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Portraits de Marlbo

prince En

Heinsius.

>> votre prudence de vous servir si utilement » des moyens que je vous confie, que vous par» veniez à conclure la paix devenue nécessaire » à mon royaume, etc. »

Le roi ajouta de sa main les lignes suivantes : J'approuve ce qui est contenu dans cette dé» péche, et mon intention est que Torci l'exé

» cute. »

En conséquence, M. de Torci partit de Paris le 1er de mai 1709, et arriva à la Haye, le 6; mais avant de donner le précis des conférences, je dois dire un mot de lord Marlborough, du prince Eugène et du pensionnaire Heinsius, moteurs fameux de la ligue formée contre la France, et qui, avec un secret impénétrable, et une action aussi vive que soutenue, en dirigèrent les nombreux ressorts.

Le comte de Chesterfield (1) fait de lord Marlrough, du borough le portrait suivant, et l'on sent que les gène et de Anglais ont pu seuls le bien apprécier. « Il ne >> lui échappait aucune de ces saillies heureuses, » de ces traits brillans qui caractérisent l'homme » d'esprit; mais il ne le cédait à personne en » bon sens, en pénétration, en discernement. >> Doué de la plus heureuse physionomie, il >> faisait tout avec une grace à laquelle rien ne pouvait résister. Ce fut par ses manières en

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(1) Lettres du comte de Chesterfield à son fils.

» gageantes et affables, que pendant tout le >> temps qu'il fit la guerre, il eut le secret de » réunir les différentes puissances de la grande » alliance, et de les porter toutes au principal » objet, quoique divisées entre elles par leurs » intérêts particuliers, leurs défiances et leurs » fausses vues.

» Marlborough fut souvent obligé de se rendre » auprès de certaines cours inactives ou prêtes » à se détacher de la cause commune, et il réus» sit constamment dans ses négociations, et sut » toujours ramener ces différentes cours à ses » vues, etc. »

Dans ses opinions politiques, ce seigneur se laissait diriger autant par l'amour de son pays que par sa haine contre Louis XIV. L'électeur de Bavière ayant fait de la part de ce monarque des propositions de paix aux alliés, Marlborough les fit rejeter en disant « que n'y ayant aucune » sûreté avec un prince qui foulait aux pieds les » traités, il fallait lui ôter ses places et ses forces, » si l'on voulait être paisible dans son voisinage.>> Le prince Eugène avait l'esprit orné par une vaste lecture, le coup-d'oeil vif, une pénétration extraordinaire, un jugement droit et un tact exquis pour démêler l'ame de ceux avec qui il traitait. Il parlait peu; mais tout ce qu'il disait était exact et profond. Personne ne le surpassait dans la fermeté à garder le secret. On sait qu'il

avait quitté dans sa jeunesse la cour de Louis XIV par dépit du peu de cas que ce prince avait fait de sa personne, et le ressentiment élevant sou ame, lui avait fait chercher dans les succès de la guerre, des éclatans de vengeance. moyens Le pensionnaire de Hollande, Heinsius, était généralement regardé comme un homme sage et solide, d'une expérience consommée et d'une probité à l'abri de la corruption. Son abord était froid, mais sans rudesse ; sa conversation polie, son extérieur simple, sa maison sans faste. Flatté de la cour que lui faisaient Marlborough et le prince Eugène, il était non moins qu'eux opposé à la paix, et méditait de ramener la France au traité de Vervins.

Tels étaient les trois personnages que Torci avait à combattre; personnages aussi redoutables par leur génie que par l'ascendant que chacun d'eux exerçait sur ses maîtres, dont il avait en quelque sorte toutes les forces à sa disposition.

M. de Torci descendit à la Haye, chez le pensionnaire Heinsius, avec lequel il entra aussitôt en matière sur les demandes qui avaient été faites au président Rouillé dans les conférences de Moerdick et de Boergrave, par MM. Buys et van Derdussen, lesquels furent eux-mêmes présens aux entretiens entre M. de Torci et Heinsius. Mais les deux premières conférences furent sans résultats, parce qu'on attendait à la Haye le

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lord Marlborough, qui paraissait devoir donner aux affaires leur vraie direction. En attendant, M. de Torci fit venir à la Haye le président Rouillé, « persuadé, dit-il, qu'une idée bonne » et débattue entre deux personnes, en devient » meilleure. Si l'un n'aperçoit pas le défaut du projet qu'il a formé, l'autre le découvre; et tous » deux, de concert, le rectifient. Les contradic» tions éclairent, quand elles naissent du désir >> réciproque de chercher le bien et de le trouver.» Lord Marlborough, long-temps attendu à la Haye, y arriva enfin. On saura gré peut-être, de Marlborough. donner ici une partie de la dépêche de M. de Torci au roi, du 22 de mai 1709, laquelle entre dans un grand détail sur ses entretiens avec Marlborough., Il y a quelque chose de piquant à se trouver, pour ainsi dire, face à face avec un général qui tant de fois porta l'alarme dans le cœur altier de Louis XIV.

« Aussitôt, dit le ministre, que le duc de >> Marlborough fut arrivé, je priai le sieur Pette» kum de lui demander quand je pourrais le >> voir. Après qu'il eut consulté le pensionnaire >> et enveloppé de beaucoup d'excuses et de complimens la liberté qu'il prenait de me marquer » une heure, et, de ne pas prévenir ma visite >> j'allai chez lui l'après-dîner. Si je rapportais

>>

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à votre majesté toutes les protestations qu'il

» me fit de son profond respect et de son atta18

IV.

Entretien de Torci avec

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>> chement pour elle, et du désir qu'il a de mé» riter un jour sa protection, je remplirais ma >> lettre de choses moins essentielles que celles >> dont je dois vous rendre compte. Ses discours » sont fleuris. Je remarquai dans ceux qu'il me » tint, beaucoup d'art à nommer M. le duc de » Berwick et M. le marquis d'Alègre. Je m'en » servis, Sire, pour lui faire connaître dans la » suite de la conversation que j'étais informé de » toutes les particularités de leur commerce » avec lui, et que vos sentimens n'étaient pas » changes. Il rougit, et passa aux propositions » faites pour la paix. Le pensionnaire l'avait >> informé le matin, de toutes les circonstances » que M. de Marlborough n'avait pu savoir depuis son départ de Londres. Je croyais qu'il >> n'aurait rien à demander pour l'Angleterre, » étant instruit des offres que j'avais faites à l'égard de Dunkerque; mais il me dit qu'il avait » un ordre exprès de la reine Anne, d'insister » particulièrement sur la restitution de Terre» Neuve; que cet article intéressait si vivement >> toute la nation, que ce serait faire un plaisir >> personnel à sa maîtresse, que de le régler » comme acte préliminaire.

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» Je lui avouai que les instructions de votre » majesté nous manquaient sur ce point; que >> véritablement j'étais persuadé qu'il ne rom>> prait pas la paix, et qu'on pourrait aisément

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