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1681. Mauvais

La réclamation de l'ambassadeur de France était fondée, parce qu'il paraît que, malgré la suppression des priviléges des ambassadeurs, en 1671, la plupart d'entr'eux avaient été maintenus dans leur jouissance, et il était peu séant d'en commencer à son égard la suppression, après l'alliance de famille existant entre les deux

couronnes.

La Vergne de Guilleragues, président à la traitemens es- cour des aides de Bordeaux, successeur de Noinsuyés par le tel dans l'ambassade de Constantinople, y était roi près la arrivé au mois de septembre 1679. Dès son

ministre du

Porte.

début en cette cour, il eut, au sujet du sopha, avec le grand-visir Mustapha, la même difficulté qui avait fait partir Nointel sans prendre congé. Cette difficulté consistait dans le refus du grand-visir de mettre le siége de l'ambassadeur à la même hauteur ou sur le même degré que le sien, ce que le roi exigeait, enjoignant à ses ambassadeurs de ne point prendre d'audience si cet honneur ne leur était déféré; mais il survint un événement d'une plus haute importance, et dans lequel Guilleragues eut besoin de toute sa fermeté. (1).

Des corsaires tripolitains ayant pris un vaisseau sous pavillon français, et mis en esclavage une partie de l'équipage, le roi ordonna de

(1) Mercure-Galant de 1682.

1

poursuivre tous les navires tripolitains en quelque lieu qu'ils se retireraient. Duquesne, commandant d'une escadre française, alla en attaquer plusieurs qui s'étaient retirés dans l'ile de Chio pour se radouber. Là, il s'engagea un combat entre l'escadre de Duquesne et la ville de Chio, sur laquelle ce général fit un feu très vif, et elle répondit par des décharges qui tuèrent quelques hommes de l'escadre française. La ville fit demander à composer, se plaignant d'être exposée à la destruction, à cause des Tripolitains qu'elle n'était pas en état de faire sortir du port. Duquesne ne fit point de réponse. La nouvelle du combat qu'il avait livré, parvint bientôt à la Porte, et y causa un mouvement extraordinairę.

L'ambassadeur de France fut appelé le 23 d'août 1681, chez le kiaïa ou lieutenant du visir, avec lequel il eut une longue conférence. Cet officier lui apprit l'extrême colère où était le grand-seigneur pour l'entreprise de Duquesne, et il finit par lui dire qu'il serait peut-être trop heureux de pouvoir racheter son sang et celui des Français, au moyen d'une forte somme d'argent. Guilleragues répondit, « qu'il était en sû» reté à Constantinople comme à Paris, parce » que le sultan était juste, et le roi de France

puissant; qu'on ne devait rien attendre de lui » pour réparer les dommages de Chio, et que » c'était aux seuls Tripolitains à les payer. »

Guilleragues fut invité par un chiaoux à se rendre à l'audience du visir. Lorsqu'il fut arrivé, on voulut le faire asseoir sur un tabouret, hors du sopha; ce qu'il refusa, et prit le parti de parler debout. Après une assez vive contestation à ce sujet, on le conduisit dans la chambre d'audience. Le grand-visir y étant entré presqu'aussitôt, salua Guilleragues, et monta sur le sopha, où un siége lui était préparé. Les chiaoux en présentèrent un autre au bas du sopha, à l'ambassadeur; mais il se retourna fièrement, en le repoussant du pied jusqu'à deux fois, ce qui engagea le grand - visir à ordonner qu'on ne l'importunât plus sur cet article; mais en entrant en matière, il lui dit que Duquesne avait tiré sur le château de Chio, abattu plusieurs maisons, ruiné des mosquées; que le grandseigneur était fort irrité, et que le seul moyen de l'apaiser, était de payer le dommage fait par les Français, évalué 750 bourses, ou 375,000 écus.

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Guilleragues répondit : «Que les vaisseaux du >> roi n'avaient rien fait qui pût choquer sa hau» tesse, ni fournir occasion de rupture entre les » deux états; que les vaisseaux français n'avaient » eu d'autres ordres que de poursuivre partout >> les pirates tripolitains, ennemis de la France,

et que si le château de Chio n'eût pas tiré le » premier sur les vaisseaux de S. M., ceux-ci » n'eussent jamais tiré contre la ville, »

Le grand-visir lui répliqua « que les Français >> auraient dû porter plainte au grand-seigneur, » qui leur eût fait rendre justice; qu'il eût enfin » à se décider à payer les 750 bourses, ou à s'at» tendre d'aller aux Sept-Tours. »

Guilleragues lui dit «< que la prison ne l'éton>> nait point, mais qu'il le priait de se souvenir » qu'il était ambassadeur du roi de France, as>> sez puissant pour le venger, si le droit des >> gens était violé dans sa personne. »

Les menaces du grand-visir se bornèrent à faire enfermer le cheval de l'ambassadeur dans ses écuries, et à faire mener Guilleragues dans la chambre du chef des chiaoux, qui est proche du divan. Là, on lui envoya offrir toutes les viandes et les rafraîchissemens qu'il pouvait désirer. Il refusa tout, et se fit apporter de son palais les choses qui lui étaient nécessaires. Tout le reste du jour, et le lendemain, on continua à le menacer de le mettre aux Sept-Tours, s'il ne donnait satisfaction à la Porte; mais Guilleragues persista à dire qu'il était disposé à tout souffrir, plutôt que de consentir à aucune proposition qui blessât l'honneur de son souverain, et que tout ce qu'il pouvait promettre, était un présent de curiosités de France, mais en son propre nom, et non en celui de son maître. Le

(1) Mercure-Galant, février 1682.

grand-visir accepta ces offres en lui donnant six mois pour y satisfaire.

Guilleragues ratifia sa promesse, en ajoutant que si l'affaire des tripolitains ne se terminait, et qu'on différât à lui accorder l'audience sur le sopha, il ne s'engageait à rien. Le chef des chiaoux l'assura qu'il serait pleinement satisfait. Guilleragues retourna chez lui. Mais le grand-visir ayant appris depuis en quoi consistait le présent que l'ambassadeur se proposait de faire, et le trouvant très éloigné des prétentions de sa hautesse, il fit de nouvelles instances auprès de lui, et lui envoya l'effendi des chiaoux et le drogman de la Porte, en renouvelant la menace de le faire emprisonner et de confisquer la cargaison de tous les bâtimens français. Guilleragues répondit qu'il était prêt d'aller aux Sept-Tours, mais que quand il y serait une fois entré, il ne serait pas si facile de l'en faire sortir, et qu'il y demeurerait jusqu'à ce que le roi son maître, lui en fit ouvrir les portes. L'ambassadeur craignant même que les drogmans n'osassent rendre exactement ses paroles, les mit par écrit, afin qu'ils ne pussent rien y changer : en même temps, il fit tenir des chevaux prêts à partir, et se rendre aux Sept-Tours, si on en venait à cette extrémité. Les choses demeurèrent dans cet état jusqu'au 6 de mai, où le grand-visir envoya de nouveau chercher les drogmans de l'ambassadeur, pour lui demander

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