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résultaient de l'opposition des membres du conseil de Philippe v, rappela, en 1703, le cardinal d'Estrées; mais, pour éloigner toute idée de disgrace à l'égard d'un sujet distingué par son caractère et ses précédens services, il lui conféra l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et lui donna pour successeur son neveu, l'abbé d'Estrées, qui avait été ambassadeur en Portugal.

L'abbé d'Estrées, quoique plus souple que son oncle, parce qu'il avait sa fortune à faire, n'était pas très propre à une ambassade qui demandait autant de sagesse que d'expérience. Plus intrigant qu'habile et judicieux, il fut bientôt une nouvelle preuve du mal résultant d'un mauvais choix.

Louis XIV le remplaça, en 1704, par le duc de Gramont, seigneur délié et ferme, mais trop français, c'est-à-dire, trop porté à cette promptitude de jugement qui devance l'examen et expose à l'erreur. M. de Gramont, fatigué des dégoûts qu'il éprouvait, demanda à revenir. Avant de partir, il écrivit au ministre Torci : « Si toutes vos ambassades ressemblent à celle» ci, je vous déclare que je ne veux en entendre » parler de ma vie. »

Philippe v fit faire, pour le duc de Gramont, une toison de deux mille pistoles. Ce seigneur la refusa, ainsi que le présent ordinaire, et dit « que dans la disette d'argent où l'on était, il

» fallait en appliquer la valeur aux besoins des >> troupes. >>

Si le duc de Gramont eût joint au désintéressement la prévoyance et la sagesse, il eût réussi; mais il gâta tout, en s'imaginant pouvoir gouverner le roisans le concours de la reine. Il fut le troisième ambassadeur français qui, depuis l'avènement de Philippe vau trône, avait échoué par trop de confiance et de présomption. Au duc de Gramont succéda Amelot de Gournai, précédemment ambassadeur à Venise, en Portugal et en Suisse. Celui-ci montra plus de véritable habileté que ses prédécesseurs, puisqu'il parvint à se maintenir contre l'effort de toutes les cabales, et à faire exécuter, par beaucoup de fermeté et d'esprit de suite, les résolutions qui furent adoptées dans le conseil de Philippe v. Amelot opposa constamment aux seigneurs espagnols, qui ne pouvaient souffrir qu'un Français gouvernât, une sagesse et une douceur plus heureuses que la pétulance et la hauteur; qualités qui sont bientôt détestées, surtout quand elles ne sont pas tempérées par la justice ou de grands talens (1).

(1) M. Amelot revint d'Espagne en 1709; il alla, en 1712, à Rome, pour les affaires relatives à la bulle unigenitus, et mourut en 1724, âgé de soixante- neuf ans et demi, universellement estimé pour ses talens politiques et ses qualités morales.

Différend

France et le

Danemarck.

1702. Dans le cours des événemens dont on vient entre l'am- de faire le récit, il s'en passa plusieurs autres bassadeur de d'un genre inférieur, mais qui ne doivent pas ministre de moins être rapportés, soit comme anecdotes piquantes, soit comme des faits qui, dans des circonstances analogues, peuvent servir à diriger; car l'exemple est une autorité en diplomatie. Il s'éleva, au mois de juin 1702, un démêlé très vif entre le comte de Chamilli, ambassadeur de France à Copenhague, et Schested, ministre de cabinet du roi de Danemarck. Ce démêlé provint de ce qu'un comte de Schlieben, s'étant engagé à lever un régiment pour le service de Danemarck, après avoir touché l'argent pour cette levée, l'avait dissipé sans faire aucun enrôlement, et la cour de Danemarck l'avait fait arrêter. S'étant évadé au moment de sa détention, il fut poursuivi par ses gardes qui le rejoignirent près de l'hôtel du comte de Chamilli. Les domestiques de celui-ci le dégagèrent, non sans grande rumeur, des mains des gardes. Le comte de Chamilli, s'étant mis à la fenêtre déclara que Schlieben, se réfugiant dans son hôtel, était sous sa protection, et les gardes, malgré leurs réclamations, furent obligés de se retirer. Le comte de Chamilli fit dresser dans son hôtel un procès-verbal de ce qui s'était passé, et fit interroger et déposer, après serment, un des gardes et les sentinelles danois qui étaient

devant sa porte. Ensuite, il écrivit au secrétaire d'état Schested, pour demander satisfaction sur ce que les gardes de Schlieben avaient violé le respect dû à son hôtel. Schested lui écrivit la lettre suivante, à laquelle nous joindrons la réponse de Chamilli, qu'on n'offre point ici comme un modèle de bienséance. « Monsieur, j'ai » fait rapport au roi, de la lettre que votre >> excellence m'a fait l'honneur de m'écrire, » du 20 du courant, et sa majesté trouve que >> vous avez eu tort d'exercer une espèce de ju» ridiction sur un de ses gardes, et sur les sen>> tinelles qu'on met ordinairement devant votre » porte pour vous faire honneur, en les faisant » examiner juridiquement et sous serment dans >> votre maison, chose dont il n'y a peut-être » pas d'exemple, et qui n'est permise qu'au sou» verain, ou à ceux qui sont autorités par lui; » ce qui, joint à la protection que votre excel>>lence a trouvé bon de donner au comte de » Schlieben, sur lequel le roi même avait fait » mettre les mains, et qui s'est échappé de sa » détention, ne peut qu'augmenter auprès de sa » majesté l'opinion que tant de disputes passées » de temps en temps, lui ont fait naître, et dans » laquelle elle se trouve confirmée par ces der» nières démarches, que votre excellence ne » cherche que l'occasion de brouiller les deux >> cours; trouvant la protection qu'elle donne à

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>> un ciminel d'état également peu conforme à » la dignité d'un représentant et aux justes sen>> timens dont on l'assure du côté du roi très » chrétien. Pour conclusion, je dois dire à votre » excellence que le roi n'est plus en humeur de >> souffrir que chez lui, on se mêle d'interrom» pre le cours de la justice, et d'exercer des actes » de souveraineté, ayant eu jusqu'ici assez de >> complaisance pour faire voir au monde que >> c'est la seule considération qu'il a pour la per>>sonne de sa majesté très chrétienne, qui l'a empêché d'y mettre ordre. Je suis au reste, avec » tout le respect imaginable, etc. >>

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Chamilli répondit, le 1er de juillet, de la manière suivante :

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« J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous avez >> pris la peine de m'écrire, du 24 du passé, dont » le style m'a paru si vandale, que je me per>> suaderais aisément que vous l'avez prise dans >> quelque archive du temps du roi Dan, si le peu d'expérience que vous avez encore » dans votre charge, vous avait permis de >> prendre connaissance de ces siècles si reculés, » dont il vous plaît de ramener la dureté, sous » un prince d'un caractère si différent, dont >> l'honnêteté et les manières gracieuses sont les » premiers traits de son portrait. C'est pourquoi, » je vous prie, Monsieur, s'il vous arrive d'a>> voir à m'écrire, que vous le consultiez, non

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