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HUITIEME PARTIE

CONGRÈS DE VIENNE (Suite)

(1814-1815)

CONGRÈS DE

DE VIENNE (Suite)

(1814-1815)

No 20.- LE PRINCE DE TALLEYRAND AU ROI LOUIS XVIII.

SIRE,

Vienne, le 6 janvier 1815.

Le courrier par lequel j'ai eu l'honneur d'adresser à Votre Majesté la convention que M. de Metternich, lord Castlereagh et moi, nous avons signée le 3 janvier, était parti depuis vingt-quatre heures, quand j'ai reçu la lettre dont Votre Majesté a daigné m'honorer en date du 27 décembre. En augmentant l'espérance où j'étais de n'avoir, en cette occasion, rien fait qui n'entrât dans les intentions et les vues de Votre Majesté, elle a été la plus douce récompense de mes efforts pour obtenir un résultat si heureux, et, naguère encore, si peu probable. Je n'ai pas senti avec une émotion moins profonde combien il est doux de servir un maître dont les sentiments,

comme roi et comme homme, sont si généreux, si touchants et si nobles.

Je venais de recevoir la lettre de Votre Majesté, quand lord Castlereagh est entré chez moi. J'ai cru devoir lui en lire les passages qui se rapportent à lui et au prince régent. Il y a été extrêmement sensible, et désirant de pouvoir faire connaître1 à sa cour dans quels termes Votre Majesté parle du prince, il m'a prié de lui en laisser prendre note, à quoi j'ai consenti par la double considération que ce serait, comme il me l'a dit, un secret inviolable, et que les éloges donnés par Votre Majesté au prince régent pouvaient, dans les circonstances présentes, produire le meilleur effet.

L'empereur de Russie renvoie à Paris le général Pozzo, après l'avoir tenu ici deux mois et demi sans le voir qu'une seule fois, et quelques-uns prétendent qu'il le renvoie comme un censeur qui s'explique trop librement et qu'il désire éloigner. L'empereur de Russie voudrait que Votre Majesté crût que c'est par égard pour elle et pour faire une chose qui lui fût agréable, qu'il a conçu l'idée de donner au roi de Saxe quelques centaines de mille âmes sur la rive gauche du Rhin pour lui tenir lieu de son royaume. Le général Pozzo doit être chargé de travailler à obtenir que Votre Majesté consente à cet arrangement.

Mais Votre Majesté sait que la question de la Saxe ne doit pas être considérée seulement sous le rapport de la légitimité, et qu'elle doit l'être encore sous le rapport de l'équilibre; que le principe de la légitimité serait violé par la translation

1. Variante et désirant faire connaitre.

2. Variante qu'il a donné l'idée.

forcée du roi de Saxe sur le Rhin, et que le roi de Saxe n'y donnerait jamais son consentement; enfin, que, la légitimité à part, la Saxe ne saurait être donnée à la Prusse sans altérer sensiblement la force relative de l'Autriche, et sans détruire entièrement tout équilibre dans le corps germanique.

Ainsi, les tentatives de l'empereur de Russie, à Paris comme à Vienne, échoueront contre la sagesse de Votre Majesté, qui a mis sa gloire à défendre les principes sans lesquels il ne peut y avoir rien de stable en Europe, ni dans aucun État en particulier, parce qu'eux seuls peuvent garantir la sécurité de chacun et le repos de tous.

Le langage soutenu de M. le général Pozzo, à Vienne, était trop favorable à la France pour se trouver d'accord avec ce que voulait faire ici l'empereur de Russie. M. Pozzo doit partir dimanche ou lundi, c'est-à-dire le 8 ou le 9.

Je persiste à croire que le cas de guerre auquel se rapporte l'union formée entre Votre Majesté, l'Autriche et l'Angleterre ne surviendra pas. Cependant, comme il est de la prudence de prévoir le pis et de se préparer à tout événement, il m'a paru nécessaire de songer aux moyens de rendre, le cas arrivant, l'union plus forte, en y faisant entrer de nouvelles puissances. J'ai donc proposé à lord Castlereagh et à M. de Metternich d'agir conjointement avec nous auprès de la Porte ottomane, pour la disposer à faire au besoin une utile diversion. Ils ont adopté ma proposition, et il a été convenu que nous concerterions une instruction à donner aux ministres de chacune des trois cours à Constantinople. Je crois utile que Votre Majesté presse le départ de son ambassadeur.

Il serait peut-être avantageux d'établir un concert semblable avec la Suède. Mais les moyens d'y parvenir ont

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