à la Bastian, pour les frais de son séjour forcé à Marly, à des journalistes « patriotes », éventuellement à d'autres opérations non moins inavouables (1)?

Ces majorations de dépenses étaient un des legs d'Henry qui avait constitué ainsi sa caisse noire (2). Et Henry était resté sacré pour Mareschal, qui l'avait fidèlement conduit au cimetière de Pogny (3), pour François (4). Ils font une vérité du mot de Maurras : « Le colonel Henry fut aussi notre éducateur (5). »

Quelle heure, depuis le drame du Mont-Valérien, fut plus lourde aux anciens amis d'Henry? A l'exception de quelques généraux qui luttent à Rennes, les grands chefs pactisent avec les ennemis de l'armée, se taisent, pitoyables de timidité et de mollesse. Eux, les petits, les humbles, de la race de ceux qui se font toujours tuer, vont-ils laisser faire?

Quoiqu'il en soit, les deux officiers, après avoir réglé

(1) Rapport du capitaine Cassel, conclusions du lieutenant colonel Rabier, etc. On verra, au tome suivant, dans quelles conditions le commissaire du gouvernement abandonna l'accusation contre Rollin et ses collaborateurs qui furent, en conséquence, acquittés.

(2) Procès Dautriche, 431 et suiv., Gribelin : « Au lieu de verser les économies qu'il faisait à la réserve ordinaire, il les versait à une réserve spéciale. >>>> 283 : «Il avait des habitudes de vieux sergent-major roublard.

(3) Voir t. IV, 221.

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(4) Lettre du 28 avril 1900: « J'ai toujours devant moi l'exemple de mes trois prédécesseurs: le premier, mort fou; le deuxième, disqualifié et honni; le dernier, le meilleur de tous, le plus droit et loyal, suicidé d'un coup de rasoir. »> (Procès Dautriche, 41.)

(5) Action française de novembre 1900: « J'ai longtemps balancé, à l'idée de la commémoration de nos morts, entre sa mémoire tragique et le paisible souvenir d'un Auguste Comte ou d'un Sainte-Beuve... Parce que nous savons qu'il n'a pas été un faussaire, nous savons ce que c'est qu'un faux.»

leurs affaires, en Suisse, rentrèrent à Paris, Mareschal d'abord, puis Rollin (1), et ce fut alors qu'ils rencontrèrent (ou que Mareschal seul rencontra) Przyborowski. Comme Mareschal ni Rollin ne se sont expliqués sur cette entrevue, on la connaît seulement par le récit que le Polonais en a fait quatre ans plus tard au juge Trottabas, délégué par la Cour de cassation pour recevoir sa déposition à Nice (2), et par celui qu'il en aurait fait au couple Wessel, peu après le procès de Rennes. Mais ces deux récits diffèrent.

Selon les Wessel (3), Rollin et Mareschal auraient entretenu d'abord Przyborowski de l'arrestation de Mosetig, son complice viennois. Ils venaient de l'apprendre et en étaient fort troublés. En dehors des officiers du service, il n'y avait, disaient-ils, que le Polonais et Tomps à connaître leur commerce avec lui, et ils ne soupçonnaient pas l'espion, mais le commissaire spécial, de l'avoir dénoncé par une lettre anonyme (4). Tomps, on le sait, était leur bête noire. Aussi bien n'en était-il pas à sa première trahison; il avait essayé précédemment de conduire Brücker en Alsace et de l'y faire arrêter, et c'était, en effet, la

(1) Le 18, il s'arrêta à mi-route pour aller dans le Doubs, son pays natal, où il prenait ses congés; mais il en fut rappelé dès le lendemain. Il passa la journée du 20 à Paris avant d'aller à Rennes. (Procès Dautriche, 230, Rollin.)

(2) Tribunal de Nice, 23 mars 1904.

(3) Déclaration de Wessel au commissaire central de Nice, 4 mai 1900. (Procès Dautriche, 547); dép. de Mathilde au tribunal de Nice, 24 mars 1904.

(4) En fait, il avait été arrêté à la suite d'une perquisition chez le lieutenant de réserve Charles Saria, soupçonné d'espionnage. On trouva chez Saria un registre avec des annotations marginales dont l'écriture ressemblait à celle de Mosetig. Saria était innocent; Mosetig avoua ses relations avec Przyborowski, dont il avait reçu en tout 210 florins, et fut condamné à 18 mois de prison.

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