Page images
PDF
EPUB

lonel Maurel? A-t-il dit à un officier que Dreyfus avait livré les plans de Nice?» Mais, à chaque fois, Mazeau intervint«< La question ne sera pas posée... », jusqu'à ce qu'un des conseillers (Octave Bernard) demanda si Henry avait parlé, « à l'audience », de la pièce Canaille de D... La question, cette fois, échappait à la censure. «Non, dit Freystætter, on n'en a pas parlé en séance. » Aussitôt Crépon: « Ce qui est dit est dit. On n'a pas parlé de cette pièce en 1894. Cela reste acquis (1), »

Une telle hâte à profiter d'un mot pour un autre, séance pour audience, souleva des clameurs. Le conseiller qui avait posé la question expliqua à Freystætter qu'on appelle «< audience » les débats auxquels assiste l'accu ́sé. « Le bordereau seul, répliqua alors l'officier, a été discuté en audience. >>

Mercier, trouvant le terrain mauvais, se réservant pour le conseil de guerre, se garda de comparaître. A peine s'il consentit à répondre, en quelques mots, à une question de Freycinet sur le commentaire de Du Paty. Il convint qu'il l'avait jeté au feu en 1897, dans le cabinet même de Gonse, « parce que la note avait été établie pour lui personnellement et ne faisait aucunement partie du dossier (2) ». - En effet, il avait communiqué, en 1894, non pas la « concordance » de Du Paty, mais le commentaire d'Henry et, le lendemain du jugement, il l'avait détruit. Gonse le confirma, mais en s'abritant derrière Boisdeffre (3).

(1) 24 avril 1899 (Cass., II, 6).

(2) Voir t. I, 450 et 615. Le 17 mai 1899, un « ami » de Mercier précisa, dans le Matin, que le commentaire qui avait été communiqué aux juges était « la notice biographique de Dreyfus ». Il ajouta que Demange l'avait connue, ce qui était faux, et rejeta tout sur Henry.

(3) Cass., II, 338 et suiv., lettres de Freycinet à Mercier et à Gonse, des 24 et 29 avril, lettres de Mercier du 24, de

Roget, plus loquace que jamais, et Gonse, qui paraissait ennuyé, s'obstinèrent dans leurs dépositions précédentes au sujet de la scène entre Bertulus et Henry, et Bertulus, de même, maintint la sienne; il parla avec beaucoup de force pendant plusieurs heures; surtout, il retrouva dans les scellés l'une des pièces, avec le mot «< Bâle », dont Roget avait contesté l'existence (1). J'avais insisté pour être confronté avec le général qui m'avait pris à parti; la Cour s'y refusa (2).

La déposition de Lépine, sur ses souvenirs du procès de 1894, porta beaucoup. Malgré le témoignage théâtral d'Henry et bien que l'accusé n'eût dégagé « aucune émotion communicative », l'ancien préfet de police avait cru, en quittant l'audience, à un acquittement. Il raconta qu'il avait remis à Henry une première note d'où résultait que Dreyfus était inconnu dans les cercles de jeu, une autre note sur ses prétendues relations avec des femmes galantes; ces deux rapports, dont les minutes étaient encore à la Préfecture, avaient disparu, pour être remplacés par ceux de Guénée.

Du Paty opposa des démentis très nets aux divagations de Cuignet: « Qu'il apporte ses preuves ! » Sur ceux de ses actes qui n'étaient plus contestables, il dit

Gonse du 30. Freycinet désigne ainsi le commentaire de Du Paty : « la copie, à défaut de l'original qui avait été détruit... » Nécessairement, ni Mercier ni Gonse ne relèvent l'erreur.

(1) 25 avril 1899. (Cass., II, 18, Bertulus; 22, Roget; 24, Gonse.) (2) Picquart rectifia, dans une lettre à Mazeau, quelques-unes des erreurs de Gonse (13 avril). Il me fit parvenir, par Gast, une copie de sa lettre, qui parut dans le Figaro du 9 mai; Gonse y répondit le 13 (Cass., II, 352). J'avais écrit à Mazeau, le 7 avril, pour être confronté avec Roget et, précédemment, pour porter à sa connaissance la lettre d'Henry à Papillaud (Tout le Crime, 629 à 631). — La Cour refusa de faire conduire Décrion aux lieux où il prétendait avoir caché des papiers d'Henry et d'Esterhazy.

à peu près la vérité ou mentit seulement à la jésuite (1). Bien qu'il ignorât encore la décision qui avait été prise de le poursuivre, il se plaignit de l'abandon de ses chefs: « Un grand chef pour qui je me suis dévoué plus qu'on ne peut se dévouer, est vivant et ne me défend pas... », et parut préparé au pire. C'était une âme basse, l'esprit le plus compliqué, le plus tortueux; il avait été l'un des bourreaux de Dreyfus et l'un des sauveteurs d'Esterhazy; ce n'était pas un faussaire (2).

Mais le grand débat porta sur la dépêche de Panizzardi, du 2 novembre 1894; c'était la dernière tranchée où les adversaires de la revision s'étaient établis.

Freycinet, plus sourd à sa conscience à mesure que l'heure du dénouement se rapprochait, en était arrivé, lui aussi, vers cette époque, à identifier « l'honneur »> du ministère de la Guerre avec la culpabilité de Dreyfus. Il suffisait de le menacer pour tout obtenir de sa faiblesse. L'ancien agent Lajoux, que nous avons vu expédier au Brésil par Henry et Gribelin (3), était revenu depuis les derniers événements, s'était installé à la frontière italienne et annonçait de là qu'il allait révéler tout ce qu'il savait, notamment les confidences de Cuers

(1) Il convient d'avoir établi une note sur les pièces secrètes, celles dont avait parlé Picquart, mais il ignore ce que sa note était devenue; il croit pourtant qu'elle a passé sous les yeux du conseil de guerre. Sur une question de Ballot-Beaupré, il répond qu'il a entendu parler de Décrion comme d'un agent d'Henry. Il connaissait seulement les accusations de Cuignet par la publication du Figaro, écrivit le 8 mai à son frère ; « Je suis bien heureux que le Figaro ait publié l'enquête; sans cela, j'étais étranglé en douceur et dans l'ombre, sans même savoir pourquoi. Comme canaillerie, c'était assez réussi. J'espère bien que Dreyfus offrira un beau porte-cigares à M. Cuignet et à son compère. »

(2) 29 avril Cass., II, 26, Cuignet; 31, Du Paty.) (3) Voir t. II, 578.

au sujet de Dreyfus (1). Le bureau des renseignements, où Freycinet n'avait appelé ou maintenu que d'anciens camarades d'Henry, le commandant Rollin (2), les capitaines Fritsch, François et Mareschal (3), — décida nécessairement de capituler. Bien que Billot lui-même eut trouvé trop honteux de continuer à payer le silence de Lajoux (4), Rollin proposa de lui allouer une mensualité de 200 francs et une somme ronde, à titre de gratification, à condition qu'il retournât sur l'heure en Amérique. Freycinet consentit à tout, signa tout ce que voulut Rollin, envoya à Lajoux un des officiers du bureau pour lui remettre l'argent et le rembarquer (5).-— Un peu avant, dès que Freycinet avait connu les dépositions de Sébert, de Moch et d'Hartmann, il en avait demandé la réfutation au général Deloye, directeur de l'artillerie, et il avait fait verser « ce travail spécial » au dossier de la Cour (6). Plusieurs des observations de Deloye étaient exactes; d'autres, étonnantes; ainsi : « Un artilleur a pu dire indifféremment hydraulique ou hydropneumatique (en parlant du frein) et une pièce s'est conduite ou une pièce s'est comportée. » Il donna quelques fausses dates, soit qu'il eût été trompé lui-même, soit pour corser sa thèse, et insista, contre l'évidence, sur

(1) Rennes, II, 16, lettre de Lajoux à Galliffet.

(2) Voir t. I, 24.

(3) Voir t. IV, 221. — Mareschal avait remplacé Lauth vers la fin de 1897; les nominations de François, Fritsch et Dautriche (en remplacement de Gribelin) sont de fin 1898; Rollin prit le service au commencement de janvier 1899.

(4) Rennes, II, 21, lettre de Billot à Hanotaux, du 10 mars 1898. (5) 17 mars 1899. (Rennes, II, 11, 13 et 21, Rollin; III, 310, Galliffet.) Le capitaine François avait pour instructions «< de s'assurer du départ de Lajoux et de ne lui faire remettre la somme qu'une fois embarqué sur le paquebot ».

(6) Cass., II, 320, note de Deloye « pour M. le Ministre », du 12 février 1899, et lettre de Freycinet à Lebret, du 13.

Б

l'intérêt que l'Allemagne avait encore, en 1894, à connaître le frein du 120 court (1) et le règlement sur ce

canon.

Dans l'affaire de la dépêche Panizzardi, Freycinet se mit également avec Cuignet, qu'il avait promu au grade de commandant.

་་

On n'a pas oublié que Cuignet, non seulement avait produit devant la Chambre criminelle la fausse traduction de la dépêche, telle qu'elle avait été confectionnée par Gonse, Du Paty et Henry, mais qu'il avait incriminé, devant Mazeau, Dareste et Voisin, « la bonne foi du département des Affaires Étrangères ». Delcassé, mis au fait, s'en était vivement expliqué avec Freycinet (2), et, comme Cuignet s'entêtait, Delcassé s'était, lui aussi, obstiné. Il écrivit de bonne encre à Freycinet qu'il ne laisserait pas diffamer son département << par un subordonné, accomplissant une mission officielle >> ; en conséquence, il fera verser aux débats, devant les Chambres réunies, toutes les pièces, « authentiques, originales et concordantes » du dossier cryptographique :

La question sera nettement posée.

Oui ou non, les corrections apportées à la version pre mière du télégramme du 2 novembre 1894 sont-elles justifiées ?

(1) Je reproduisis, dans le Figaro du 24 mai 1899, les principaux passages d'une brochure distribuée, en février 1894, aux officiers du 26 régiment d'artillerie et qui donnait les dessins, description, croquis et dimensions du canon de 120, la description (illustrée) du frein, etc. Ce règlement avait été reproduit à la presse régimentaire. L'article était signé : « Un vieux général d'artillerie ». - Sur la note de Deloye au sujet de l'obus Robin, voir p. 412.

(2) Lettre à Freycinet, du 10 février 1899.

« PreviousContinue »