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son prédécesseur était un homme d'honneur et incapable d'en imposer. Alors le grand-visir crut terminer ce débat en envoyant à Fériol, six des anciens Capiggis, pour rendre témoignage que le port d'armes n'avait jamais été usité par aucun ambassadeur, et lui représenter que le grand-visir lui-même, et l'aga des janissaires ne portaient point d'armes dans le sérail.

L'ambassadeur répondit que le grand-visir et l'aga des janissaires étaient sujets du grand-seigneur ; que ces lois étaient faites pour eux ; mais que pour lui il ne quitterait les armes qu'avec la vie.

Le grand-visir fit dire à l'ambassadeur, que le grand-seigneur écrirait au roi, pour le disculper d'avoir paru devant lui sans épée, et on lui proposa de lui donner une déclaration de tous les grands officiers de l'Empire, pour l'assurer que jamais aucun ambassadeur ne verrait le grand-seigneur avec son épée, pas même celui de l'empereur; mais Fériol demeura inébranlable. Mauro-Cordato dit à l'ambassadeur de prendre conseil des officiers français qui étaient présens; à quoi il répliqua qu'il était lui-même l'interprète des ordres de sa majesté sur ce qui intéressait sa gloire, offrant d'entrer dans le divan, pour expliquer lui-même ses motifs; ce que le grand-visir refusa.

Mauro Cordato dit à Fériol que cette jour

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née pourrait être signalée par quelque malheur, s'il s'obstinait à vouloir porter ses armes à l'audience. << Tant pis pour le plus faible, répondit Fériol; mais je déshonorerais l'em» pereur mon maître, si je quittais mon épée. » Les officiers turcs qui présidaient aux audiences, voyant l'obstination de l'ambassadeur, feignirent de consentir à l'introduire chez le grand-seigneur avec son épée. Le maître des cérémonies le vint prendre comme si l'affaire eût été accommodée, et ne le laissant suivre que des quatre capitaines de vaisseau qui étaient avec lui, de son premier secrétaire et de deux offificiers, deux capiggis le prirent par-dessous les bras, comme cela s'observe quand on parait devant le grand-seigneur. Cependant un autre capiggi s'approcha de l'ambassadeur pour lui ôter son épée ; Fériol le repoussa vivement, et s'étant dégagé de ceux qui le tenaient, il mit la main sur la garde de son épée, et demanda avec fierté à Mauro-Cordato, s'il était parmi des ennemis, et si l'on traitait ainsi l'ambassadeur de France.

Le chef des eunuques blancs sortit de l'appartement du grand-seigneur, et interpella Fériol de déclarer s'il voulait l'audience à condition de déposer son épée. L'ambassadeur rejeta cette offre, et se retira en rendant les caffetans dont lui et sa suite avaient été revêtus,

et en faisant reprendre les présens destinés au grand-seigneur.

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Fériol se plaisait à braver les usages de la cour ottomane, chez laquelle pourtant les usages sont des lois (1). La gondole qui sert à la menade du grand - seigneur sur la mer, a une impériale de soie, couleur de pourpre, doublée en drap d'or, et supportée par quatre colonnes dorées. Il n'est permis à personne de décorer la sienne de cette manière. Fériol se fit faire une gondole toute semblable. En vain ses amis lui représentèrent que le sultan en serait blessé ; il ne fit qu'en rire, jura qu'il ne viendrait jamais à Constantinople dans une gondole différente, et tint parole.

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On sent que de pareilles légèretés, qu'on peut appeler des provocations dépourvues de dence, ne devaient pas rendre cet ambassadeur fort recommandable à la Porte. C'était un militaire emporté, et plus propre à figurer dans une garnison, que près d'un souverain. Un faux point d'honneur qu'il plaçait dans des choses insignifiantes, le compromit plusieurs fois, et compromit également la dignité de sa cour.

L'empereur Léopold rer ayant créé en 1692 (2),

(1) Histoire ottomane, par le prince Cantemir, t. IV. (2) L'empereur Léopold avait érigé en 1692, le duché d'Hanovre en électorat, en faveur d'Ernest-Auguste, duc

IV.

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un neuvième électorat en faveur du duc d'Hanovre; il en résulta un assez vif mécontentement, de la part des électeurs et des princes de l'Empire, qui prétendaient que le nombre des électeurs ne devait pas excéder celui de sept, et que si, lors de la paix de Westphalie, on avait créé un huitième électorat en faveur du fils de l'électeur palatin, des circonstances impérieuses avaient justifié cette innovation; qu'on craignait de mettre obstacle à la paix en retirant l'électorat à la maison de Bavière, et en ne le rendant pas à la maison palatine; et que de plus cette érection avait été faite du consentement de l'empereur, de l'Empire, et de toutes les puissances intervenues au traité.

La maison d'Hanovre répondait, que le nombre des électeurs n'avait pas été fixé à sept par la bulle d'or; qu'au contraire, en suivant l'esprit de cette loi, il était nécessaire d'associer un neuvième électorat aux huit autres, afin que le nombre redevînt impair; quede plus, le duc d'Hanovre avait l'aveu de quatre électeurs, pour être admis dans le corps électoral, et que le suffrage

d'Hanovre. Il y eut en 1693 une protestation de plusieurs princes de l'Empire contre cette érection, laquelle fut comme suspendue. Mais l'empereur investit, le 9 de jan vier 1699, de la dignité électorale, Georges-Louis, fils du duc Ernest-Auguste, qui venait de mourir. Il fut admis en 1708 dans le collége électoral.

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des autres électeurs, était inutile à obtenir ; qu'il suffisait de le demander.

Plusieurs princes allemands ouvrirent à Nuremberg, des conférences contraires à l'érection d'un neuvième électorat, et eurent recours à la France, comme garante de la paix de Westphalie.

Le roi, pour les satisfaire, fit présenter par son ministre à la diète de Ratisbonne, le mémoire suivant, en date du 14 de septembre 1700 (1).

« Le plénipotentiaire de France a reçu ordre » du roi son maître, de faire connaître aux élec>>teurs, princes et états de l'Empire, assemblés » par leurs députés à la diète générale à Ratis

bonne, que, quoique sa majesté ait toujours » regardé comme une nouveauté également con>> traire aux constitutions générales de l'Empire » et au traité de Westphalie, l'érection du neu» vième électorat fait au commencement de la » dernière guerre en faveur du duc de Hanovre, » elle a cependant gardé le silence et sur le fond, >> et sur l'omission des formalités qu'on devait >> au moins observer; persuadée que le recours » à l'empereur aurait tout l'effet qu'ils s'en pro» mettaient, et qu'obtenant de leur chef la jus» tice qu'ils en devaient attendre, les justes plaintes causées par cette nouvelle érection,

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(1) Lamberti, Mémoires et Négociat., t. I.

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